Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

Environnement - Une nature paisible qui appréhende l'implantation prochaine des carrières de pierres Les villages de l'anti-Liban : la vie à un rythme médiéval(photos)

Les carrières de pierres ont défiguré les montagnes vertes du Mont-Liban et inscrit sur leurs flancs une des plus grandes catastrophes écologiques de l’histoire du pays. Un plan directeur adopté par le Conseil des ministres vise à réduire les méfaits de cette industrie en la déplaçant sur la chaîne de l’Anti-Liban, principalement dans la région de Toufayl. Une zone montagneuse quasi désertique enclavée en territoire syrien, à quelque 2 000 mètres d’altitude. On accède au village de Toufayl soit par Damas, soit par la route de Ham en territoire libanais. Un sentier muletier qui s’étend sur 11 kilomètres. La 4x4 peine pour suivre le chemin mais au bout de deux kilomètres les roues patinent, calent. À moins d’escalader la montagne à dos d’âne ou de jouer au cascadeur, on ne peut atteindre le village via le Liban. Cela sera donc pour une autre fois, en s’y prenant autrement. Pour le moment, on peut se contenter d’une tournée d’inspection dans les alentours. L’air du temps À partir de Brital, il faut un solide tout-terrain pour prendre d’assaut les chemins défectueux qui n’ont pas connu le goudron depuis des lustres. La route sinueuse est taillée dans les massifs montagneux qui se succèdent et se font écran. En effet, chaque chaîne de montagne franchie en dévoile une autre dont il faut traverser les brusques lacets. Peu ou pas de villages. Tout juste de temps en temps, une oasis : Aïn el-Arousss, Nabi Sbat, Ham, Maaraboun … Perchées à plus de 1 500 mètres d’altitude, ces retraites accrochées entre ciel et terre prennent un aspect quasi irréel sous l’éclat du soleil. Un calme impressionnant. On entend seulement bruisser les herbes et les buissons. Des hommes, des femmes, des enfants labourent en silence. Ici pas de chants comme dans les champs de plaine : l’oxygène est plutôt rare sur ces hauteurs. Des cours d’eau abondants s’écoulent sur la chaussée, batifolent dans la pierre, sous les arbres épanouis… Les platanes, les noyers et les arbres fruitiers règnent en maître. Le paysage est à couper le souffle. «C’est le pays de l’eau», raconte le moukhtar de Maaraboun. «À la fonte des neiges, s’échappent des torrents au débit capricieux dont il faut se méfier», ajoute-t-il. À Ham, l’apiculture est reine. Les colonies d’abeilles sont les plus réputées du Liban. De l’avis de la population de la Békaa, « elles produisent le meilleur miel au monde». Au sein d’une nature intacte qui déploie ses splendeurs, l’abeille butine les fleurs sauvages. Un monde d’ailleurs et d’aujourd’hui À quelques mois du troisième millénaire, Maaraboun déroule un décor pour ainsi dire médiéval. On traverse avec hébétude des dédales inextricables de ruelles en terre battue ; des carrefours pierreux ; des culs-de-sac. Çà et là, des petites maisons rurales vieillies, décrépies, se serrent comme pour se protéger de quelque danger. Aucune épicerie, aucune boulangerie, aucun établissement de négoce. Tout est étrangement silencieux. En ce mois d’août, aucun habitant ne se hasarde à braver le soleil de midi. On frappe à une porte et un spectacle étrange se présente à nous : un amoncellement incroyable de guéridons, d’étagères, d’ustensiles de cuisine, de napperons, de pots de plantes au milieu d’un fouillis de meubles surchargés de pompons et de passementeries. Tout le bien de pauvres gens accumulé en un même lieu. Une salle qui sert de cuisine et de pièce de séjour. Un bébé est couché dans un berceau de fortune, aménagé dans un tiroir de commode douillettement tapissé de couvertures et rembourré de coussins. La petite fille dort paisiblement. Il est clair que les habitants n’ont point de chance à la loterie de la vie. Mais ils s’extasient de voir couler de l’eau dans leur robinet, depuis 1993. Ils sont fiers de voir les poteaux d’électricité servir de support à des câbles métalliques pour éclairer leurs veillées, depuis 1994 ! En hiver la bouse de bétail sert de combustible ; l’outillage agricole est rudimentaire ; l’enseignement est élémentaire : la nouvelle école dont on est très fier à Maaraboun (3 000 habitants) accueille 300 élèves et assure l’enseignement jusqu’au brevet. Ceux qui désirent poursuivre leurs études doivent quitter le village et gagner la ville la plus proche, en l’occurrence Baalbeck. Mais les hivers rigoureux et rudes isolent ces bourgades du reste du monde. Seuls les rares nantis peuvent alors payer à leurs enfants le luxe d’un pensionnat. Le droit à la santé aussi n’est pas assuré : les habitants ont offert un terrain pour la construction d’un dispensaire, mais «le gouvernement n’a encore rien fait…». La clinique mobile a difficilement accès à ces contrées enneigées en hiver. Certains ne se souviennent même plus de la dernière fois où le médecin de campagne est passé par là. Carrières v/s environnement Voilà en bref Ham et Maaraboun, villages de l’Anti-Liban. Les habitants, avertis par les médias du transfert des carrières