Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

Le rapprochement franco-syrien Quels dividendes pour l'intermédiaire libanais ?

«Lorsque le lion sort de sa tanière, c’est que la chasse s’annonce bonne». Ce commentaire d’un spécialiste de la politique syrienne à Beyrouth reflète l’intérêt accordé à la visite de deux jours en France du président syrien, M. Hafez el-Assad. Une visite importante de par la rareté des déplacements du chef de l’Etat syrien à l’étranger, de par son timing, mais surtout en raison de ses probables répercussions sur la scène libanaise. Lorsque le chef de l’Etat syrien s’est rendu à Paris les 16 et 17 juin 1976, c’était pour exposer les objectifs de l’intervention de son armée au Liban deux semaines plus tôt et pour trouver un soutien en Occident face aux pressions de l’Union soviétique et de nombreux pays arabes qui appuyaient le Mouvement national libanais et l’OLP. A cette époque, une délégation comprenant les abbés Charbel Kassis, Emmanuel el-Khoury et Antoine Karam s’était rendue à Paris, non pas pour défendre cette intervention, mais pour expliquer qu’elle tombait à point nommé pour empêcher une défaite totale des milices chrétiennes. Pendant ce temps, la gauche libanaise et les partisans de la résistance palestinienne manifestaient dans les rues de Paris contre la visite de M. Assad... Depuis ces années folles, beaucoup de choses ont changé au Proche-Orient en général et au Liban en particulier. Mais les objectifs de M. Assad demeurent les mêmes: éviter l’isolement de son pays. Et si la France considère Beyrouth et Damas comme une porte d’entrée dans la région, la Syrie estime de son côté que Paris possède les clefs d’une Europe qu’elle sent lointaine, alors qu’en réalité elle n’en est séparée que par quelques encablures. La visite est importante, on ne le dira jamais assez. Elle l’est aussi bien pour la Syrie, pour la France que pour le Liban. Elle constitue l’aboutissement d’un processus de rapprochement dans lequel Beyrouth a joué un rôle de premier plan et qui a nécessité des mois de préparation. Avant d’en arriver là, les relations entre la France et la Syrie ont traversé des moments difficiles. Dans la première moitié des années 80, les autorités françaises soupçonnaient Damas d’être impliqué dans l’assassinat en septembre 1981 au Liban de l’ambassadeur Louis Delamare et dans l’explosion de la rue Marbeuf à Paris en avril de l’année suivante. Les attachés culturel et militaire syriens à Paris, Mikhaïl Kassouha et Hassan Ali, furent expulsés après cette affaire. Puis il y eut l’attentat contre les soldats français de la force multinationale et l’enlèvement des otages occidentaux. La rupture totale put être évitée grâce à la visite en Syrie en novembre 1984 du président François Mitterrand. Les artisans du rapprochement Après un statu quo de plusieurs années, les relations ont commencé à s’améliorer après la fin de la guerre. Les véritables progrès ont été réalisés à la suite de l’élection de M. Jacques Chirac. Ce sont deux hommes, Dominique de Villepain, directeur général de l’Elysée, et Bernard Emiet, responsable du dossier du conflit israélo-arabe, qui sont les maîtres d’œuvre du retour de la France dans la région. M. Emiet s’occupe particulièrement des affaires du Liban et de la Syrie. Il a été récemment nommé ambassadeur en Jordanie, mais a retardé la prise de ses fonctions jusqu’au lendemain de la visite de M. Assad. Après leur retour au pouvoir, les socialistes ont choisi la continuité. La nomination de M. Hubert Védrine au poste de ministre des Affaires étrangères en est la concrétisation. M. Védrine, qui avait effectué deux visites importantes en Syrie dans les années 80 à la demande de François Mitterrand, connaît bien le dossier des relations entre les deux pays. La désignation de M. Jean-Claude Cousseran au poste de directeur du département du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord traduit aussi la volonté des socialistes de poursuivre l’œuvre entamée par M. Chirac. M. Cousseran est l’artisan des grands rapprochements entre la France, la Syrie et l’Iran. C’est lui qui a mené la négociation qui a permis à la compagnie pétrolière Total de décrocher un important contrat en Iran. La Syrie, pour sa part, a nommé un ambassadeur à Paris, alors que dans la plupart des capitales européennes sa représentation diplomatique se limite à un chargé d’affaires. Elias Najmé a dû abandonner son mandat parlementaire pour rejoindre son poste. Parfaitement francophone et très proche de M. Bachar el-Assad, ce diplomate s’est attelé dès sa prise de fonction à régler tous les dossiers en suspens entre les deux pays. Il s’est rendu célèbre par son franc-parler et par ses critiques publiques contre la corruption «des fils de certains responsables en Syrie». Concessions syriennes Les efforts de M. Hariri pour le rapprochement entre la Syrie et la France ne peuvent pas non plus être ignorés. Le chef du gouvernement a patiemment joué le rôle d’intermédiaire entre les deux pays et a su investir dans ce domaine les rapports amicaux qui le lient au président Chirac. Evidemment, le