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Actualités - REPORTAGES

Sécurité - La tuerie, un acte terroriste organisé, selon une source judiciaire Quatre magistrats abattus en plein tribunal à Saïda (photo)

Des images insoutenables : du sang rouge vif maculant le sol de la salle du tribunal, des cadavres en robe de magistrats, des agents des FSI affolés, des citoyens hébétés… Même pendant les jours les plus violents de la guerre, aucun palais de justice au Liban n’avait vécu un tel cauchemar. Saïda et avec elle tout le pays sont sous le choc. Le coup est terrible, aussi bien pour la justice sur laquelle les yeux sont actuellement fixés, que pour le pouvoir et les citoyens en général: quatre magistrats assassinés en pleine salle du tribunal, deux agents des FSI blessés ainsi qu’un avocat, un greffier et deux citoyens venus assister aux audiences, il ne s’agit plus d’une fusillade vengeresse, mais d’un véritable crime organisé et strictement planifié, dont les coupables se sont évaporés dans la nature. En soirée, une source judiciaire a même qualifié le crime «d’acte terroriste, visant à frapper un sanctuaire judiciaire et à porter un coup fatal à la paix civile». Il y aurait, selon elle, beaucoup de pistes, mais pas encore de résultats. Aussitôt la nouvelle connue, le ministre de la Justice, le procureur de la République et le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire se sont rendus sur les lieux. L’enquête est menée dans le plus grand secret, mais le drame dépasse le cadre d’un simple règlement de comptes et les sources officielles promettent d’en dévoiler rapidement les dessous. Il est 12h10 au Palais de justice de Saïda, un bâtiment banal situé dans l’une des rues principales de la ville donnant sur la place Nejmé, entouré de boutiques et d’un parking sur son flanc ouest. Comme chaque mardi, la cour criminelle du Liban-Sud est en pleine session. Elle a huit audiences à conduire, dans des affaires d’assassinat, de trafic de drogue, de falsification de dollars et de vols, bref la routine pour un tribunal pénal. Huit inculpés dont deux Palestiniens sont dans le box des accusés. Soudain, le feu s’abat sur les magistrats, à partir de la fenêtre située derrière leurs sièges, dans la salle du tribunal au rez-de-chaussée du bâtiment. Nul n’a le temps de réaliser ce qui se passe que déjà les corps s’effondrent. La fusillade dure à peine une minute, mais le bilan est déjà terrible. Les trois magistrats du siège, le président Hassan Osman et ses assesseurs Walid Harmouche et Imad Chéhab, ainsi que le procureur général du Sud, Assem Abou Daher, sont atteints à la tête, au dos et au cœur. Ils meurent sur le coup. Le greffier Camille Rahal ainsi que l’avocat Salem Slim, le sergent des FSI Ali Alyane, le policier Akram Achkar et deux citoyens, dont une dame, Zahra Najm, sont blessés. Dans la salle, les personnes présentes ne songent qu’à s’enfuir. C’est la ruée vers les deux portes, dans une panique indescriptible. Dans le périmètre du Palais de justice, ce ne sont plus que hurlements et pleurs. Dans leur fuite éperdue, les citoyens ne se rendent même pas compte qu’ils pataugent dans des mares de sang… Très vite, les FSI et l’armée établissent un cordon de sécurité autour des lieux du drame alors que les secours commencent à affluer. Impossible, à cet instant, d’avoir une version cohérente de la tuerie. Les rescapés balbutient des mots sans suite sous le coup du choc subi. Plus tard et après de multiples recoupements, il apparaît que les agresseurs seraient au moins quatre («quatre ou cinq» déclarent les sources proches de l’enquête qui précisent que «deux d’entre eux ont tiré à l’aide de mitraillettes Kalachnikov alors que les trois autres les attendaient pour assurer leur évasion»), ils se seraient enfuis par le parking en direction de la corniche qui longe la mer, laissant derrière des mitraillettes, un lance-roquettes et des munitions, jetés à la hâte. Au début, on ne sait pas encore si un des inculpés a pu s’évader dans le désordre qui a suivi la fusillade. Plus tard, des sources officielles affirmeront qu’aucun prévenu ne s’est enfui. Les mêmes sources préciseront que cet élément «prouve que la tuerie n’a aucun lien avec les procès actuellement en cours. Elle vise la justice, le Liban et la