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Actualités - REPORTAGES

Bilan - Un an de lahoudisme Entre blocages et volonté réelle de changement(photo)

Les journalistes massés devant le palais de Baabda scrutent l’horizon, guettant l’arrivée du nouveau président avec l’escorte traditionnelle toutes sirènes hurlantes. Ils ne prêtent aucune attention à la modeste Mercedes qui remonte un peu poussivement la longue avenue bordée d’arbres. C’est pourtant le véhicule choisi par Émile Lahoud pour faire sa première visite au palais qu’il doit occuper pendant six ans. Le présentateur de la télévision publique est si étonné qu’il en bafouille et ne trouve plus ses mots. Le nouveau chef de l’État a été plébiscité au Parlement moins de deux heures auparavant et il vient de prononcer son discours d’investiture. Un immense élan d’enthousiasme gagne le pays qui s’attend à une ère de changement. Cela se passait le 15 octobre 1998… Un an plus tard, l’enthousiasme est quelque peu retombé et innocemment ou non, beaucoup de Libanais s’interrogent sur les promesses du discours d’investiture. Certes, douze mois, c’est bien peu pour porter un jugement définitif, mais il est quand même bon de dresser un premier bilan… À la tête de l’État, Émile Lahoud a sans doute imposé un style nouveau, dès la première minute de son élection. Homme du terrain, peu habitué aux restrictions du protocole et à sa lourde machine, il a très vite montré qu’il comptait se doter d’une escorte minimale renonçant autant que possible aux limousines et autres motards, et préférant les visites-surprise aux diverses administrations. Il s’agit d’abord, pour lui, de surprendre les fonctionnaires (on raconte même que l’un d’eux au service de la mécanique des voitures s’est étranglé dans sa “mankouché” en le voyant apparaître devant lui), mais aussi d’établir un contact direct avec le peuple, ce peuple au nom duquel il n’a cessé de parler lors de son discours d’investiture. D’ailleurs, entre ce président énergique et direct et le peuple, le courant passe bien mieux qu’avec la classe politique. Ceux qui revoient le film de cette année riche en rebondissements ne peuvent que constater qu’il est bien plus à l’aise avec les supporters enflammés de l’équipe de la Sagesse ou avec les habitants anonymes de Jezzine qu’avec les politiciens qui défilent à Baabda ou Beiteddine, et avec lesquels il affiche un sourire crispé. Comme il l’avait laissé entendre dans le discours d’investiture qui sert de référence à son mandat, le président a multiplié les contacts directs avec les jeunes et il n’a jamais laissé passer une occasion de s’adresser à eux. À Baabda, à Beiteddine, à Ghazir et ailleurs, ils ont toujours la place d’honneur. Recevant ceux qui s’étaient rendus à Arnoun pour détruire les barbelés israéliens qui encerclaient la localité, il leur a même promis de les impliquer directement dans la vie politique. Hélas, le projet du droit de vote à 18 ans semble gelé pour cause de pressions confessionnelles et la lutte contre le chômage, principal problème des jeunes, n’a pas encore obtenu des résultats concluants, pour cause de crise économique et de lenteur dans la croissance. Mais au moins, les jeunes sentent désormais qu’on pense à eux, sans que pour l’instant cette pensée ne se soit encore concrétisée. Un problème avec la classe politique C’est plutôt avec la classe politique que le président a un problème qui s’est précisé au fil des mois. Est-ce parce qu’il est un militaire issu d’un milieu différent de celui qui produit habituellement les présidents, ou parce qu’il a placé en tête de ses priorités une vaste campagne de lutte contre la corruption, ou encore parce qu’il se heurte à une opposition particulièrement féroce et bien structurée ? Toujours est-il que le chef de l’État a perdu au fil des mois bon nombre de ceux qui faisaient l’éloge du nouveau régime un an auparavant. Ceux-ci cherchaient-ils uniquement des postes ou ont-ils réellement été déçus par l’approche présidentielle ? Il est sans doute trop tôt pour le dire, mais très vite les accusations de militarisation du régime et de l’absence de conseillers civils autour du chef de l’État se sont multipliées. Pourtant, les neuf experts qui le côtoient quotidiennement affirment qu’il est très ouvert et facile d’accès tout en étant très exigeant. C’est donc ailleurs qu’il faut chercher la cause du problème. Avec M. Lahoud, c’est une approche nouvelle de la gouvernance qui a été instaurée et la classe politique en est plutôt déboussolée, craignant de faire les frais d’une nouvelle loi électorale qui favoriserait l’émergence d’un Parlement acquis au président. Pourtant, bien qu’elle occupe l’essentiel du débat politique actuel, la loi électorale n’a pas encore vu le jour et toutes les spéculations à son sujet ne sont pour l’instant que des vues de l’esprit. Ce suspense, ainsi que la vaste campagne de lutte contre la corruption à travers laquelle la classe politique se sent visée, envenime