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Actualités - OPINION

A Georges Schéhadé

Cher Georges, Depuis qu’à ton tour, «Tu dors comme un grand livre d’images» (1), rien ne s’est vraiment passé. La guerre que tu haïssais est terminée, mais les étrangers que tu vouais aux chasses d’eau sont parmi nous : ils n’ont ni la candeur de Vasco, ni le parler du lieutenant Septembre, et ils écoutent aux portes, ce qui déplairait à l’Anglais que tu portais en toi. Alors, après la publication à Beyrouth d’une édition de tes œuvres complètes l’année dernière, eh bien, cet automne, on t’«expose». Dans un lieu que tu aimais bien, le musée Sursock. Oui, te voilà déjà au musée, baptisé «Poète des deux rives», avec des manuscrits, que tu n’es plus là pour commenter, les affiches auxquelles tu tenais tant, tes objets, enfin. Je ne suis pas sûre que tu le déplorerais, car tu ne détestais par les honneurs et que le travail, ici, est bien fait. Personne ne le déplore d’ailleurs. Mais soudain, pour tes proches, l’élégant bâtiment à arcades a pris un air de mausolée, c’était comme s’il répercutait une seconde annonce de ta mort, comme, si, cette fois, on ne pouvait plus échapper au verdit, rêver de pouvoir te demander à nouveau pourquoi le roman t’ennuyait tant, pourquoi il fallait «être toujours maigre, surtout en poésie», comment s’appelait ce jockey dont ton barbier avait rêvé et qu’il te fit jouer gagnant (et tu gagnas...), comment t’était venu le nom de «Paola Scala», enfin tout et n’importe quoi, mais qui soit bêtement vivant. Et puis on se dit que sans cette fichue guerre, rien n’aurait empêché que cette manifestation ait lieu avant ta mort, et que tu te soit promené, tel l’elfe que tu étais, entre les vitrines et les visiteurs. Bref on se dit, bref on est triste, bref tant pis. Il y a en tant d’avant-propos, de préfaces, de postfaces, il y aura tant d’exégèse pendant les trois journées d’un colloque qui se prépare, et puis j’était tellement grippée, que j’ai renoncé à écrire un texte sérieux sur ton œuvre pour, à la place, te parler. parce que tu nous manques. Beaucoup. PS-Un mufti a récemment fait poursuivre un chanteur, à Beyrouth, en donnant une interprétation obscure du droit canonique musulman. Un moukhtar, qui s’est fait taper sur les doigts par les fidèles d’une mosquée de son quartier a inquiété des artistes qui exposaient du «profane» à proximité du lieu. On crie à l’obscurantisme. Qu’il était plus doux le contexte de l’époque où tu subis ta seule censure : l’interdiction, au Liban entre autres, de Goha le simple, le film de Jacques Baratier dont tu avais écrit le scénario et les dialogues, et dans lequel Goha-Omar Sharif entrait prier dans une mosquée en tenant son âne par un licol. Tu me dirais, si c’était ton genre, que la censure est indivisible. Mais ce qui n’était que bête, du temps de Goha, est devenu bête et méchant. c’était pour te tenir au courant... (1) Dans «Portrait de Jules» (Hommage à Jules Supervielle)
Cher Georges, Depuis qu’à ton tour, «Tu dors comme un grand livre d’images» (1), rien ne s’est vraiment passé. La guerre que tu haïssais est terminée, mais les étrangers que tu vouais aux chasses d’eau sont parmi nous : ils n’ont ni la candeur de Vasco, ni le parler du lieutenant Septembre, et ils écoutent aux portes, ce qui déplairait à l’Anglais que tu portais...