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Actualités - OPINION

Regard - Cinq beaux livres complémentaires sur Beyrouth (et Le Liban) Visite guidée (I)

Voici que Beyrouth nous vaut, à la veille des fêtes, ce qui ne gâte rien car ce sont d’excellentes idées de cadeaux pour ceux qui ne veulent pas offrir idiot, la parution, coup sur coup, par l’étrange concertation du hasard ou de la chance, de cinq ouvrages abondamment illustrés, complémentaires dans leurs thématiques et leurs démarches. Anthropologue et photographe, Hoda Kassatly décline ses deux vocations en deux superbes volumes publiés par la nouvelle maison d’édition Layali qui tient son nom de son projet de republier la version originale des Mille et une nuits, celle de l’édition Boulaq du Caire, avec une riche inconographie. Elle ne pouvait commencer d’une manière plus heureuse, d’autant que les livres de haut niveau artistique et professionnel sont relativement rares dans l’édition beyrouthine: curieusement, ce sont surtout des ouvrages en français et en anglais qui témoignent du savoir-faire des professionnels du livre. Ainsi, celui de l’architecte Robert Saliba Beirut 1920 - 1940: Domestic Architecture Between Tradition and Modernity publié par l’Ordre des ingénieurs et architectes et Murs et plafonds peints - Liban XIXe siècle de Claire Paget avec des photographies de Ricardus Habre publié par les éditions Terre du Liban. Chacun à sa manière, universitaire et systématique pour le premier, primesautier pour le second mais non moins sérieusement documenté, ils viennent compléter le regard porté par Hoda Kassatly dans se Pierres et de couleurs sur Vie et mort des maisons du Vieux Beyrouth. Avec ces trois parutions presque simultanées, l’amateur possède une fort substantielle documentation sur l’architecture extérieure et intérieure des maisons de Beyrouth de 1840 à 1940 environ. Une autre parution, aux éditions Dar el-Machreq, la thèse de doctorat de Leila Salameh Kamel Un quartier de Beyrouth: Saint-Nicolas, apporte, avec de nombreuses données sur le rapport entre les structures familiales et les structures foncières, notamment la stratégie patrimoniale-matrimoniale de cinq grandes familles orthodoxes (les Sursock, les Bustros, les Trad, les Dagher, les Ferneiné et les Debbas), une précieuse série de plans du quartier montrant six étapes, de 1841 à 1995, de son évolution urbaine: on y voit très clairement comment la dominance des espaces verts est érodée au fil des ans par des constructions de plus en plus envahissantes, avec une période de grâce entre 1920 et 1940 où l’équilibre optimal semble avoir été atteint entre le bâti et les jardins. Tous les voyageurs d’antan et tous ceux qui sont assez âgés pour s’en souvenir décrivent l’ancien Beyrouth comme une ville-jardin, avec des maisons et des immeubles entourés d’arbres et d’arbustes d’essences variées à floraisons saisonnières alternatives, dont beaucoup d’essences odoriférantes. Le livre de Leila Salameh Kamel, doté de multiples documents, photos anciennes, cartes, arbres généalogiques complets, testaments, constitutions de wakfs, est d’un très grand intérêt pour comprendre les dessous, tenants et aboutissants de l’évolution urbaine de Beyrouth. Il devrait pousser d’autres sociologues à entreprendre des recherches similaires sur les autres quartiers de la capitale à des fins comparatives. Bien que d’allure universitaire, le travail de Leila Salameh Kamel n’est pas du tout rébarbatif et peut alimenter de nombreuses conversations de salon, à part les débats plus sérieux sur son aspect scientifique. Faillite municipale Hoda Kassatly ne s’attache pas aux grandes demeures cossues comme le fait Claire Paget, loin de là: ses maisons sont souvent très humbles, très simples, mais d’autant plus parlantes, révélant le mode de vie spécifique d’une ville arabo-méditerranéenne comme le note Samir Kassir dans une préface où il relève la disjonction entre la laideur du chaos urbain de la capitale, surtout depuis la Deuxième Guerre mondiale, et la beauté des vieilles résidences: les plans de Leila Salameh Kamel montrent que celles-ci s’inscrivaient dans un contexte urbain bien plus policé que ce qu’il est devenu depuis non seulement en raison d’architectes d’occasion mais essentiellement de la faillite de la gestion et de la maîtrise municipales de l’évolution du tissu urbain, libre quartier, c’est le cas de le dire, ayant été laissée par les autorités aux initiatives privées dominées par le souci exclusif de la rentabilité, tant sur le plan de la spéculation foncière que sur celui de la construction d’immeubles au modernisme mal digéré. Les magnifiques photos de Kassatly, prises sans filtre, mais développées avec un professionnalisme remarquable, jusqu’à en extraire les moindres nuances, révèlent l’amour des Beyrouthins pour les couleurs, tantôt vives et contrastées, tantôt délicates, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des maisons (dont beaucoup ont disparu, victimes de la guerre, et beaucoup disparaîtront, victimes de la paix et de l’incapacité des édiles à résister aux pressions qui les empêchent de classer, par exemple, un chef-d’œuvre absolu d’architecture et de construction comme l’immeuble Barakat à Sodeco promis à une prochaine démolition), mais aussi les détails qui faisaient tout le charme de ces anciennes demeures, balcons, baies vitrées, portails, portes, fenêtres, vérandas, rampes d’escalier, impostes, paliers, plafonds, céramiques de sol, fers forgés (qui mériteraient à eux seuls un ouvrage à part).
Voici que Beyrouth nous vaut, à la veille des fêtes, ce qui ne gâte rien car ce sont d’excellentes idées de cadeaux pour ceux qui ne veulent pas offrir idiot, la parution, coup sur coup, par l’étrange concertation du hasard ou de la chance, de cinq ouvrages abondamment illustrés, complémentaires dans leurs thématiques et leurs démarches. Anthropologue et photographe, Hoda...