sécurité en général». Négligence Pour les FSI, le coup est d’autant plus terrible qu’il y a quelques mois, deux de leurs camarades avaient été tués par des motards à Saïda même et les coupables n’ont jamais été identifiés. Les lacunes de la sécurité dans la capitale du Sud, où le camp palestinien de Aïn Héloué constitue un îlot à part, l’armée en contrôlant simplement les accès, reviennent brusquement dans tous les esprits et au-delà de la révolte, de la colère et de la douleur, c’est l’imprévoyance de ceux qui, sachant que la justice est aujourd’hui sur la sellette, laissent les salles du tribunal si peu protégées qui est dénoncée. D’ailleurs, selon des sources officielles, une enquête a été aussitôt ordonnée pour déterminer s’il y a réellement eu négligence dans la protection du siège du tribunal. Il faut rappeler à ce sujet qu’un autre palais de justice était en construction à Saïda, dans un lieu beaucoup moins peuplé et accessible, mais le chantier n’avait pas été achevé et le gouvernement, dans un souci d’austérité, avait suspendu le projet. Ceux qui avaient encore des doutes sur la gravité de l’événement réalisent soudain l’ampleur de ce qui s’est passé en voyant les visages hagards du ministre de la Justice, Joseph Chaoul, du procureur de la République Adnane Addoum et du commissaire du gouvernement près le tribunal militaire Nasri Lahoud, venu avec ses adjoints MM. Joseph Maamari, Myassar Chokr et Majed Mouzayé. Le sang n’a pas encore séché dans la salle du tribunal que tous sont déjà sur les lieux, pour superviser le déroulement de l’enquête. «Il est trop tôt pour parler», déclare M. Chaoul, la voix enrouée. «C’est un crime terrible contre la justice», affirme M. Addoum, le débit plus haché que d’habitude. Quant à M. Lahoud, il se veut un peu plus rassurant : «Nous aurons sans doute des pistes d’ici quelques heures.» Mais jusque tard dans la soirée, rien ne filtre. Et si le ministre de l’Intérieur Michel Murr préside en soirée une réunion du conseil de sécurité régional, à Saïda, les débats demeurent strictement secrets. Les autorités ne veulent certainement pas se lancer dans des hypothèses non confirmées dans un moment aussi crucial. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne s’agit pas d’une réaction de colère à un jugement estimé excessif, comme on a voulu le dire au début. Ce n’est pas non plus l’œuvre d’une mafia quelconque comme ce fut le cas lors du seul précédent en 1974, lorsqu’un avocat général dans la Békaa, Kabalan Gaspard, avait été abattu sur le seuil de la cour criminelle de Zahlé, par des contrebandiers mécontents. Cette tuerie atroce n’a en effet épargné aucune partie, ni les membres de la cour, ni le représentant du parquet, ni les FSI, ni même les avocats. Selon les premières déductions, elle n’avait pas pour objectif d’influer sur le cours d’un procès déterminé, car dans ce cas, il aurait été plus simple de chercher à intimider les magistrats plutôt que de les tuer. Il s’agirait donc, selon une source judiciaire «d’un acte terroriste». La même source précise que l’enquête a deux volets : il s’agit d’abord de savoir s’il y a eu négligence dans la protection du tribunal et ensuite de chercher à identifier les coupables. Concernant le premier volet, la source ajoute qu’il y aura rapidement des résultats concrets et que déjà, il s’agit de préciser à quel échelon a eu lieu la négligence. D’ailleurs, plusieurs gardiens du Palais de justice de Saïda ont été arrêtés en soirée. Quant au second volet, il prendra un peu plus de temps et il est encore prématuré de lancer des accusations. Reste la terrible question : à qui profite ce massacre ? À tous les ennemis du Liban, ceux qui veulent non seulement terrifier la justice sur laquelle les Libanais fondent beaucoup d’espoirs, mais aussi porter un coup fatal à un État en voie de reconstruction, à l’heure où des développements importants sont attendus dans la région.
Des images insoutenables : du sang rouge vif maculant le sol de la salle du tribunal, des cadavres en robe de magistrats, des agents des FSI affolés, des citoyens hébétés… Même pendant les jours les plus violents de la guerre, aucun palais de justice au Liban n’avait vécu un tel cauchemar. Saïda et avec elle tout le pays sont sous le choc. Le coup est terrible, aussi bien...