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Actualités - ANALYSE

La question de compétence suscite une controverse

Le cas de M. Chahé Barsoumian est une première dans les annales judiciaires. Mais devra aussi constituer un précédent de référence. Pour savoir quelle instance est compétente en pratique quand un responsable est poursuivi dans une affaire pénale. On sait en effet qu’il existe une Haute Cour, constituée de députés et de magistrats, pour juger les présidents et ministres, en place ou anciens, accusés d’avoir d’une manière ou d’une autre trahi ou exploité leurs fonctions. La solidarité de corps n’étant pas un vain mot – comme en témoigne en France la sollicitude manifestée par la droite à l’égard d’anciens responsables de gauche mis en cause dans l’affaire du sang contaminé –, les politiciens s’étonnent que le Parquet ait rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la défense de M. Barsoumian. Dont les avocats affirment que c’est au Parlement de se saisir de l’affaire. «Va-t-on gommer au nom de l’épuration les lois existantes ?» s’irrite un député juriste, qui rappelle que «la justice a elle-même reconnu à deux reprises, à travers les arrêts concernant deux anciens ministres, M. Joseph Hachem et le regretté Jamil Kebbé, que c’est au Parlement de décider si des poursuites doivent être engagées. Et ensuite à la Haute Cour d’assumer le jugement. La justice a précisé de même, dans le cas de l’ancien ministre Mohsen Dalloul, que le parquet ordinaire ne peut poursuivre que dans les crimes ou délits à caractère strictement particulier ou personnel». Ce n’est pas tout à fait l’avis de l’avocat général financier, M. Khaled Hammoud. S’il a en effet indiqué, dans sa réponse circonstanciée aux avocats de M. Barsoumian, que les charges retenues concernent des actes «commis à des fins strictement personnelles», il a aussi considéré que le droit public peut poursuivre le président du Conseil et les ministres pour toute infraction sanctionnée par le code pénal. «L’avocat général, reprend le député juriste cité, s’inscrit ainsi en faux contre les arrêtés précédents du parquet financier qui, à différentes reprises, avait renoncé à poursuivre des ministres en estimant que la compétence en matière de poursuite revenait à l’Assemblée nationale et en matière de jugement à la Haute Cour». «À notre avis d’ailleurs, poursuit ce parlementaire, il vaudrait mieux convenir que lorsqu’il peut y avoir confusion de classification d’une charge, qu’on ne sache pas trop s’il faut l’attribuer à une faute de fonction ou à une infraction pénale, ce soit la procédure institutionnelle et non pénale qui ait la préférence. Mais pour de présumées prévarications dans le cadre d’une fonction ministérielle, il n’y a pas de doute : c’est le Parlement qui doit poursuivre et la Haute Cour juger. La justice ordinaire ne peut ester quand un responsable d’État est en cause que dans le cas où les charges retenues n’ont clairement rien à voir du tout avec l’exercice de ses fonctions officielles. Distinguo S’il vole une montre dans une vitrine, s’il vend de la drogue ou s’il bat sa femme un peu trop fort, par exemple. Mais les détournements de fonds publics, les trafics d’influence et autres crimes ou délits contre l’État ne peuvent être considérés comme des charges à caractère personnel». Mais un autre parlementaire, oubliant le cas Chamas, souligne pour sa part que «si on doit laisser faire l’Assemblée, il n’y aurait jamais de poursuites. Il est en effet difficile de trouver là une majorité des deux tiers de voix, comme la loi le requiert, pour ordonner l’ouverture d’un procès. Comment du reste appliquerait-on la loi sur l’enrichissement illicite si le parquet ordinaire ne se mettait pas en branle ?» Et de rappeler que pour le constitutionnaliste Edmond Rabbath, «l’article 70 de la Constitution établit clairement un distinguo : seul le chef de l’État ne peut être jugé que par la Haute Cour, cette procédure restant facultative pour les ministres». De son côté, le juriste Émile Bejjani relève une nette différence entre deux articles constitutionnels : – Le 60, qui souligne que le chef de l’État n’est responsable dans l’exercice de ses fonctions que pour violation de la Constitution ou haute trahison. En précisant qu’il est, par contre, responsable de crimes ordinaires et qu’en tout cas, seul le Parlement peut le poursuivre. – Et le 70, qui invite le Parlement à mettre en accusation le président du Conseil et les ministres non seulement pour haute trahison mais aussi en cas de faute dans la mission, les obligations de leurs fonctions. Autre différence de taille, selon le juriste : l’article 60 est très précis dans son texte : le chef de l’État ne peut être poursuivi que dans les deux cas cités ; alors que le 70 dit au sujet du Parlement qu’il a le droit d’engager des poursuites contre les membres du Cabinet. Donc le 60 implique une notion contraignante, obligatoire qui, dans le 70, devient discrétionnaire, facultative. C’est ce que confirme la loi d’application numéro 13 du 18/8/1990 relative à la procédure devant la Haute Cour. Elle affirme en effet, dans son article 18, que «l’on ne peut poursuivre le chef de l’État devant la Haute Cour pour violation de la Constitution, pour haute trahison ou pour des crimes ordinaires que par le biais du Parlement». L’article 42 de cette même loi précise que la Haute Cour est souveraine pour qualifier les charges dont elle est saisie et peut modifier à son gré la teneur de l’acte d’accusation. Selon Me Bejjani, qui se réfère à Rabbath, la Constitution libanaise s’est inspirée des lois fondamentales belge et égyptienne pour limiter le droit de poursuite au Parlement. Alors qu’en France la controverse suscitée jadis par la Constitution de 1875 avait débouché sur le fait que la justice ordinaire pouvait ester contre les membres du gouvernement aussi bien que le Parlement. La jurisprudence réglant les cas de double emploi en autorisant le Parlement à dessaisir la justice ordinaire s’il le juge bon.
Le cas de M. Chahé Barsoumian est une première dans les annales judiciaires. Mais devra aussi constituer un précédent de référence. Pour savoir quelle instance est compétente en pratique quand un responsable est poursuivi dans une affaire pénale. On sait en effet qu’il existe une Haute Cour, constituée de députés et de magistrats, pour juger les présidents et ministres,...