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Actualités - REPORTAGE

Les enjeux de la bataille entre Amal et le Hezbollah dépassent les municipales Guerre des nerfs dans la Banlieue-sud (photos)

Des rumeurs qui se répandent comme une traînée de poudre, des histoires de panachage effréné entre les membres d’une même liste, des «naturalisés» qui débarquent de nulle part par centaines: les nerfs des différents protagonistes dans la banlieue-sud de Beyrouth ont été soumis, hier, à rude épreuve. Bien qu’ayant jeté toutes leurs forces dans la bataille, pour les deux parties, jusqu’à la dernière minute, l’issue était incertaine. A Bourj-Barajneh et à Ghobeiri, le Hezbollah affronte une large coalition. Le président du Parlement, M. Nabih Berry, le chef du gouvernement, M. Rafic Hariri — par le biais du ministre de l’Information, M. Bassem el-Sabeh — et M. Riad Raad, notable influent dans la région, ont uni leurs efforts pour barrer la route au parti islamiste. Une alliance hétéroclite certainement, mais jouissant d’une impressionnante couverture politique. La volonté évidente d’isoler le Hezbollah a sans doute accentué le sentiment de sa direction d’être victime d’une «conspiration». Cependant, cette situation, ainsi que l’importance des enjeux, ne se traduisent à aucun moment par une tension sur le terrain entre les partisans des deux bords. Les opérations de vote se déroulent calmement tout au long de la journée, et les journalistes, à l’affût d’un incident, ne serait-ce qu’un petit soufflet infligé devant un bureau de vote, sont désappointés. Pas la moindre histoire à se mettre sous la dent. Tout se passe tellement bien que beaucoup de vétérans, qui ont couvert les précédentes élections, se sentent dépaysés. La mobilisation exceptionnelle des protagonistes s’explique par l’importance des enjeux. Ghobeiri est la plus grande municipalité du Mont-Liban avec 21 mille électeurs. Ses frontières administratives s’étendent jusqu’au littoral et comprennent la cité sportive, Bir Hassan et trois des plus prestigieux hôtels du pays, le Summerland, le Coral Beach et le Marriott. Ghobeiri est aussi une des plus riches municipalités avec 60 milliards de livres dans ses caisses. La circonscription de Bourj-Barajneh, qui compte 12 mille électeurs, comprend une partie de l’Aéroport international de Beyrouth (AIB) et Ouzaï. Mais au-delà de cette dimension économico-financière, se profile un enjeu politique capital. Le contrôle de la municipalité s’inscrit en effet dans le cadre de la lutte pour la représentativité au sein de la communauté chiite. Si dans les années 80 le Hezbollah et le mouvement Amal se disputaient le contrôle de la communauté à coups de canons et de roquettes, aujourd’hui ce combat se poursuit à travers les urnes. Lors des élections législatives de 1996, le président Berry avait réussi, grâce à un habile jeu d’alliances, à évincer son rival de Beyrouth et de Baabda en le privant de ses deux sièges parlementaires dans ces circonscriptions. Le Hezbollah veut donc prendre sa revanche aux municipales pour réaffirmer sa présence politique. Il n’hésite pas pour cela à présenter la candidature d’Abou Saïd (Mohammed) el-Khansa, membre de sa direction suprême, au poste de président du conseil municipal de Ghobeiri. La plupart des membres des deux listes qu’il soutient sont également affiliés au parti. Rumeur... quand tu nous tiens C’est par cette brèche que M. Berry s’engouffre. Pendant les dix jours qui précèdent le scrutin, le président du Parlement, en habile tacticien, mène une campagne de presse systématique visant à coaliser les grandes familles des deux circonscriptions contre le Hezbollah. Prétexte avancé: il faut donner «aux gens» la chance de gérer leurs affaires quotidiennes. Conséquent avec lui-même, M. Berry interdit aux membres du mouvement Amal de se porter candidats. Le Hezbollah ne tarde pas à contre-attaquer. Le parti est très à l’aise à Bourj-Barajneh, mais est très inquiet sur l’issue de la bataille à Ghobeiri. Chez le camp adverse, c’est le contraire. Selon certains observateurs, M. Berry ne s’intéresse pas vraiment à Bourj-Barajneh, où une victoire du Hezbollah porterait