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Actualités - OPINION

Du fait main

La gifle? Quelle gifle? Parce que les médiateurs ne veulent pas baisser les bras, et n’ont pas encore désespéré d’un compromis honorable; parce qu’un éventuel débat aurait plongé dans l’embarras de nombreuses excellences écartelées entre leur crainte des foudres présidentielles et leur souci des faveurs médiatiques; parce que dans cette singulière république c’est invariablement le chacun pour soi et que de toute manière l’affaire était traitée en haut lieu, le Conseil des ministres hebdomadaire a choisi d’occulter ce qui est pourtant devenu en quelques jours le principal sujet de conversation des cercles politiques. Et même mondains, si tant est que la politique, à force de voler bas, la pauvre, peut encore se hisser au niveau des salons. L’hallucinant incident de samedi dernier, au cours duquel le président Hraoui a publiquement administré un soufflet, assorti d’invectives, au journaliste Hassan Sabra, n’est pas fait en tout cas pour rehausser l’image, déjà pas très reluisante, du pouvoir: machin hybride, multicéphale qui, en raison de la conjoncture que l’on sait, n’a de comptes à rendre qu’à lui-même (mais quel lui-même?) ou alors à ses protecteurs et garants, mais certes pas aux institutions en place. Et encore moins à l’opinion publique: une preuve supplémentaire de cette incroyable désinvolture est le peu de cas fait, par le même Conseil des ministres, des graves pannes de courant électrique qui préoccupent bien davantage des centaines de milliers de citoyens que, par exemple, l’historique décision de faire imprimer un nouveau timbre-poste ou encore la désignation d’un conseil d’administration pour l’hôpital gouvernemental de Kartaba! Pour en revenir au soufflet présidentiel, tout un chacun — y compris naturellement le président — est parfaitement libre de tenir ou non en estime M. Sabra, rédacteur en chef de la revue «Al-Chira’a» qui, surtout depuis la controverse sur le mariage civil, publie des éditoriaux dont l’irrévérencieuse sévérité à l’égard de M. Hraoui n’a d’égale (et tout le problème réside sans doute là) que la dévotion enthousiaste et inconditionnelle au premier ministre Rafic Hariri. On peut aussi reprocher au journaliste Sabra son étrange insistance à imposer au président une poignée de main que celui-ci lui déniait absolument, alors qu’ils se trouvaient au domicile du ministre de l’Intérieur affligé d’un deuil familial. Mais comment comprendre, comment admettre que le premier personnage de l’Etat, qui n’avait qu’un signe à faire à ses nombreux messieurs de compagnie pour qu’ils éconduisent poliment mais fermement l’importun, ait pu réagir de l’extraordinaire façon que l’on sait, envoyant inconsidérément à la figure de l’autre cette même main qu’il était en droit de lui refuser seulement? A gaffe monumentale, dégâts colossaux: outre la gêne considérable infligée à son hôte de Bteghrine le ministre Murr, c’est bel et bien toute la profession qu’a offensée le président en s’en prenant de la sorte à l’un de ses membres, quel qu’il soit, Sabra se trouvant assumer par ailleurs des responsabilités syndicales. D’alléguer qu’il ne s’agit là que d’un conflit «individuel» comme le fait M. Hraoui — qui se dit ulcéré, de surcroît, par la réaction savamment dosée pourtant des syndicats — ne fait qu’ajouter à l’incommensurable absurdité de la situation: où irions-nous en effet si tous les dirigeants, dédaignant le formidable arsenal juridique disponible pour intimider ou châtier la presse, se mettaient à suivre exemple venant de si haut et invoquaient, à leur tour, des motifs individuels ou personnels pour régler leurs comptes avec les journalistes qui n’auraient pas l’heur de leur plaire? Et pourquoi pas dès lors, au lieu du théâtral mais non léthal soufflet fait main, des méthodes plus musclées, des représailles à la carte, pouvant aller du passage à tabac à des mesures plus radicales? Non moins atteinte que la profession de journaliste est la charge présidentielle elle-même dont tous les Libanais ont à cœur de préserver la dignité, qu’ils soutiennent ou non son détenteur du moment: souci qui, auprès du pensionnaire de Baabda, aurait dû et devrait continuer de prévaloir sur toute autre considération. Plutôt que de noyer le poisson comme on semble y œuvrer en ce moment — en misant sur le fait que d’autres et inévitables excentricités de la chronique politique ne tarderont pas à faire oublier la gifle fantôme — c’est à une telle restauration qu’il convient de s’atteler, car il y va de la toute première des institutions. Il devrait être évident pour tous en effet que dans un pays comme le nôtre, les écarts de langage ou la vivacité du comportement ne peuvent suffire pour faire des hommes à poigne: ceux-là mêmes dont a précisément besoin le Liban de l’après-guerre, celui de la réconciliation nationale authentique, du partage effectif du pouvoir. Au terme d’un mandat d’une durée exceptionnelle et néanmoins marqué par une profusion de crises institutionnelles, ce que M. Hraoui vient de prouver avec un éclat tout particulier, c’est qu’il est un président doté d’une mémoire d’éléphant, un président impulsif, soupe-au-lait, qui voit rouge, qui a son franc-parler et qui est exceptionnellement prompt à passer de la parole aux actes. A l’approche d’une retraite on ne peut plus méritée, et quitte à en oublier un moment son obsessionnel conflit avec Rafic Hariri, M. Hraoui doit encore démontrer — par un de ces actes de courage réclamés en compensation par la presse — qu’il peut être aussi un président fort.
La gifle? Quelle gifle? Parce que les médiateurs ne veulent pas baisser les bras, et n’ont pas encore désespéré d’un compromis honorable; parce qu’un éventuel débat aurait plongé dans l’embarras de nombreuses excellences écartelées entre leur crainte des foudres présidentielles et leur souci des faveurs médiatiques; parce que dans cette singulière république...