le climat politique général. Les lenteurs judiciaires Le peuple, lui, ne saurait reprocher au président de vouloir punir ceux qui ont volé l’argent du contribuable. Au contraire, une initiative de ce genre, les citoyens l’espéraient depuis longtemps. Mais le problème, c’est qu’en un an, la réforme administrative aussi bien que la lutte contre la corruption semblent avoir trébuché devant certaines personnalités qui demeurent intouchables. Le slogan «la loi est au-dessus de tous», devenu une sorte de devise de l’actuel régime, en prend un sérieux coup et les multiples enquêtes judiciaires restent en suspens, souvent faute d’éléments et parfois pour raison de protections occultes. Résultat, influencés par une campagne médiatique – qui n’est pas toujours innocente – les citoyens ont parfois l’impression que la justice est sectaire, ou alors qu’elle est dépassée et agit avec amateurisme. S’il est certain que pour être crédibles, les enquêtes nécessitent souvent du temps, les lenteurs judiciaires ouvrent la voie au scepticisme, alimenté par ceux qui n’ont pas intérêt à ce qu’elles aboutissent. Et quand on sait qu’un ancien ministre mis en cause dans certains dossiers n’a pas été interrogé depuis près de quatre mois, on ne peut que se poser des questions. D’ailleurs, la justice dont le président a voulu faire son cheval de bataille est le véritable maillon faible de la chaîne, car elle a été investie d’une mission vitale, alors qu’elle n’a pas fini d’épurer ses propres rangs. Mais, au moins, le processus de la réforme est désormais déclenché et il faut certes un peu plus qu’un an pour mener à terme une si grande entreprise. À condition toutefois d’éviter les dérapages. Sur le plan des libertés, en un an, le président a tenu ses promesses : rétablissement du droit de manifester et souci de respecter la liberté d’expression. Tout au long de l’année, il n’y a eu ni rafles systématiques parmi les jeunes, ni poursuites contre des journalistes, alors que les rares accrocs ont suscité une réaction immédiate aussi bien de la part du chef de l’État que du président du Conseil. Preuve en est, les médias regorgent de déclarations incendiaires des opposants et des loyalistes, même si le niveau du débat laisse souvent à désirer. On pourrait encore relever plusieurs points positifs : le maintien de la paix à Jezzine après le retrait de l’Als et la capacité de l’État de déjouer les pièges d’Israël, la relance des institutions et le fait de doter le Conseil des ministres d’un siège propre, le respect du prestige de l’État, avec le retour du palais de Beiteddine à la présidence de la République, la consécration du principe de la séparation des pouvoirs, avec l’absence officielle de «deals» entre ce qu’on appelait «la troïka présidentielle» précédant les réunions du Conseil des ministres ou celles de la Chambre, l’avènement d’une sensibilité sociale certaine avec les efforts pour préparer un projet de loi pour la retraite vieillesse et surtout les positions claires du pouvoir par rapport au processus de paix. Des options régionales claires Jamais comme aujourd’hui, le régime n’a aussi clairement défini ses options régionales : appui indéfectible à la résistance, refus clair de l’implantation des Palestiniens et harmonie totale avec la Syrie. Le chef de l’État et le président du Conseil n’ont cessé de le répéter aux visiteurs prestigieux qui sont venus à Beyrouth au cours de l’année écoulée et devant les instances internationales. Hélas, on comprend moins pourquoi la plupart des ministres se croient obligés d’évoquer ce thème dans chacune de leurs déclarations, alors que les citoyens attendent d’eux la réhabilitation du réseau routier, des mesures strictes pour mettre fin aux infractions routières, un courant électrique continu, une amélioration des prestations en faveur de la santé, etc. Et si le changement promis s’est manifesté dans la manière de traiter avec la Syrie, apparemment beaucoup moins impliquée dans les affaires internes, les citoyens espèrent qu’il se traduira bientôt dans leur vie quotidienne. Car c’est encore là que le bât blesse. Certes, la nouvelle politique fiscale est une grande réalisation, mais les résultats tardent à se faire sentir, l’agression israélienne n’ayant pas facilité les choses. Les Libanais qui ont massivement applaudi l’arrivée du nouveau président avaient tendance à le croire, en raison de son charisme, doté de pouvoirs extraordinaires. Il leur avait pourtant déclaré, dans son premier discours, «je ne possède pas de baguette magique. C’est tous ensemble que nous devons agir». L’invitation est toujours ouverte.
Les journalistes massés devant le palais de Baabda scrutent l’horizon, guettant l’arrivée du nouveau président avec l’escorte traditionnelle toutes sirènes hurlantes. Ils ne prêtent aucune attention à la modeste Mercedes qui remonte un peu poussivement la longue avenue bordée d’arbres. C’est pourtant le véhicule choisi par Émile Lahoud pour faire sa première visite...