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Actualités - REPORTAGE

A Kaa, Ras Baalbeck et Fakiha, des alliances politiques insolites (photos)

Dans certains villages chrétiens ou mixtes du Nord de la Békaa, les élections municipales ont été un bon indicateur de la situation d’après-guerre, faisant ressortir tantôt d’antiques conflits familiaux, tantôt des rivalités confessionnelles enfouies et exploitées selon certains par des partis politiques, tantôt la résurgence de partis politiques qui n’avaient plus de présence significative depuis la guerre. Fakiha (et Jdeidet Fakiha), Kaa et Ras Baalbeck ont connu hier des batailles entre listes opposées, des conflits bâtards, politiques et familiaux. L’affluence était généralement bonne et les rumeurs les plus folles ont circulé entre les candidats. Les habitants concernés d’une façon ou d’une autre étaient particulièrement loquaces, avec la gentillesse qui caractérise les habitants de la région. Si l’ambiance était familiale et cordiale dans la plupart des bureaux de vote, notamment à Ras Baalbeck et Kaa, les conditions dans lesquelles se passaient les élections étaient généralement loin d’être idéales: salles trop petites qui contenaient difficilement les délégués particulièrement nombreux et l’affluence de citoyens. Des isoloirs qui ne méritent pas toujours leur nom, étant ouverts de tous les côtés ou alors cachant un meuble trop grand pour permettre à un homme de taille normale de s’y glisser... La chaleur étouffante et le soleil de plomb n’ont cependant pas empêché les nombreux partisans des différentes listes, arborant les casquettes et T-shirts traditionnels, de sillonner les centres de vote pour promouvoir leurs candidats. Beaucoup d’électeurs se sont également déplacés de Beyrouth et d’autres régions pour exercer leur droit de vote dans leur région natale. Clivage à Fakiha A Fakiha, un village connu pour sa longue histoire de cohabitation entre deux larges communautés chrétienne et musulmane, le village a offert le spectacle d’un certain clivage: vers la mi-journée, les bureaux de vote consacrés aux musulmans avaient une affluence bien plus considérable que ceux consacrés aux chrétiens. Les premiers se caractérisaient par une forte présence de personnes récemment naturalisées, reconnaissables à leur tenue bédouine. Celles-ci étaient généralement très réticentes à s’adresser aux journalistes, une d’entre elles a simplement répondu: «Nous sommes des bédouins» à une question sur leur lieu de résidence. Deux listes s’affrontaient à Fakiha: l’une, la liste de développement et de changement, a pour président M. Diab Mohieddine, un notable de la contrée. Elle est complète (15 membres). La seconde, la liste de l’avenir, est incomplète et appuyée par le député Ismaïl Succarié. Ce dernier a eu des propos virulents à l’égard de ses adversaires. Dans une déclaration à «L’Orient-Le Jour», il a précisé: «Nous aurions voulu former une liste consensuelle et nous y sommes presque parvenus, mais certains obstacles étaient insurmontables». Interrogé sur la nature de ces obstacles, M. Succarié a répondu: «Il y a eu des achats de voix de la part du président de la liste adverse qui s’est imposé en tant que tel. Les principaux destinataires des pots-de-vin étaient les chrétiens de la ville». A la question de savoir pourquoi il avait mentionné seulement les chrétiens, M. Succarié a rectifié: «On a payé à tout le monde sous une forme ou une autre». Sur le risque que ces élections ne nuisent à la coexistence, le député a dit: «Je ne le crois pas parce que nous allons discuter de cela à tête froide après les élections». Il a cependant trouvé que «bien que les élections soient très calmes au plan sécuritaire, un grand nombre de fraudes sont commises par la liste adverse». Du côté de M. Mohieddine, on tient un tout autre langage. Le président de la liste assure: «Je défie quiconque m’accuse de payer un sou pour une loyauté que les gens me vouent tout naturellement». Il a nié l’existence d’un clivage intercommunautaire dans le village et n’a pas commenté les rumeurs sur de possibles ingérences politiques dans l’autre camp. M. Michel Chraim, candidat sur la liste de M. Mohieddine, a tenu le même langage: «Les rumeurs d’achats de voix ne méritent pas qu’on les commente. Quant à la coexistence, elle a toujours été exemplaire à Fakiha et va le rester. L’étape actuelle n’est pas plus dangereuse que celle de la guerre». Partis politiques à Kaa La situation à Kaa est légèrement différente. Ce village à population chrétienne situé aux frontières