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Actualités - OPINION

Incertain relais

Il ne fallait pas trop se forcer pour l’imaginer – tant son règne, étalé sur près d’un demi-siècle, avait fini par sembler éternel – installé vivant dans l’Histoire, au premier rang des Sages, patriarche à 63 ans après avoir été sacré roi à 17 ans, à la fois tuteur peu avare de conseils et oracle alternant mises en garde et prédictions. Au lieu de quoi voici Hussein, à l’automne d’une existence toute en rebondissements et rétablissements aussi spectaculaires qu’imprévisibles, forcé par la maladie de quitter une scène sur laquelle de deuxième couteau, il s’était élevé peu à peu au rang d’acteur principal. L’aura-t-il pour autant marquée d’une empreinte qu’il désirait, ô combien, décisive ? Le grand drame de ce roi de tragédie est qu’il n’aura remporté que des semi-victoires dans son long combat contre Israël d’abord, contre nombre de ses pairs arabes ensuite, enfin contre à la fois cet Est communiste tant honni et un Occident dont il ne fut pas toujours, loin de là, l’enfant chéri. Jusqu’à ce «oui» à la paix péniblement arraché à Benjamin Netanyahu en octobre dernier et dont on attend encore une concrétisation de plus en plus aléatoire. À tout cela on rétorquera que la Jordanie est toujours debout, hier tas de ronces et de pierraille, aujourd’hui décrétée incontournable si l’on veut voir s’élever enfin un édifice de paix qui, pour l’heure, continue désespérément à se défaire sitôt construit. Mais aussi fragile, trop fragile Jordanie, qui aura usé soixante-six gouvernements depuis 1946, année de l’indépendance, englouti des milliards de dollars d’aide étrangère sans parvenir à équilibrer son budget, encore moins à rendre viable une économie ne subsistant que grâce aux seuls gisements de phosphates, forcée de s’aliter à chaque fois que fait mine d’éternuer un de ses voisins et toujours donnant l’impression de ne devoir sa survie qu’à l’habileté du monarque. Les crises successives n’ont jamais manqué de charrier avec elles leur lot d’interrogations qui toutes ou presque tournaient autour de l’avenir. Il se trouvera quelques-uns pour rappeler les précédents d’États donnés pour morts dès leur naissance mais qui ont survécu à tous les cataclysmes, tirant leur force de leur faiblesse, pour reprendre une formule qui eut son heure de célébrité ailleurs… Tout de même, le bilan jordanien des dernières décennies est propre à nourrir quelque inquiétude. Durant cette période, il a fallu au régime oser des alignements souvent dangereux, prendre part à son corps défendant à deux expéditions militaires, lutter à chaque instant pour mériter sa place au soleil, donner la preuve de son arabité en même temps que de sa volonté de coexistence. L’éventualité d’une guerre de succession désormais écartée, il reste le danger d’un aventurisme représenté par l’actuel Premier ministre israélien. Qu’il s’entête, avec les autres faucons de son Cabinet – Sharon, Kahalani et maintenant Arens –, à renvoyer les Palestiniens à une pat- rie de rechange qui serait le royaume hachémite et le Proche-Orient, déjà en panne de paix, se trouverait placé une nouvelle fois sur une orbite faite d’incertains lendemains. Pour éviter le gouffre, il faudrait une Amérique dont le président ne serait pas empêtré dans des draps d’alcôve, un chef installé au Kremlin et non point aux soins intensifs, une Europe réellement déterminée à assumer le rôle qui lui revient de droit, des Arabes qui ne se présentent pas à la négociation en rangs dispersés. Et une Jordanie libérée définitivement de toutes ses craintes. Vaste programme, aurait dit quelqu’un. Irréalisable pour autant ?
Il ne fallait pas trop se forcer pour l’imaginer – tant son règne, étalé sur près d’un demi-siècle, avait fini par sembler éternel – installé vivant dans l’Histoire, au premier rang des Sages, patriarche à 63 ans après avoir été sacré roi à 17 ans, à la fois tuteur peu avare de conseils et oracle alternant mises en garde et prédictions. Au lieu de quoi voici...