dans la région de Toufayl, en redoutent les conséquences sur leur environnement . Ils sentent confusément que les monstres mécaniques qui vont creuser les entrailles de leur montagne vont mettre en danger, comme disent les savants, la «biodiversité de la nature», dévier les cours d’eau, détériorer le «micro-climat» et défigurer la «configuration naturelle» du paysage. Certains habitants de Maaraboun et de Ham craignent que les poussières de calcaire (dites tohol), produites par les carrières et qui seront charriées par les eaux de pluie, n’engloutissent leurs villages. «Nos ayns (sources) seront polluées. Nos récoltes seront détruites». «Les déblais des carrières et les rejets des concasseurs auront des effets néfastes sur les cours d’eau souterrains. Ils provoqueront un changement irréversible dans le régime d’alimentation des sources qui seront déviées, voir même perdues», explique un agriculteur. «Les paysans ne pourront plus irriguer leurs lopins de terre. Ce sera la faillite totale», ajoute-t-il. «Nous avons recueilli des signatures pour une pétition que nous adresserons en temps voulu aux pouvoirs publics», signale encore le moukhtar de Maaraboun. Mais tout le monde n’est pas aussi inquiet. Car les carrières de pierres ouvrent dans la région des perspectives nouvelles. «Elles auront l’avantage d’offrir des emplois à nos hommes», disent les uns. «Elles créeront également un va-et-vient sur nos routes ; ce qui profitera au développement de notre négoce agricole», ajoutent les autres. Un villageois fait déjà mentalement le calcul de ses ventes qui augmenteraient et de ses bénéfices qui pourraient croître en proportion. Un pas de plus vers la sécurité matérielle ! Le jeu de l’oie Des voix s’élèvent toutefois pour dénoncer les éventuels abus qui suivraient l’exécution du plan directeur. Les écologistes demandent «un contrôle effectif» pour l’application du décret 5 616. Avocat, membre du Comité du droit de l’homme à l’Onu, et membre permanent de l’Organisation nationale du patrimoine chargé de l’environnement, Me Abdallah Zakhia trouve que l’implantation des carrières dans l’Anti-Liban «n’est pas la solution». «C’est devenu comme le jeu de l’oie. Avec chaque nouveau ministère, on revient à la case départ», dit-il. Il rappelle qu’en 1994, l’UNDP avait financé une étude pour dresser une carte des zones à protéger et moderniser le système de législation des carrières. «À la suite de cette étude, le décret 5 616 a été adopté. Dans sa version originale, il prévoyait la création d’un Conseil national des carrières où seraient représentés les différents ministères concernés, aux côtés d’experts de l’environnement, les permis d’exploitation étant du ressort du mohafez. Le ministre de l’époque a édulcoré ce projet en s’octroyant le pouvoir de délivrer le permis d’exploitation et en rendant l’avis du Conseil purement consultatif», ajoute Me Zakhia. Il souligne que «le décret, inspiré de la loi française, impose pour toute demande de permis une étude préliminaire détaillée d’impact sur l’environnement et édicte des conditions très strictes d’exploitation». La loi prévoyait, en outre, un arrêt définitif de toutes les carrières au plus tard le 15 septembre 1995 et la soumission de toute nouvelle demande aux conditions de ce décret. «Mais l’État continue à ignorer cet arrêté, renouvelant d’une façon continue les permis d’exploitation des carrières sans imposer les conditions prévues», déclare l’avocat. Quant à la carte des zones protégées, «elle a tout simplement disparu», révèle-t-il. En ce qui concerne le déplacement des carrières vers l’Anti-Liban, ce juriste affirme que «dans l’attente de ce déménagement, l’exploitation des carrières de pierres continuera à porter atteinte à l’environnement au Mont-Liban». Le délai proposé (deux ans et trois mois !) est exorbitant, selon lui. Par ailleurs, «quel que soit le site choisi pour les carrières – y compris l’Anti-Liban – la solution ne serait fiable que par l’application des dispositions du décret 5 616. La crédibilité du ministère de l’Intérieur est engagée. Or jamais jusqu’à présent il ne s’est montré fiable dans la solution de ce problème», ajoute-t-il. «Cette industrie continuera à ravager et à détruire le Liban tant que le pouvoir politique et l’administration concernée ne seront pas réformés, et les carrières dépolitisées», conclut Abdallah Zakhia. Rappelons que la question du délai de transfert à l’Anti-Liban dans deux ans et trois mois a fait l’objet de discussions au sein du Conseil des ministres. Certains membres du gouvernement ont fait valoir que le temps accordé est trop long. D’autres ont souligné qu’il fallait permettre aux sociétés concernées de pouvoir se «recycler» sans trop de pertes financières.
Les carrières de pierres ont défiguré les montagnes vertes du Mont-Liban et inscrit sur leurs flancs une des plus grandes catastrophes écologiques de l’histoire du pays. Un plan directeur adopté par le Conseil des ministres vise à réduire les méfaits de cette industrie en la déplaçant sur la chaîne de l’Anti-Liban, principalement dans la région de Toufayl. Une zone...