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Actualités - OPINION

Carnet de route A l'attention de M. Jacques Chirac

Monsieur le Président, Il y a si longtemps que je suis votre cheminement politique, vingt-quatre ans exactement, que j’ai parfois l’impression de vous avoir vu jouer au cerceau. C’est peut-être parce que je vieillis et que vous ne changez pas. Vous nous arrivez avec le temps des cerises, pourtant rien ne va très bien ni pour vous depuis les régionales, ni pour nous depuis longtemps. Nous ne pouvons pas beaucoup vous aider. Peut-être l’inverse serait-il possible malgré la courte fin de semaine que vous passez dans ce pays dont la superficie ne fait même pas deux fois celle de la Corrèze qui vous est si chère. Nous ne vous demandons pas une ingérence dans nos affaires, nous n’en avons pas le droit et vous ne vous le permettriez pas. Simplement, vous êtes intimement liés à certains de nos dirigeants, et les conversations privées ne sont pas interdites par un article de nos Constitutions respectives. Alors voilà, Monsieur le Président, et je m’adresse ici à l’abolitionniste que vous êtes, nous venons de vivre ce qu’un grand nombre de Libanais ont considéré comme une «sale affaire»: deux exécutions capitales par pendaison sur la place publique, face à une foule en liesse. Cela en fait quatorze depuis l’élection de notre Président de la République, et, comme vous l’ignorez peut-être, la justice libanaise se voit également interdire le recours aux «circonstances atténuantes». Depuis, je me dis que, sans faire de miracles, vous pourriez sussurer à l’oreille de votre ami, M. Hariri, qu’une telle brochette de pendus, sans lui citer Villon que vous aimez («Gare à la corde...»), n’est pas indispensable à une nation qui se veut la plus spiritualiste de la contrée arabe, et qu’il est d’autres moyens de manifester son autorité que de s’attaquer aux vertèbres cervicales des assassins. On pourrait par exemple augmenter la portion de pain des citoyens, et leur donner le spectacle de divers jeux plus roboratifs que l’image de ces pendus, applaudie par des adultes euphoriques. Parlant d’adultes, savez-vous, Monsieur le Président, que dans les jours qui suivirent la retransmission télévisée de l’événement, des enfants, dans deux villages sans lien du pays, ont joué «à se pendre». Une petite fille a été sauvée de justesse, en gardant la trace de la blessure laissée par la corde sur son gosier. Dans le second cas, la tentative, interrompue par un passant, fit plus de peur que de mal. Monsieur le Président, personne ne se fait d’illusion, le dirigeant que vous choisirez de prendre à part ne supprimera pas la peine de mort au Liban, mais peut-être, peut-être au moins s’engagera-t-il, personnellement et en privé auprès de vous à rétablir les circonstances atténuantes pour les cas qui le méritent. Un serment d’homme à homme, où l’amitié servirait le politique. Il ne faut pas craindre de rêver, n’est-ce pas? Surtout en parlant à un homme de cœur, ce que l’on sait ici. Si vous lisez ces lignes, Monsieur le Président, croyez que le désordre actuel des appareils politiques français nous afflige. Croyez aussi que les Libanais chrétiens, s’ils s’attristent de se voir négligés par le pays qu’ils appelaient leur «tendre mère» et qui était leur référence suprême, lui gardent une affection que, pour les taquiner, on qualifie d’«organique». Je vous donnerais un seul exemple de cette identification culturelle. Plusieurs Libanais, établis à Paris pour fuir les éclats d’obus, n’ont pas demandé, à Paris, la naturalisation française. Comme le disait, parmi eux, un grand poète, «s’ils veulent me l’offrir, je ne serai pas impoli, mais naturalise-t-on des déjà Français comme moi?». Sans plus vous ennuyer, et en souhaitant que Paris ne traverse qu’un orage passager, croyez, Monsieur le Président d’une République qui nous est chère malgré tout, au profond respect que je voue, moi «harkie culturelle et assumée», à la France qu’aujourd’hui vous incarnez sur notre terre. Pour tout dire, bienvenue, Monsieur le Président. Amal NACCACHE P.S. Nous savons combien l’institution francophone vous tient à cœur. M. Boutros Boutros-Ghali procédera certainement à une analyse des «besoins de français» revisités des différents pays de cette constellation. Il en concluera sans doute que la qualité de la langue nous importe plus et sert mieux la France qu’une quantité de diplômes français bradés à de futurs enseignants mal-parlants. Mais c’est un sujet qui, s’il nous touche par une certaine médiocrité de l’expression, jusque dans des thèses couronnées, ne nous regarde pas seuls. Contentons-nous de suggérer aux sphères francophones d’assurer aux pays qui en dépendent une formation en français et non «dans n’importe quel français». En commençant peut-être par les universités d’Etat.
Monsieur le Président, Il y a si longtemps que je suis votre cheminement politique, vingt-quatre ans exactement, que j’ai parfois l’impression de vous avoir vu jouer au cerceau. C’est peut-être parce que je vieillis et que vous ne changez pas. Vous nous arrivez avec le temps des cerises, pourtant rien ne va très bien ni pour vous depuis les régionales, ni pour nous depuis...