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Actualités - CHRONOLOGIE

L'année 1948 au crible de la nouvelle histoire

Parmi les travaux des «nouveaux historiens» israéliens, les plus controversés concernent la guerre de 1948, car ils ont trait aux conditions de la naissance de l’Etat et représentent pour les Palestiniens l’origine de la «nakba», la catastrophe, qui s’est abattue sur eux. Selon «l’histoire ancienne», comme la qualifie Benny Morris, auteur en 1987 de «The Birth of the Palestinian Refugee Problem» (Cambridge University Press), considéré comme le pionnier en matière de nouvelle histoire, la vision de la guerre de 1947-49 — judéo-palestinienne de décembre 1947 à mai 1948, puis israélo-arabe, à partir du 14 mai, jusqu’à la signature des protocoles de la conférence de Lausanne, le 12 mai 1949 — se résume autour de trois axes principaux: en premier lieu, le jeune Etat faisait figure de David contre un Goliath arabe, numériquement supérieur, mieux armé, qui n’avait de cesse de «rejeter les juifs à la mer». Deuxièmement, l’exode massif des Palestiniens, entre 600.000 et 900.000 selon les estimations, a été provoqué par un appel des dirigeants arabes eux-mêmes qui croyaient pouvoir revenir en force par la suite. Enfin, une fois la guerre gagnée par Israël, ses voisins arabes ont obstinément refusé de conclure la paix, malgré les démarches répétées de l’Etat hébreu. De ces «trois mythes absolument fondateurs de l’historiographie israélienne, il ne reste qu’un champ de ruines», selon Dominique Vidal, journaliste au «Monde diplomatique» et auteur du livre «Le péché originel d’Israël» (éd. de L’Atelier). Parmi les vérités battues en brèche par les nouveaux historiens, l’imagerie présentant une communauté juive de Palestine (yichouv) minuscule, face à des Arabes puissants et unis. Preuves à l’appui, ils démontrent qu’au contraire Israël disposait non seulement d’une force armée supérieure, mais également d’atouts stratégiques déterminants. Parmi ceux-ci, un accord tacite avec le roi de Jordanie, dont l’armée était la plus crainte. Avi Shlaïm, auteur de «Collusion Across the Jordan» (Clarendon Press, 1988), explique que le roi Abdallah a renoncé à attaquer le territoire alloué à Israël par le plan de partage dans l’espoir de récupérer par la suite la partie réservée à l’Etat palestinien. Ensuite, sans aller jusqu’à parler, comme certains Palestiniens, d’un plan d’expulsion en bonne et due forme destiné à judaïser le territoire alloué à Israël par le plan de partage de l’ONU de novembre 1947, Benny Morris établit, documents à l’appui, que seules six localités arabes sur 369 se sont vidées de leurs occupants sur l’injonction des autorités locales. Dans 228 cas, le départ a été provoqué par l’assaut des troupes juives, et 41 d’entre eux ont été le fait d’une expulsion manu militari. Dans 90 autres villes ou villages, les Palestiniens ont fui, cédant à la panique consécutive à la chute d’une localité voisine ou à la crainte d’un massacre, notamment après celui commis à Deir Yassine. Enfin, une fois la guerre terminée, «Israël va à Lausanne avec un seul objectif, devenir membre de l’ONU et signe, pour marquer sa bonne volonté, le protocole qui reconnaît le plan de partage», déclare Dominique Vidal. Mais une fois Israël admis à l’ONU, les négociations de paix tournent court. L’un des documents trouvés dans les archives désigne clairement le responsable: «Le chef de la délégation israélienne à Lausanne, Elias Sasson, (y) dit en toutes lettres: «Le vrai facteur qui bloque c’est Israël», poursuit-il. «Les premiers historiens» C’est à partir de la fin des années 70 que les nouveaux historiens commencent à remettre en cause l’«historiographie héroïque de l’Etat», explique Florence Heymann, ingénieur au CNRS, responsable de la publication de «L’historiographie israélienne aujourd’hui», volume un des Mélanges du Centre français de recherche de Jérusalem. En effet, si le slogan «un peuple sans terre pour une terre sans peuple», jadis utilisé pour défendre le projet sioniste, n’a pas convaincu longtemps face à la persistance du fait palestinien, d’autres éléments de l’histoire officielle israélienne, notamment autour de la guerre de 1947-49, ont quasiment fait figure de dogmes. Tous les éléments de conflit sont donc réexaminés, notamment toutes ses guerres (1948, 1967, 1973, 1982 au Liban), mais aussi les problèmes internes israéliens, telle la domination des pionniers originaires d’Europe sur les immigrants ultérieurs en majorité issus des pays arabes, ou l’attitude des pères fondateurs à l’égard de l’holocauste... A en croire Tom Segev («Le Septième million», éd. Liana Lévi et «Les Premiers Israéliens», éd. Calmann Lévy), les «nouveaux historiens» sont en fait les «premiers historiens» à aborder ces sujets