un coup sérieux à la carrière politique de M. Sabeh. Hier matin très tôt, le parti fait courir le bruit que M. Berry a passé la nuit de samedi à dimanche au siège central du mouvement Amal (la villa de l’ancien député Manuel Younès) à Bourj-Barajneh, pour superviser en personne les derniers préparatifs des élections. «Une preuve de son ingérence directe dans la bataille et un démenti catégorique de ses allégations sur la nécessité de laisser les gens décider par eux-mêmes», déclare l’ancien député du Hezbollah, Ali Ammar. Amal ne tarde pas à nier la nouvelle. La guerre psychologique déclenchée par le parti islamiste se poursuit toute la journée. Son objectif est de semer la discorde entre les membres de la liste adverse. Une information sur une altercation entre des membres des familles Kanj et Khalil, alliés au sein de la liste soutenue par Berry, est fabriquée de toute pièce. La nouvelle fait le tour des médias du pays. «Devant l’école des filles de Chiyah, des membres des deux familles en sont venus aux mains en raison du panachage au sein d’une même liste», entend-on sur les ondes des radios. Pour ceux qui ne les écoutent pas, le téléphone arabe se charge de leur faire parvenir la nouvelle. Cette «intox», inventée par le Hezbollah a un effet surprenant. Un climat de méfiance se développe sur le terrain et s’amplifie comme une boule de neige. Entre les membres de la liste soutenue par MM. Berry et Sabeh et dont plusieurs membres convoitent la présidence du conseil municipal, rien ne va plus. Le panachage devient roi et les résultats de plusieurs jours de négociations ardues menacent de s’effondrer en un clin d’oœil. Le député d’Amal chargé du dossier de la banlieue-sud, M. Ali Hassan Khalil, intervient rapidement pour recoller les morceaux. La phobie des naturalisés Les enjeux de la bataille expliquent aussi les moyens investis par les deux parties. La liste soutenue par Amal mobilise des dizaines de personnes, pour la plupart des bénévoles membres des familles engagées dans les élections. «Fouad Farhat (chef de la liste soutenue par Amal à Bourj-Barajneh) est mon cousin. Il est normal que je le soutienne», déclare Hassan Farhat, qui ne cache pourtant pas ses affinités pour le Hezbollah. La machine électorale du Hezbollah est plus importante: 400 militants sont mobilisés. La Husseiniyé de Ghobeiri, transformée en permanence électorale par le parti, grouille de monde. Le parti n’hésite pas à envoyer des ambulances pour amener de l’hôpital Rassoul el-Aazam qu’il contrôle, des malades, certains sous perfusion, d’autres sur des civières, jusqu’aux urnes. A Ghobeiri, le Hezbollah est mal à l’aise. Ce n’est pas l’électorat chiite qui lui donne du fil à retordre, car tous ses pointages le donnent vainqueur au sein de cette communauté. Ce sont les sunnites qui l’inquiètent. A l’origine, leur nombre ne dépassait pas les 1.500. Mais environ 1.800 autres, récemment naturalisés, sont inscrits sur les listes électorales de Ghobeiri. Leur apport est décisif pour l’issue de la consultation. Le parti et ses rivaux concentrent leurs efforts sur ces électeurs. Les scrutateurs du Hezbollah renforcent leur vigilance dans les bureaux de vote réservés aux sunnites à l’Ecole secondaire publique de Ghobeiri. L’ancien député du parti à Beyrouth, Mohammed Berjaoui, est appelé à la rescousse. Il entretient des relations excellentes avec ces naturalisés. Toute la journée, les scrutateurs des uns et des autres se transforment en professeurs de mathématiques. Ils additionnent, divisent, soustraient. Les traînards sont pressés d’aller voter. Les paresseux sont presque poussés dans les bureaux de vote. Les indécis subissent un nouvel exposé pour les convaincre. Désormais, chaque minute compte, et chaque voix peut modifier le cours de la bataille...
Des rumeurs qui se répandent comme une traînée de poudre, des histoires de panachage effréné entre les membres d’une même liste, des «naturalisés» qui débarquent de nulle part par centaines: les nerfs des différents protagonistes dans la banlieue-sud de Beyrouth ont été soumis, hier, à rude épreuve. Bien qu’ayant jeté toutes leurs forces dans la bataille, pour les...