de la Syrie a connu une bataille électorale entre deux listes, l’une complète et appuyée par le député Marwan Farès et l’autre incomplète. Dans la première, «la liste de l’accord», les différentes familles et les divers partis sont représentés, parmi eux le parti Kataëb dont les partisans ont longtemps été absents de la ville après le massacre de 1978 qui avait fait 24 morts dans leurs rangs. La seconde s’appelle «liste de la dignité et de la décision». Interrogé sur le fait qu’il soutient une liste où se trouvent des membres Kataëb et Forces libanaises (partis dits de «droite») alors qu’il est lui-même membre du Parti social national syrien (PSNS), M. Farès a nié que les candidats sur la liste soient affiliés aux partis cités plus haut. «S’ils ont telle ou telle tendance, personne ne peut les en empêcher, mais ils ne font pas officiellement partie de ces formations politiques», a-t-il dit. Il a également précisé que les candidats de l’autre liste sont très proches de lui, mais qu’ils sont dans la liste adverse parce que, dans ses efforts de former une liste de coalition, il n’a pas pu contenter tout le monde. M. Youssef Matar, chef du régional Kataëb à Baalbeck, explique les choses d’une tout autre manière: «Nous avions déjà formé notre propre liste où les grandes familles de la région et les différents partis étaient représentés, sous la présidence de Eid Matar. M. Farès a alors entamé le dialogue avec nous, alors qu’il avait déjà proposé 15 candidats. Selon nos conditions, il devait retirer ses candidats et il l’a fait. Ceux-ci ont alors riposté en formant leur propre liste. Dans la nôtre, nous avons huit candidats Kataëb, FL ou PNL, un PSNS, un Baas et les autres ne sont affiliés à aucun parti». M. Georges Naddour, candidat de l’autre liste, explique à sa manière les événements: «Nous avons refusé l’idée de l’accord, bien qu’on nous ait proposé de faire partie de la liste qui en est née. Nous ne voulons pas d’une liste toute faite, et un accord ne laisserait pas de place à la compétition démocratique. De plus, nous pensons que l’accord tel qu’il a été présenté conduit à des erreurs très graves, ce qu’il nous est impossible d’accepter». Par ailleurs, l’atmosphère était particulièrement détendue dans les bureaux de vote de Kaa, même entre délégués de listes différentes. Aucun incident de taille n’a été signalé. Des candidats de la liste de l’accord nous ont parlé de leur programme dont l’une des priorités est de ramener à la localité l’eau qui venait irriguer le village à partir de Laboué et qui a été coupée depuis 1975, affectant particulièrement le village. Ras Baalbeck: Opposition entre deux familles L’atmosphère était sensiblement la même à Ras Baalbeck. Là aussi, les FL se sont alliées à des partis de gauche comme les communistes, le Baas et le PSNS, sur la liste appuyée par l’ancien député et ministre Albert Mansour. La seconde liste était appuyée par l’ancien député Séoud Rouphaël. M. Mansour a cependant considéré que «la bataille est familiale, teintée de politique locale, mais notre liste est la seule complète». Il a déploré quelques erreurs d’organisation comme les salles trop petites ou la fermeture prématurée des bureaux d’état civil. Bien que satisfaits des élections proprement dites, les candidats de la seconde liste ont tout de même montré quelque mécontentement. M. Akram Mehanna, candidat, a précisé que «l’autre liste est très politisée, mais c’est un point fort pour nous parce que les partis ne sont pas très influents à Ras Baalbeck et les électeurs voteront pour les familles». M. Georges Aziz Antoun, notable de la ville qui soutient la même liste, a ajouté que «l’autre liste s’est aidée des moyens de pression que l’Etat lui conférait, et M. Mansour prépare certainement le terrain pour les législatives». Dans ces trois villages comme dans les autres localités libanaises, des conflits, notamment familiaux, sont hérités, alors que certaines alliances politiques paraissent inhabituelles. Mais rien ne permet de dire si ces nouveaux conseils municipaux, là comme ailleurs, réussiront le pari d’assurer un développement substantiel de ces lointaines contrées, si souvent reléguées dans l’oubli.
Dans certains villages chrétiens ou mixtes du Nord de la Békaa, les élections municipales ont été un bon indicateur de la situation d’après-guerre, faisant ressortir tantôt d’antiques conflits familiaux, tantôt des rivalités confessionnelles enfouies et exploitées selon certains par des partis politiques, tantôt la résurgence de partis politiques qui n’avaient plus de...