rapprochement franco-syrien n’aurait pas été possible si la France n’avait reconnu à la Syrie un rôle prépondérant au Liban au nom des «relations privilégiées» entre les deux pays. L’amélioration des relations entre Paris et Damas a eu, en France et en Syrie, des répercussions dans tous les domaines. Le centre culturel français qui a rouvert ses portes en Syrie est aujourd’hui parmi les trois plus importants établissements de la région. Dans le même temps était inauguré à Paris le centre culturel syrien. Les échanges culturels et pédagogiques se sont considérablement accrus: quatre mille étudiants syriens sont inscrits dans des universités françaises et les équipes archéologiques françaises sont à pied d’œuvre sur les plus grands sites en Syrie. L’économie aussi a profité du réchauffement des relations. Damas a préféré les Airbus aux Boeings et les locomotives Alsthom à celles qui sont fabriquées en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. Elf et Total ont aussi obtenu deux grandes concessions dans des champs pétrolifères syriens. Les relations économiques sont appelées à s’améliorer davantage après le règlement du contentieux portant sur les arriérés de paiements accumulés par la Syrie (1,8 milliard de francs). La contribution de M. Chirac a par ailleurs été d’un grand secours pour régler le litige entre Damas et le Club de Paris concernant les dettes syriennes. La France a pu cueillir sur le plan politique les fruits de l’amélioration des relations économiques. Sans le consentement de la Syrie elle n’aurait jamais pu participer au comité de surveillance du cessez le feu au Liban-Sud qui a marqué son retour sur la scène régionale. Tous ces progrès ont pavé la voix à la visite de M. Assad. Et les gestes consentis par la Syrie ces dernières semaines montrent l’importance qu’elle accorde à cet événement. La libération du plus célèbre prisonnier politique en Syrie, Riad Turk, et de 250 autres détenus d’opinion (dont de nombreux communistes), ainsi que le retour de certains opposants de l’exil, ne sont pas fortuits. L’organisation d’élections municipales relativement libres au Liban s’inscrit dans le même cadre. «Il s’agit sans aucun doute d’un signal émis par la Syrie en direction de la France. M. Chirac l’a compris et dans son allocution à l’aéroport de Beyrouth le 31 mai il a félicité les Libanais pour l’organisation de ce scrutin dans des conditions démocratiques», déclare un observateur libanais proche tout à la fois de la Syrie et de la France. «Il importe beaucoup à la Syrie dans la période actuelle de se faire une nouvelle respectabilité, ajoute la même source. La France pourrait lui ouvrir les portes de l’Europe et des institutions financières européennes et internationales. Damas pourrait aussi se procurer des armes défensives auprès de ce pays. La Syrie craint l’isolement et appréhende l’alliance militaire entre la Turquie et Israël. Les relations entre Paris et Ankara sont mauvaises et la récente reconnaissance par l’Assemblée nationale française du génocide arménien n’a fait que compliquer les choses. Même dans ce dossier, il y a une convergence de vues entre Paris et Damas». Le dossier libanais sera évoqué lors de cette visite sous deux angles: l’affaire de la 425 et la politique interne. Concernant la première question, les positions de la France et de la Syrie se sont considérablement rapprochées après la dernière visite à Paris de MM. Abdel-Halim Khaddam et Farouk el-Chareh. D’un autre côté, on ne sait pas encore clairement comment le dossier de l’élection présidentielle sera abordé, même si l’on croit qu’il le sera certainement. C’est avec beaucoup de prudence que toutes les parties concernées traitent cette question. Ainsi, le chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, a décliné une invitation de M. Chirac pour assister en direct au stade de France à la finale de la Coupe du monde, afin de ne pas donner l’impression à la Syrie qu’il allait évoquer ce dossier avec les responsables français quatre jours avant la visite de M. Assad. De source bien informée, on indique que les Français continuent de sonder leurs amis libanais sur l’opportunité d’évoquer cette question avec M. Assad directement, ou avec certains membres de la délégation qui l’accompagne. Une chose est sûre, la Syrie devrait répondre favorablement au souhait de la France de voir le climat politique et économique au Liban s’assainir davantage. C’est le moins que l’on puisse demander quand on sait que Beyrouth, par le biais du président Rafic Hariri, a joué un rôle important dans le rapprochement entre Paris et Damas. Reste à espérer que le Liban touchera un jour la totalité des dividendes de ce rôle d’intermédiaire, et non pas seulement un lot de consolation.
«Lorsque le lion sort de sa tanière, c’est que la chasse s’annonce bonne». Ce commentaire d’un spécialiste de la politique syrienne à Beyrouth reflète l’intérêt accordé à la visite de deux jours en France du président syrien, M. Hafez el-Assad. Une visite importante de par la rareté des déplacements du chef de l’Etat syrien à l’étranger, de par son timing,...