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Actualités - OPINION

Attention, fragile

Pourchassé par les Bédouins du roi Hussein en 1970, traqué jusque dans les bunkers de Beyrouth par l’aviation israélienne en 1982 puis délogé par l’armée syrienne de son dernier pied-à-terre de Tripoli, sans parler des innombrables intrigues arabes et sanglantes luttes intestines : de Yasser Arafat, on connaissait la stupéfiante faculté de ménager avec la plus grande parcimonie les neuf vies que lui prête la légende, et de se rétablir miraculeusement des pires situations. Ce que nul ne pouvait prévoir cependant, c’est qu’un jour viendrait où le vieux leader palestinien, à l’évidence le terme le plus faible de l’équation de paix au Proche-Orient depuis le début de la négociation arabo-israélienne, se débarrasserait d’un peu enviable monopole : celui de la vulnérabilité. Qu’Israël se résigne à évacuer de suite certaines portions de Cisjordanie comme le stipule l’accord de Wye Plantation, ou que l’impasse se poursuive – et avec elle la confrontation quotidienne dans les territoires occupés – quelque chose de fondamental vient de changer; et cela, tous les accidents futurs du parcours de paix n’y pourront plus rien. Pour la première fois en effet, un président des États-Unis a visité officiellement une entité palestinienne, embryonnaire certes, mais déjà dotée d’un gouvernement, d’un parlement et surtout de ces magiques et increvables symboles qu’ont toujours constitué, pour tous les peuples, un drapeau et un hymne national. Pour la première fois, et allant beaucoup plus loin que le droit à une patrie – le fameux homeland – concédé par Jimmy Carter, ce président a admis l’aptitude de ses hôtes à déterminer leur destinée sur leur terre, même s’il a mis en garde contre toute initiative unilatérale. Que de chemin parcouru, tout de même, depuis l’époque pas si lointaine où Washington se refusait à reconnaître les terroristes de l’OLP. Où la résolution-clé de la paix, la 242, ne mentionnait les Palestiniens qu’au titre de réfugiés. Où hors les camps de l’exode ceux-ci n’existaient juridiquement, aux yeux des chancelleries, qu’en tant que citoyens jordaniens, ou que fantomatiques habitants des territoires occupés. Après le happening de Gaza, l’État palestinien ne s’inscrit plus seulement dans la logique de l’Histoire : admis depuis des années par l’Europe sous la persévérante impulsion de la France, le concept fait solennellement partie désormais des options et éventualités considérées par la plus grande des puissances. L’ironie du sort veut néanmoins que cet extraordinaire bond qualitatif, survenant après des décennies d’infortune, soit le fait d’un président au prestige malmené, à l’autorité contestée, d’un président se battant avec la dernière énergie pour épargner à son mandat la singulière infamie de l’impeachment. Son succès diplomatique de Wye Plantation qui avait estompé un moment le spectre de la destitution, Bill Clinton escomptait bien le rentabiliser à la faveur de son actuel voyage, toujours à des fins passablement domestiques. Du fait de l’obstructionnisme israélien et des violences dans les territoires, ce n’est pas en triomphateur mais en pompier qu’il est finalement venu; et manque de pot supplémentaire, c’est la Maison-Blanche elle-même que lèchent, en ce moment précis, les premières flammes de l’inquisition parlementaire républicaine. Du coup, c’est l’allure d’un calvaire que revêt le pèlerinage présidentiel en Terre Sainte. À peine plus confortable cependant est la position de Benjamin Netanyahu dont la coalition gouvernementale est au bord de l’éclatement, et qui est bien mal équipé désormais pour affronter d’éventuelles élections anticipées. En se résignant à aller à Wye Plantation, en cautionnant des retraits partiels de Cisjordanie, le champion du Likoud s’est bel et bien placé dans le prolongement des accords tant décriés d’Oslo. Il a consenti, pour la première fois depuis son accession au pouvoir, à restituer des territoires affublés du label Eretz Israël, provoquant ainsi la fureur de ses alliés extrémistes (même si on a quelque mal à imaginer qu’il existe plus extrémiste que Netanyahu !). En s’ingéniant en revanche à faire étalage de son incommensurable mauvaise foi, à multiplier les conditions hors programme, à différer sous tous les prétextes l’application de ces accords, il a irrité, alarmé et même indigné une écrasante majorité d’Israéliens, comme le montrent les derniers sondages. Par inclination plus que par nécessité, pourrait-on dire, Netanyahu est davantage intéressé à sa propre survie politique qu’à la paix. Et par un juste retour des choses, ce sont les aléas de la politique politicienne, le jeu des alliances à la Knesset, qui menacent de lui faire découvrir enfin les limites de la manipulation et du mensonge. De caduque, la Charte nationale palestinienne est, depuis hier, prononcée morte et ce constat de décès, les redoutables contestataires d’Arafat lui reprochent de l’avoir inconsidérément dressé en présence de l’affreux Américain : cela à un moment où l’occupant est loin d’avoir renoncé, lui, à la colonisation et à l’annexion rampante, et où le sort des millions de réfugiés est occulté,dans l’attente des négociations finales. Il reste que dans l’inégal échafaudage d’Oslo, ravalé à Wye, ils sont trois désormais à craindre pour leurs arrières : Arafat n’est plus ce cheval harassé, à la lippe tremblotante, pataugeant en solo dans le marais du Proche-Orient. La paix des braves, disaient-ils ? C’est l’attelage tout entier qu’il faut maintenant repêcher.
Pourchassé par les Bédouins du roi Hussein en 1970, traqué jusque dans les bunkers de Beyrouth par l’aviation israélienne en 1982 puis délogé par l’armée syrienne de son dernier pied-à-terre de Tripoli, sans parler des innombrables intrigues arabes et sanglantes luttes intestines : de Yasser Arafat, on connaissait la stupéfiante faculté de ménager avec la plus grande...