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Actualités - OPINION

Ani ... mosité

La voilà qui revient, et certes pas mine de rien, la chansonnette … Dans notre doux pays, la chansonnette connut son heure de gloire à une époque où la bonne parole était régulièrement et abondamment administrée aux journaux, sous forme de partitions musicales non signées, qui renfermaient néanmoins la sacro-sainte pensée officielle : c’était le temps de la fameuse «dactylo» et on pouvait aisément repérer, dans les colonnes des divers quotidiens, ces mêmes textes stéréotypés, frustement concoctés dans les officines occultes… On n’arrête pas le progrès, et le fax nocturne a remplacé, depuis, les fringants coursiers qui colportaient cette peu ragoûtante littérature : le fax mais aussi le très réglementaire bulletin de l’Agence nationale d’«information», laquelle vient de véhiculer un texte aussi outrecuidant et haineux, qu’intellectuellement primaire. Un texte bête et méchant, se voulant un percutant réquisitoire-fleuve contre l’ancien chef du gouvernement Rafic Hariri. Un texte d’autant plus méprisable que son très peu distingué auteur – c’est bien le cas de le dire – s’abrite peu courageusement derrière de bien vagues «sources ministérielles» : des sources d’un genre qu’on voudrait bien, en fait, voir tarir. Et cesser d’empoisonner enfin une ambiance politique déjà pas très saine. Il est proprement scandaleux – et de surcroît bien dommage – que pour une aussi effarante entreprise on ait eu recours, en la discréditant sans doute pour longtemps, à une tribune officielle telle que l’Ani. Et que pour compléter l’affligeant tableau, les obscurs préposés à Télé-Liban aient cru bon d’illustrer, à l’aide d’un montage de clips, cette honteuse rhétorique. Dommage en effet parce que ces dernières années, et malgré un climat politique rien moins que démocratique, l’Ani avait réussi à se hisser à un niveau absolument inégalé de sérieux et même, contre toute attente, d’objectivité. Bien sûr l’Ani continuait de s’acquitter de sa tâche première, consistant à «vendre» les activités et desseins des gouvernants, et elle le faisait plutôt intelligemment ; dirigée par un journaliste de métier, récemment relevé de ses fonctions, elle répercutait volontiers néanmoins les autres sons de cloches: tant et si bien que l’Ani, boudée par des générations de journalistes, était devenue un outil de travail fort apprécié dans les salles de rédaction. Après cette intolérable première, le nouveau directeur est tenu de rectifier rapidement le tir, d’interdire désormais l’accès à son bulletin de tels chefs-d’œuvre d’incongruité, ou bien alors de s’en aller : obligation d’autant plus impérieuse que ce directeur se prévaut, lui aussi, de la qualité de journaliste. Pour ce qui est du scandale, il réside dans le fait que l’Ani s’est fait l’instrument d’une féroce attaque alliant, à la mauvaise foi la plus évidente, un inacceptable recours à la menace, une forme de terrorisme politique absolument étrangère aux mœurs de ce pays : attaque qui, par-delà la personne de M. Hariri, vise en réalité quiconque – homme politique ou simple citoyen – s’aviserait de critiquer certaines prestations gouvernementales. Que reproche-t-on donc à l’ancien chef du gouvernement ? De continuer de se faire recevoir par les grands de ce monde, ce qui prouve, tenez-vous bien, qu’il intrigue avec l’étranger en vue de récupérer son fauteuil perdu. On lui fait grief aussi, tenez-vous bien une fois de plus, de parrainer un prestigieux concert de Pavarotti ou d’animer le souk de Barghout à l’heure où le pays, vivant déjà sous le signe d’une vertueuse austérité et ployant sous l’occupation ennemie du Sud, n’a pas fini de pleurer les quatre magistrats assassinés de Saïda. M. Hariri, enfin, est décrit comme l’orchestrateur d’une campagne antigouvernementale qui aurait pour objectif caché – agrippez-vous cette fois à votre siège – de dissocier les volets syrien et libanais de la négociation, et d’œuvrer sournoisement à un règlement séparé avec Israël ! Le plus grave cependant, c’est l’inconcevable flottement officiel qu’a suscité cette affaire : ici, un Premier ministre qui n’était pas au courant, qui n’en désavoue pas moins le vil procédé, qui engage dans cette même condamnation l’ensemble de son gouvernement, mais omet d’ordonner l’ouverture d’une enquête pour épingler le ministre coupable, si tant est qu’il existe réellement. Là, un ministre de l’Information dont la tâche et l’utilité se limitent pratiquement (du moins le croyait-on) à ânonner tous les mercredis après-midi les décisions du Conseil des ministres ; et qui, après s’être étonné du texte incriminé, finit par l’approuver au moment de prendre l’avion, n’y voyant après tout qu’une juste réponse à de prétendues atteintes à la présidence de la République ; ailleurs encore, des ministres qui se tiennent cois tandis que d’autres font état, en privé, de simples avertissements ainsi lancés à l’opposition… Parce que tous les coups ne sont pas permis en politique et que la vindicte est forcément contre-productive dès lors qu’elle tourne à la persécution, c’est un singulier coup double que vient de réussir à rebours (et sans évidemment faire exprès) le génial auteur de la diatribe apocryphe : d’une part, il a fait cadeau à Rafic Hariri d’un appréciable regain de popularité, l’opinion publique attendant en effet de ce gouvernement qu’il se décide à se tourner vers l’avenir, au lieu de vivoter sur les erreurs et errements du passé. Et d’autre part, ce trop zélé accusateur a gravement porté préjudice à un régime qui s’est engagé, auprès de cette même opinion, à faire de sorte que nul désormais, responsable ou citoyen ordinaire, ne soit au-dessus de la loi. Quid alors des responsables irresponsables, des maîtres-chanteurs dépourvus de nom et de visage, des inquisiteurs encagoulés ?
La voilà qui revient, et certes pas mine de rien, la chansonnette … Dans notre doux pays, la chansonnette connut son heure de gloire à une époque où la bonne parole était régulièrement et abondamment administrée aux journaux, sous forme de partitions musicales non signées, qui renfermaient néanmoins la sacro-sainte pensée officielle : c’était le temps de la fameuse...