Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

Les mythes ébranlés

Le Liban n’est peut-être pas un État, comme aime le croire le ministre israélien de la Défense Moshé Arens, mais il est certainement un pays. En voie de développement peut-être, et où il ne fait pas toujours bon vivre ; un pays parfois gouverné par des imprévoyants et souvent secoué par des crises internes. Il reste malgré tout un pays, rang auquel Israël, lui, ne peut pas prétendre. Au Liban, chaque grand-père peut raconter à sa descendance l’histoire de son village, de sa ville, de ses origines. Il peut apprendre à ses petits-fils l’amour de la terre travaillée pendant des siècles et mélangée à la sueur des ancêtres. En Israël par contre, l’Histoire est un immense trou noir de 2 000 ans. Et ce n’est pas parce que la culture dominante aujourd’hui est celle de la paix et du dialogue que nous devons oublier l’inoubliable et accepter l’inacceptable. Le Liban est un pays parce qu’il existe une relation ancienne, intense et physique entre son peuple et sa terre. En Israël, le rapport qui lie la population à la terre relève du mythe. Un mythe religieux transformé en réalité politique par des circonstances historiques, heureuses pour les juifs et surtout, ne l’oublions pas, malheureuses pour les Palestiniens. Les pères fondateurs du sionisme étaient conscients que le mythe de la terre promise, aussi attrayant soit-il, ne suffit pas à lui seul à jeter les bases d’un État et à légitimer son existence. Ils en ont donc inventé d’autres. celui, par exemple, de «peuple sans terre pour une terre sans peuple». Cinquante ans après, les mythes fondateurs d’Israël ont été démolis non pas par la lamentable langue de bois arabe, mais par des chercheurs israéliens qui ont eu la curiosité de fouiller les archives gouvernementales. Ceux qu’on appelle les nouveaux historiens ont taillé en pièces l’historiographie officielle de cet État dont les frontières sont élastiques et ne figurent sur aucune carte. Benny Morris, Avi Shlaïm, Ilan Pappé et d’autres chercheurs, dont certains sont sionistes, ont ébranlé ces mythes qu’on essaye d’intégrer à la mémoire collective juive. Ils ont prouvé que la Palestine était bien habitée avant l’arrivée des colons, que les Palestiniens n’ont pas quitté leurs maisons de leur plein gré mais qu’ils ont bel et bien été chassés de chez eux selon un plan préétabli visant à vider la terre de son peuple, et que les Arabes n’étaient pas en position de supériorité militaire lors de la guerre de 1948*. Des événements encore plus récents sont occultés ou déformés pour des considérations purement idéologiques. Il y a quelques mois, le quotidien Haaretz s’étonnait qu’un manuel commémorant le cinquantième anniversaire de la création de l’État d’Israël, édité l’année dernière par le ministère de l’Éducation (tenu par un ultra-orthodoxe), évoquait les traités avec l’Égypte et la Jordanie, mais ignorait complètement les accords d’Oslo et l’actuel processus de paix avec les Palestiniens. Certes, Israël, État sans Histoire, est le fruit de la politique coloniale de la Grande-Bretagne et du sentiment de culpabilité des Européens, responsables d’une manière ou d’une autre des horreurs commises par l’Allemagne hitlérienne. Il n’en demeure pas moins qu’il existe toujours, cinquante ans après. Toutefois, ce n’est pas à la solidité de ses institutions ou à sa tradition démocratique qu’il doit sa survie dans un environnement hostile. C’est à l’aide militaire, technologique, financière et politique, accordée généreusement, hier par la Russie stalinienne (à travers la Tchécoslovaquie) et par la France, et aujourd’hui par les États-Unis. Soit, Israël est un État, comme le pense fièrement Moshé Arens. Mais c’est un État pirate, édifié sur une terre qui ne lui appartenait pas, et qui pousse ses frontières aussi loin que le lui permettent ses expéditions militaires. C’est aussi un État hors-la-loi qui méprise toutes les résolutions internationales. C’est enfin un État maître-chanteur qui continue de soutirer de l’argent, même à ses plus proches alliés, au nom de crimes condamnables, commis il y a un demi-siècle. Si c’est cela être un État, le Liban n’en n’est pas un et n’a nul le envie de le devenir. Le Liban veut rester un pays, fruit d’un compromis entre les différentes composantes de son peuple. Il veut devenir un message de tolérance et de convivialité face au racisme de l’État juif. Il n’a jamais été et ne sera jamais un fait accompli. * Voir «Le pêché originel d’Israël», de Dominique Vidal, les Éditions de l’Atelier, Paris.
Le Liban n’est peut-être pas un État, comme aime le croire le ministre israélien de la Défense Moshé Arens, mais il est certainement un pays. En voie de développement peut-être, et où il ne fait pas toujours bon vivre ; un pays parfois gouverné par des imprévoyants et souvent secoué par des crises internes. Il reste malgré tout un pays, rang auquel Israël, lui, ne peut...