Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

"La pomme" de Samira Makhmalbaf Zahra et Massoumeh, enfants sauvages de Téhéran

Samira Makhmalbaf est bien la fille de son père, Mohsen Makhmalbaf, le réalisateur, entre autres, de «Salam cinéma» et «Gabbeh» et, à dix-huit ans, elle a déjà réussi à se faire un prénom. Sans doute aussi à gagner une place dans «Le Livre des records» car on ne voit pas d’autre cinéaste de cet âge qui soit parvenu, à ce jour, à se faire sélectionner par le Festival de Cannes. Projeté dans la section «Un certain regard» et sorti dans la foulée à Paris, son film, «La pomme», entame aussi sa carrière à Téhéran, apparemment sans tracasseries, ce qui vaut d’être signalé. Une place dans la société Le dossier de presse contient cette information renversante: en Iran, l’âge adulte légal pour une fille est de huit ans et demi! On n’en trouve que plus incroyable le sort des deux héroïnes de «La pomme», Zahra et Massoumeh, des jumelles séquestrées par leurs parents depuis leur naissance jusqu’à l’âge de onze ans dans un quartier pauvre du sud de Téhéran, celui-là même où la réalisatrice a grandi. Les voisins ont mis du temps à réagir mais se sont enfin décidés à alerter le bureau d’aide sociale, et le film s’ouvre sur un gros plan de leur pétition portant à la fois des signatures et les empreintes du pouce de certains, car on peut bien être analphabète, ce n’est pas pour autant qu’on manquera à la morale. Les arguments avancés sont élémentaires, de ceux qui tombent sous le sens: ces malheureuses fillettes ont droit à un avenir, à une place dans la société. Un joli proverbe est même appelé en renfort: si l’on ne se réchauffe pas avec le soleil du matin, on ne se réchauffera pas avec le soleil du soir. Une assistante sociale est dépêchée pour mener une enquête: elle joue son propre rôle dans le film, de même d’ailleurs que les autres protagonistes de ce fait divers authentique. Zahra et Massoumeh sont effectivement prisonnières derrière une grille qui donne sur la courette d’une maison lépreuse. Elles tirent la langue à la façon de l’idiot du village, esquissent un sourire à la fois débile et attendrissant et s’expriment par des monosyllabes inaudibles autant qu’incompréhensibles qui ne sont pas sans évoquer le langage minimal de Victor, l’enfant sauvage de François Truffant. De leur mère aveugle, qui semble, elle aussi, claquemurée dans les pans de sa longue robe, on ne verra même pas le visage, entièrement dissimulé par un foulard. Le père est un pauvre homme sans instruction même s’il assure, d’un ton geignard, avoir «étudié quatre hivers, selon l’ancienne méthode». Sa curieuse profession consiste à réciter des prières, contre de l’argent, pour que soient exaucés les vœux de ses «clients». A l’assistante sociale, il montre un vieux livre intitulé «Conseils aux pères», où il est dit que «la fille est comme une fleur. Si le soleil brille sur elle, elle se fanera». C’est donc par amour qu’il a séquestré ses filles, afin de les préserver. On comprend vite qu’il n’est pas mauvais bougre et combien il se sent humilié d’être montré du doigt depuis que le voisinage s’est mobilisé contre lui. Dans la rue L’apprentissage de la vie devant passer par celui de la rue, on lâche Zahra et Massoumeh dans les venelles qui entourent leur maison. Avançant d’un pas mal assuré dans leurs savates trop grandes, elles sont confrontées à la cupidité d’un jeune marchand de glaces et au sadisme d’un autre garçonnet qui, installé sur un balcon stratégique, a suspendu à une perche une grosse pomme qu’il ne manque pas de tirer vers lui dès qu’elle se trouve à portée des passants. Mais elles découvrent également l’amitié grâce à deux filles de leur âge qui adoptent ces étranges créatures, comme tombées d’une autre planète, avec cette généreuse indifférenciation dont savent faire preuve les enfants. Ne fallait-il pas une morale à cet apologue sur l’enfermement et la liberté? Voilà que l’assistante sociale, décidément pleine de ressources, boucle le père de Zahra et Massoumeh derrière cette même grille dont il avait fait leur seul horizon, à charge pour elles de le délivrer. Plutôt bonhomme, il ne prendra pas trop mal sa mésaventure d’arroseur arrosé. Samira Makhmalbaf, qui a déserté l’école à quinze ans et fait ses classes en regardant des films en cassettes, voue une profonde admiration à Flaherty et, prenant exemple sur lui, mêle subtilement dans «La pomme» documentaire et fiction. Tourné en onze jours seulement avec un budget dérisoire, ce film est un petit chef-d’œuvre de tact et d’humour feutré qui pousse très loin son propos sans jamais s’appesantir sur les symboles.
Samira Makhmalbaf est bien la fille de son père, Mohsen Makhmalbaf, le réalisateur, entre autres, de «Salam cinéma» et «Gabbeh» et, à dix-huit ans, elle a déjà réussi à se faire un prénom. Sans doute aussi à gagner une place dans «Le Livre des records» car on ne voit pas d’autre cinéaste de cet âge qui soit parvenu, à ce jour, à se faire sélectionner par le...