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Actualités - OPINION

Alternances

De Rafic Hariri, on a pu dire que malgré six années d’exercice ininterrompu du pouvoir, malgré aussi d’incontestables réalisations dans le domaine de la reconstruction, il n’avait pas encore fini de faire ses classes politiques. On imagine mal pourtant le chef du gouvernement démissionnaire se laissant piéger comme un néophyte dans cette affaire de consultations parlementaires entachées selon lui d’irrégularités. Et qui, de fil en aiguille, ne lui laissait plus d’autre choix à la fin que de se récuser. Parce qu’il avait parfaitement déchiffré toute une série de signaux apparus dès le moment de l’élection du nouveau président, il est plus probable que M. Hariri s’est délibérément sabordé, non sans avoir joué son va-tout. À la faveur de diverses réunions de travail comme de contretemps apparemment anodins, il était vite devenu évident en effet qu’entre ces deux fortes personnalités, il n’y avait pas trop d’atomes crochus. Ce flirt à rebours a trouvé son point culminant dans le discours d’investiture d’Émile Lahoud, véritable réquisitoire contre l’ancien régime, fustigeant avec une particulière vivacité une gestion socio-économique qui porte l’empreinte personnelle du Premier ministre. Comment, au vu d’un tel programme, les deux hommes auraient-ils pu s’entendre durablement sur la formation et la ligne d’action d’un gouvernement ? Le débat sur les fameux mandats octroyés par un groupe de parlementaires au chef de l’État, lors des consultations de la semaine dernière, n’aura été, dès lors, que la partie visible de l’iceberg : de tels blancs-seings avaient été délivrés sous le président Hraoui et Hariri ne s’en était pas embarrassé outre mesure. Il aurait très bien pu, cette fois, reprendre du service en prenant soin (comme il l’a d’ailleurs fait) de décréter nuls et non avenus les transferts litigieux, et en assignant à Baabda un strict rôle de chambre d’enregistrement des vœux parlementaires. Si au contraire M. Hariri est monté sur ses grands chevaux; si malgré un score honorable il a perçu un demi-désaveu syrien dans la désaffection de certains alliés, dans l’appui ambigu et un tantinet tardif du président de l’Assemblée Nabih Berry et, pour finir, dans le ralliement-éclair du Parlement à M. Sélim Hoss, c’est que certaines données de base ont changé. Pour le chef du gouvernement sortant, l’alternative devenait alors d’une redoutable simplicité : ou il imposait son point de vue, coupait court à tout débordement futur de l’autorité présidentielle et conservait intacte ainsi la prédominance qui fut la sienne tout au long des dernières années, au double plan local et étranger; ou bien il réintégrait le rang et reconnaissait – non plus seulement au plan théorique et protocolaire mais dans la réalité du pouvoir – la primauté d’un président bien décidé à user de ses prérogatives. Et même à étoffer celles-ci partout où le permettraient les zones d’ombre et autres failles de la Constitution de Taëf : un président qui, outre une rare faveur populaire, peut très bien se prévaloir lui aussi d’un large appui régional et international. Rien, bien sûr, ne permet de croire que M. Hoss se montrera plus conciliant que son prédécesseur sur le point précis des prérogatives présidentielles : malgré la modération du ton, l’ancien et futur Premier ministre a fait preuve dans le passé d’une grande âpreté dans l’exigence mahométane d’une pleine participation aux affaires de l’État. Si la même revendication a changé de camp, si le style Lahoud est déjà en soi une amorce de rééquilibrage, il n’en reste pas moins que le profil de M. Hoss, économiste distingué et pourtant insensible aux attraits de l’argent, s’accorde idéalement au programme de rigueur et d’austérité arboré par le président. La composition du nouveau gouvernement devrait, sur ce plan, confirmer une même et salutaire volonté de changement. On peut d’ores et déjà se féliciter – commencerions-nous à devenir majeurs ? – que la règle de l’alternance soit venue s’imposer sans violence ni tumulte cette fois, naturellement presque, dans une relative et néanmoins frappante sérénité : signe des temps, l’éclipse de Rafic Hariri a cessé de revêtir, pour l’homme de la rue, l’allure d’un cataclysme financier. Essence même de la pratique démocratique, l’alternance est un bien réconfortant signe de santé même si jusqu’à nouvel ordre, notre démocratie reste fragmentaire et tronquée, à l’image de notre souveraineté, dans un environnement régional où la continuité est souvent seule garante du pouvoir. Autre signe des temps, c’est une sorte d’alternance limitée certes, dûment contrôlée mais non moins remarquable, qui peut être observée aujourd’hui à Damas avec la prise en charge du dossier libanais par Bachar el-Assad, ami d’Émile Lahoud. Et voué, comme lui, à une vigoureuse campagne contre la prévarication. Provisoirement délivré de la menace turque mais plus que jamais exposé au péril israélien, le président syrien s’efforce depuis quelque temps de se rapprocher des puissances occidentales : en consentant à un remodelage du panorama politique libanais, il offre une image plus édifiante de son petit protectorat. En rompant avec le traitement quotidien – et ostentatoire – des sempiternelles querelles libanaises, en favorisant l’émergence d’une véritable référence locale, c’est du même coup un allié plus crédible, plus sûr en définitive, que se ménage pour demain le régime syrien.
De Rafic Hariri, on a pu dire que malgré six années d’exercice ininterrompu du pouvoir, malgré aussi d’incontestables réalisations dans le domaine de la reconstruction, il n’avait pas encore fini de faire ses classes politiques. On imagine mal pourtant le chef du gouvernement démissionnaire se laissant piéger comme un néophyte dans cette affaire de consultations...