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Actualités - OPINION

Regard - Nabil Letayf, Ziad Abillama, Samia Basbous : sculptures Un chemin de vie

Dans la recrudescence des expositions en fin de saison, on trouve le pire mais aussi le meilleur : ainsi de l’impressionnante rétrospective d’un sculpteur amateur qui a débuté sur le tard et qui dame le pion à plus d’un professionnel et non des moindres. Avec l’avantage additionnel d’un recul perspectif sur le métier que confèrent une formation de médecin dermatologue, une vaste culture et une capacité de réflexion et d’écriture sur son expérience, je devrais dire sa passion qu’il sait rendre communicative à travers la sculpture proprement dite (66 œuvres en bois allant de 175 à 16 cm de hauteur, datées de 1992 à 1999) comme à travers un livre – Vibration sur bois, titre de l’exposition également – où, chose rare pour un plasticien et d’autant plus appréciable, il s’explique d’abondance, abordant l’acte créateur par maintes facettes, tout à fait comme il aborderait une racine d’oliver, une souche de caroubier, une branche de noyer, de chêne, d’eucalyptus, de cèdre, de Guni Perus – «Lez-zab» – ou de Melia Azedarach (et non point Arazadech comme indiqué dans la liste des œuvres) – «ZinsPakht. Ce texte, dépourvu malheureusement d’illustrations qui eussent été les bienvenues, surtout si elles avaient été spécifiquement commentées comme Nabil Letayf sait le faire avec une extrême perspicacité, se lit avec autant de plaisir que de profit comme un sorte de long diagnostic introspectif qui se termine par une prescription : continuer à sculpter et, du même coup ou plutôt des mêmes coups, à se sculpter. Nabil Letayf se sait et se veut sculpteur-sculpté, entièrement impliqué dans son acte, identifié à sa création. Pulsations vitales Ce qui est prenant et prégnant dans sa démarche, c’est cette imbrication réciproque, ce quadruple enroulement l’une sur l’autre de la vie personnelle, de la vie médicale, de la vie artistique et de la vie littéraire portées et fédérées par un même dynamisme intérieur. Nabil Letayf aime le bois et l’aime dans sa condition d’origine, conservant le souvenir de l’arbre qu’il a été. Il façonne donc de préférence des pièces où le travail des forces végétatives, voire des forces thermo-mécaniques, reste évident : souvent, il s’inscrit dans sa mouvance pour accentuer, prolonger, affiner les poussées naturelles. Qu’elle soit quasi figurative ou quasi abstraite, l’œuvre continue à vibrer, dirait-on, aux rythmes originaires qui furent ceux de l’arbre. C’est pourquoi elle semble animée de pulsations vitales. Si, dans les formes, Nabil Letayf tient à cette collaboration avec la nature, en revanche, il s’en éloigne autant que possible dans le traitement des surfaces polies et repolies jusqu’à obtenir une peau soyeuse que la lumière caresse avec suavité, l’œil avec délectation et la main avec volupté. Dans son respect des allusions formelles contenues dans les bois élus, Nabil Letayf n’a d’autre issue, pour affirmer malgré tout la suprématie de l’esprit sur la nature, que de se concentrer sur la surface, d’y supprimer en bon dermatologue toute verrue, tumeur, gerçure, rugosité, voire toute texture, sauf, bien entendu, les saillies de vitalité des forces de croissance. Au fond, Nabil Letayf reste médecin-thérapeute : il «soigne» le corps de l’arbre pour le porter à la bonne forme et soigne sa «peau» pour la porter à une «santé» impeccable. Ce faisant, il se soigne et nous soigne en même temps, nous enseignant, par l’exemple, comment tenter de réaliser, pour notre compte, à une époque où leur divorce s’accuse et s’accélère, cet heureux mariage de le nature de l’esprit. La rétrospective, trop brève, se termine le 21 juin. Elle méritait de durer au moins un mois encore. (Anciens locaux de l’Imprimerie catholique). Comme un escargot Ziad Abillama illustre bien cette rupture avec la nature : fils de carrossier, il est normal qu’il ait été attiré, d’entrée de jeu, par les possibilités du métal et par les moyens de la forger disponibles à l’usine familiale. Il a fort bien démarré, il y a juste quelques années, avec des œuvres ouvertes, parfois provocantes, toujours imaginatives, traduisant une prise de position ou de conscience envers le monde et ou la société. Dans son actuelle prestation, il se rétracte comme un escargot dans sa coquille, avec des pièces articulées en volumes géométriques reliés en circuit fermé par des découpes plates irrégulières, le tout uniformément recouvert d’une peinture automobile d’une couleur différente pour chaque œuvre. Formule séduisante mais qui piège dans un formalisme abstrait à tendance minimaliste sans portée et sans horizon qui relève du design industriel plus que de la création plastique et qui constitue en tout cas un net recul par rapport à la première approche plus libre, plus fantaisiste, plus audacieuse, plus critique et engagée. Avec ces œuvres vernissées, policées, urbanisées, il semble que Ziad Abillama ait choisi de se réconcilier avec l’architecture d’intérieur moderniste ou post-moderniste alors qu’il plantait auparavant ses engins métalliques en plein air, sur la plage. Mais Ziad Abillama est jeune, intelligent, sensible, cultivé : il surmontera probablement cet accès de design minimaliste agoraphobique – bien que certaines pièces puissent prétendre à un destin monumental –, si, toutefois, il choisit de poursuivre le chemin de la sculpture qui doit être, comme le montre Nabil Letayf, un chemin de vie et pas seulement de virtuosité. (Galerie Épreuve d’Artiste). Bénéfice du doute Mariée au peintre Chucrallah Fattouh, Samia Basbous, fille d’un des trois frères sculpteurs de Rachana, n’a pas la tâche facile sur ce long chemin : elle doit, à l’instar de ses collatéraux Nabil et Anachar, assumer, assimiler et dépasser si faire se peut un «lourd héritage», expression devenue classique depuis peu et que le vocabulaire de la critique peut fort bien emprunter au lexique politique. Elle cherche naturellement à se démarquer, à affirmer son originalité en recourant au bas-relief moulé plutôt qu’à la sculpture (mais elle produit également des statuettes de bronze qui rappellent celles de son oncle Michel). Elle confectionne le moule en terre glaise, y coule une mixture appropriée de sable et de colles avec d’autres matériaux et en tire des plaques décoratives à l’aspect brut, avec de fines ligne de crête évoquant des thèmes marins (étoiles de mer), maritime (galères phéniciennes) ou abstraits. Elle vit d’ailleurs à deux pas de l’eau, dans une crique préservée, à Héloué, non loin de la maisonnette peinte jadis tant de fois avec tant de verve par Olga Limansky. Les plaques peuvent s’assembler en grands panneaux aux reliefs intéressants et plus complexes. Le résultat est inégal et l’expérience reste à développer. Elle peut aboutir aussi bien à la décoration pure qu’à une manière personnelle de poser et de résoudre des problèmes plastiques, faute de professer une quelconque doctrine. Encore au début de sa carrière, Samia Basbous peut encore jouir du bénéfice du doute.
Dans la recrudescence des expositions en fin de saison, on trouve le pire mais aussi le meilleur : ainsi de l’impressionnante rétrospective d’un sculpteur amateur qui a débuté sur le tard et qui dame le pion à plus d’un professionnel et non des moindres. Avec l’avantage additionnel d’un recul perspectif sur le métier que confèrent une formation de médecin dermatologue,...