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Actualités - OPINION

Carnet de route Histoire personnelle du Liban (suite) Les garçons

Ce fut quand le nomadisme familial me ramena au Liban, après un an de pensionnat en Suisse, que j’exigeai de choisir mon école. J’étais déterminée à trépigner, s’il le fallait, pour être inscrite au lycée mixte de la rue de Damas, le lycée de garçons, comme on disait familièrement. La raison en était simple et univoque: les garçons Je voulais enfin frayer avec le sexe opposé. Comme je n’exposai pas la chose avec une totale franchise, et que mes parents n’objectèrent que mollement et pas sur le fond du sujet, c’est, enfin, sans uniforme que je fis mon entrée, un matin d’octobre, dans la grande bâtisse grise. Je me dirigeai vers la classe de seconde. On nous demanda de nous mettre en rang devant la porte, mais la mixité avait ses limites: un rang pour les filles, un autre pour les garçons, qui confluaient une fois les battants ouverts. Je ne connaissais personne et la cérémonie de l’appel ne m’en apprit pas plus. Mais la grande épreuve pour ma timidité fut la première récréation. Dans la grande cour rectangulaire, un mélange d’élèves, filles et garçons confondus, faisaient les cent pas par groupes; à part un ou deux adolescents encore en culotte courte, les autres étaient habillés en petits hommes et, si j’avais ce que je voulais («des garçons, des garçons»), je ne savais qu’en faire, sinon les regarder sans en avoir l’air. Je me sentais seule, étrangère, perplexe, et surtout très niaise. * * * Puis tout alla très vite. À la troisième récréation, je pouvais me vanter d’avoir prêté un stylo à mon voisin de droite et reçu une feuille de cahier pliée en huit: «C’est Yona B., la cousine de Viviane B., je te retrouve à la porte». L’école de l’Alliance israélite, qui fermait ses portes l’année du brevet, déversait en effet, selon la tradition, ses élèves au lycée de la rue de Damas. Elle me désigna de la tête un garçon en jeans et me chuchota: «C’était le premier de la classe l’année dernière, je le connais du ski» (On disait couramment «Je le connais de Aley» ou «de la mer» et ainsi de suite). Le «premier de la classe» me plut. Alors que la sonnerie nous ramenait à nos bancs, des coups de talons nous firent retourner la tête: un garçon en pantalon et gilet noir, chemise blanche, s’offrait un solo de flamenco. On l’appelait déjà Hrair tout court, et maintenant, l’ayant revu en peintre plusieurs fois, car c’est le même, je ne sais toujours pas son prénom. * * * — Qu’est-ce qu’on s’est fait chier, on va la voir cette Jennifer Jones? C’était «le premier de la classe» qui parlait, approuvé par un camarade. Yona se débina. Je restai seule face à la tentation. J’acceptai. Et c’est ainsi que je vis Duel in the sun, au Roxy, flanquée de deux garçons, à la fin de ma première journée de classe laïque. Pas encore déniaisée, mais sur la voie... De ces années de lycée, je garde un souvenir bariolé. Libanais de toutes les confessions, avec des Français de passage (enfants de diplomates ou autres), un vent de liberté, des ébauches de flirts maladroits et souvent interconfessionnels, avec toute l’émotion de la transgression religieuse greffée sur des pulsions qui ne disent pas encore très bien leur sens. Enfin, c’était bien un lycée de garçons aux yeux des filles, un lycée de filles aux yeux des garçons. Et c’était très bien comme cela. D’ailleurs plus tard, tout le monde y est venu: essayez aujourd’hui de trouver des cours de récréation unisexuées!
Ce fut quand le nomadisme familial me ramena au Liban, après un an de pensionnat en Suisse, que j’exigeai de choisir mon école. J’étais déterminée à trépigner, s’il le fallait, pour être inscrite au lycée mixte de la rue de Damas, le lycée de garçons, comme on disait familièrement. La raison en était simple et univoque: les garçons Je voulais enfin frayer avec le...