Société - Au Liban-Nord, la fuite vers Denniyé La grande peur de l'an 2000(photo)

À l’appel d’un marabout qui prédit des cataclysmes avant l’an 2000, des centaines de riches citadins ont envahi la région de Denniyé, croyant trouver un refuge à 1 000 mètres d’altitude, dans ces contreforts montagneux, comme à Bqaasifrine, rapporte Nicolas Tohmé, de l’AFP. À bord de 4x4 de luxe ou de Mercedes dernier cri, ces nouveaux arrivants sont des adeptes du cheikh Nazem Rabbani Hakkani dit al-Koubroussi («le Chypriote»), un guide de la secte soufi nakchbandite répandue en Turquie, en Syrie et au Liban. Le soufisme est une forme mystique de l’islam. «Oyez bonnes gens. Allez vivre dans les campagnes près des eaux courantes car le temps des villes et des tours est révolu» : ces injonctions figurent dans le livre du cheikh Nazem, un épais volume à la reliure en cuir bleu foncé et aux lettres d’or avec en couverture la photo de l’auteur. Une adepte, Mme Fatima Kabbani, consent à avouer : «Nous nous préparons à passer l’hiver ici. Nous avons peur d’attaques israéliennes et de cataclysmes comme à Taïwan, en Floride et plus proche de nous, en Turquie et en Grèce». Toutes les familles qui sont venues ici l’ont fait sur les conseils du cheikh al-Koubroussi et sont des adeptes de la voie nakchbandite. Une femme répondant au nom de Bassima, qui s’approvisionne chez le boucher un portable à la main, élude les questions, affirmant simplement «fuir le stress de la ville». Bombe à retardement Une mère de famille accepte de parler à condition de garder l’anonymat. «La vie dans les villes n’est plus supportable. Nous avons marre de la pollution, de l’égoïsme des citadins, de l’anarchie et du mensonge», dit-elle. «Il y a eu des catastrophes naturelles partout comme si la fin du monde se rapprochait. Voyez, cheikh Nazem en parle dans son livre. Regardez cette belle région au climat revigorant habité par des gens simples. Beaucoup sont venus et beaucoup vont nous suivre. Nous ne nous connaissons pas mais nous partageons les mêmes préoccupations», ajoute-t-elle. Elle affirme que les drames de 1999 confirme les prophéties de catastrophes : «Israël a frappé, il frappera de nouveau, voyez les drames de la population civile en Irak, au Kosovo, voyez les cataclysmes naturels. Des milliers de tués, des millions de déplacés. Les religions ont prédit cela». Ouvrant le livre du cheikh Nazem, elle lit à la page 609 : «Le monde est assis sur une bombe à retardement. La grande explosion peut avoir lieu à tout instant d’ici à l’an 2000... Sauve-toi par la prière, par de bonnes actions et tes bonnes intentions... pour pouvoir assister à la venue de Jésus le Messie, du Mehdi attendu et à l’établissement du royaume de la justice». Les adeptes, qui ne dévoilent pas le lieu de résidence actuelle de leur cheikh, affirment qu’il est né à Chypre en 1922. Détenteur d’une licence en chimie de la faculté d’Istanbul, il compte parmi ses adeptes l’ancien président turc Turgut Ozal et le sultan de Bruneï, affirment-ils. Pour le mufti de Tripoli, cheikh Taha Saboundji, il ne s’agit que de «superstitions rejetées par l’islam orthodoxe». Il a appelé les croyants «à ne pas suivre les enseignements de mécréants qui prétendent connaître l’avenir». Hors des questions théologiques, la première conséquence tangible est que ces familles aisées, pour la plupart originaires de Beyrouth, ont fait grimper les prix dans les modestes villages de la région. «Ils semblent riches, bien éduqués», constate Mahmoud, propriétaire d’une épicerie dans le village de Sir. «Leurs femmes sont élégamment vêtues. En un seul jour, trois d’entre elles ont fait des achats pour 1 800 dollars. Elles sont en train de faire des provisions pour l’hiver».