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Actualités - OPINION

Ardoise

Parce qu’il s’était vu confier un pays émergeant à peine du chaos; parce qu’aucun mandat présidentiel n’aurait raisonnablement pu suffire pour rebâtir tout ce qui a été détruit durant quinze années de démence meurtrière, Élias Hraoui est sans doute en droit d’attendre des citoyens, à l’heure des bilans, qu’ils le jugent avec une bonne part de compréhension, voire d’indulgence. On ne s’embarrassera de nulle complaisance, cependant, pour relever que dans son message d’adieux aux Libanais, le président sortant aurait été bien inspiré de moduler les sentiments qui l’étreignent au moment de quitter le palais de Baabda, après neuf ans de bons et loyaux services : on aurait souhaité un peu moins de fierté pour les réalisations accomplies, déjà ressassées jusqu’à plus soif par la propagande officielle. Et surtout un peu plus de regrets pour tout ce qui n’a pu être fait : et qui, pourtant, aurait très bien pu l’être. En attendant le verdict de l’Histoire, on retiendra de l’ère Hraoui qu’elle a malheureusement été celle des responsabilités funestement diluées, dispersées, éparpillées; et celle des entreprises inachevées et même parfois dévoyées, dénaturées. Hraoui est bien l’homme qui a mis un terme à la guerre et il a fait montre, à cette fin, d’une incontestable audace politique en endossant l’assaut syrien de 1990 contre les zones «rebelles»; mais pour n’avoir que médiocrement géré l’après-guerre, pour avoir cautionné de graves irrégularités et injustices – lesquelles sont invariablement graines de conflits nouveaux – il n’aura pas été l’homme de la paix pleinement retrouvée. Dans son message télévisé d’hier, M. Hraoui s’est félicité que la plupart de ceux qui boudaient l’État en soient, aujourd’hui, à prendre le train en marche. Or, il ne faut pas que le réalisme tardif ou, le cas échéant, l’opportunisme de certaines forces politiques serve à justifier a posteriori la dure réalité d’un État encore embryonnaire, une décennie entière presque après sa renaissance officielle! Les institutions sont loin d’être crédiblement réédifiées : deux scrutins plus tard le Parlement, source de tous les pouvoirs, continue de n’être représentatif qu’en partie, du fait de lois électorales forgées à seule fin de défavoriser une catégorie bien précise de citoyens. Le même déséquilibre en matière de représentation a affecté des gouvernements stéréotypés. Et pour couronner le tout, ces institutions abâtardies n’ont jamais fonctionné valablement, par la grâce de cette troïka présidentielle dont on veut croire qu’elle appartient désormais au passé. Bien sûr, M. Hraoui n’est pas seul responsable de cette situation et un tel bilan peut lui sembler d’autant plus frustrant qu’il s’en va, alors que ses partenaires au pouvoir restent. Ironie du sort, et à l’heure où une page est tournée, c’est à un chef d’État qui n’a pu, ou qui n’a pas su user de ses prérogatives constitutionnelles – même passablement écornées par les dispositions de Taëf – que l’on impute aujourd’hui les failles du passé récent. C’est un fait que de tous les présidents du Liban, Élias Hraoui est celui qui a donné le plus de gages d’amitié à la Syrie. Mieux que quiconque, il avait l’oreille de Damas; or cet immense crédit a été en quelque sorte dilapidé dans la quête de situations ou de privilèges pour ses proches, dans la défense d’intérêts ponctuels au sein et hors de ladite troïka, plutôt qu’investi dans des efforts sérieux pour supprimer une anormalité qui porte autant de tort à la Syrie qu’au Liban, pour assainir un climat délétère, pour ramener dans le giron de l’État ceux que rebutait un tel simulacre d’État. C’est à la réalisation de tels objectifs que devait servir l’extension, en 1995, du mandat présidentiel, opérée à la faveur d’un amendement de la Constitution : celle-là même dont M. Hraoui adjure maintenant les Libanais d’exiger qu’elle soit appliquée en toutes circonstances. Au terme de cette prorogation, tout reste encore à faire : tout, c’est-à-dire la réhabilitation des institutions, le partage des pouvoirs, la réorganisation de la justice, la lutte contre la corruption, l’émancipation de la république et on en passe. Merci pour ce qui a pu être fait. Indulgence plénière, ainsi le veut l’usage, pour tout ce qui ne l’a pas été. Et vivement, le changement tant promis.
Parce qu’il s’était vu confier un pays émergeant à peine du chaos; parce qu’aucun mandat présidentiel n’aurait raisonnablement pu suffire pour rebâtir tout ce qui a été détruit durant quinze années de démence meurtrière, Élias Hraoui est sans doute en droit d’attendre des citoyens, à l’heure des bilans, qu’ils le jugent avec une bonne part de compréhension,...