de manière scientifique, car, dit-il, «avant nous, il n’y avait pas d’histoire en Israël, mais de la mythologie et de la propagande» qui n’ont pas résisté à l’étude des archives récemment ouvertes. Selon Florence Heymann, la génération précédente a «de toute évidence écrit une histoire subjective, au service du projet sioniste». Mais, dit-elle, toute la question est de savoir si «construire un Etat et légitimer son lien à la terre ne passent pas forcément par une phase de mystification», un phénomène qui est somme toute commun à toutes les nations. Si cette «démystification» a pu être amorcée, relativement tôt par rapport à d’autres pays comme la France, où la guerre d’Algérie par exemple est encore une page noire de l’histoire, c’est grâce à la conjonction de plusieurs facteurs, strictement scientifiques ou politiques. La loi relative à l’ouverture des archives étant assez libérale en Israël, sur le modèle anglo-saxon, une grande partie des documents concernant les années 1947-49 ont commencé à être disponibles dès la fin des années 1970. «En lisant ces documents j’ai trouvé une réalité bien différente de ce que j’avais appris. Une histoire bien moins belle et noble», déclare Tom Segev. «Iconoclaste» A la suite des «nouveaux historiens», les Israéliens commencent à apprendre à poser sur le passé un regard critique, à remettre en doute le dogme d’un bon droit absolu face aux Arabes, à poser des questions douloureuses sur l’édification de leur société. Mais cette vision «iconoclaste» se heurte à de fortes résistances au sein de la population et du pouvoir, dont témoignent les remous provoqués par une série documentaire diffusée par la chaîne de télévision publique. Des ministres ont accusé la série «Tkouma» (renaissance) de démoraliser la population en insistant sur les points noirs des cinquante années d’Israël et de manifester une compréhension suspecte envers les Palestiniens. Ils ont vainement menacé d’interdire la diffusion hebdomadaire de la série de 22 films censée retracer les grandes heures de l’histoire du pays et qui jouit d’un taux d’audience exceptionnel. Ils n’ont pas apprécié la diffusion d’un film sur l’oppression des Arabes israéliens dans les premières années de l’Etat. Ils se sont mobilisés contre celle prévue d’un documentaire intitulé «Biladi, Biladi» («Ma patrie, Ma patrie» en arabe), titre de l’hymne national palestinien, qui utilise des archives de l’OLP. «L’enseignement de l’histoire a été longtemps dominé par l’idée que les juifs avaient un droit absolu sur une terre qu’ils auraient trouvée vide, après deux mille ans d’exil», note un universitaire israélien, M. Avner Ben Amos. «De nos jours, les historiens ont une approche moins simpliste et leurs travaux commencent à inspirer les programmes scolaires ainsi que les manuels d’histoire», ajoute M. Amos, qui est chef du département de pédagogie de l’université de Tel-Aviv. Les chercheurs de différentes écoles s’accordent pour reconnaître que les responsabilités dans le conflit israélo-arabe étaient partagées et qu’Israël, après 1967, n’a pas toujours saisi des chances de paix. «Les mythes ont commencé à s’effondrer après la guerre d’octobre 1973», estime l’historien Eli Barnavi, professeur à l’université de Tel-Aviv et auteur d’un récent manuel. «Cette guerre n’a pas seulement révélé des défaillances de l’armée et des responsables civils. Elle a mis fin au mythe de l’invincibilité d’Israël. Pour la première fois, on s’est demandé si les Arabes n’avaient pas été mis au pied du mur» par l’intransigeance d’Israël, note-t-il. Mais il met en garde contre les dangers d’éclatement qui planent sur la société israélienne lorsque ses «mythes fondateurs» sont constamment remis en question sans qu’il existe d’alternative. «Certes, on ne peut pas bâtir une société sur le mensonge, mais on ne peut pas non plus la construire sans mythe collectif», renchérit l’historienne Anita Shapira, qui aurait aimé que «le mythe de la paix» joue ce rôle. (AFP, Reuters)
Parmi les travaux des «nouveaux historiens» israéliens, les plus controversés concernent la guerre de 1948, car ils ont trait aux conditions de la naissance de l’Etat et représentent pour les Palestiniens l’origine de la «nakba», la catastrophe, qui s’est abattue sur eux. Selon «l’histoire ancienne», comme la qualifie Benny Morris, auteur en 1987 de «The Birth of the Palestinian Refugee Problem» (Cambridge University Press), considéré comme le pionnier en matière de nouvelle histoire, la vision de la guerre de 1947-49 — judéo-palestinienne de décembre 1947 à mai 1948, puis israélo-arabe, à partir du 14 mai, jusqu’à la signature des protocoles de la conférence de Lausanne, le 12 mai 1949 — se résume autour de trois axes principaux: en premier lieu, le jeune Etat faisait figure de David contre un...