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Actualités - INTERVIEWS

Boutros-Ghali à l'Orient Le Jour : contre le tout-anglais, la diversité culturelle (photo)

Dans l’allocution qu’il prononça l’autre jour en recevant le Prix Méditerranée étranger pour son ouvrage paru en septembre dernier chez Fayard, «Le chemin de Jérusalem» — une histoire des négociations secrètes qui aboutirent aux accords de Camp David, en 1978 — Boutros Boutros-Ghali s’est dit persuadé qu’«une bonne diplomatie est faite de chances saisies et non d’occasions manquées». Certes, il s’agissait d’un hommage au président Sadate, personnage central de son livre, mais les esprits malicieux pouvaient y déceler aussi une allusion aux récentes péripéties de sa propre carrière de diplomate: l’occasion manquée aurait été, dans ce cas, le non- renouvellement de son mandat de secrétaire général de l’ONU, et la chance saisie son élection, par acclamation, en novembre dernier à Hanoi, au poste de secrétaire général à la Francophonie. Une patrie virtuelle Il récuse en souriant cette interprétation et, de toute façon, sa candidature, contrée par les Etats-Unis, à un deuxième mandat à la tête de l’ONU n’est plus aujourd’hui pour lui qu’un lointain souvenir. Quand on lui rappelle que Madeleine Albright l’avait traité d’aristocrate suranné et, de façon plus acerbe encore, de Frenchie, il précise, amusé, que la liste serait encore longue des amabilités qu’elle a pu dire à son propos mais ajoute, magnanime: «Je suis resté, malgré tout, en bons termes avec elle». Plus amène, et même carrément admiratif, l’écrivain Saul Bellow lui trouva, pour sa part, une allure très parisienne et, sans doute en raison de ses lunettes à monture sombre, un petit air de Sacha Guitry: «Ah, ces Américains qui, même quand ils ont la stature d’un Bellow, ne savent pas éviter les clichés, la France et l’esprit parisien se réduisant pour eux à la seule image de Guitry! Pourquoi Frenchie? J’aurais mille fois préféré qu’on me traite tout bonnement d’Egyptien, car je suis particulièrement fier de mon égyptianité!». Fier aussi, Boutros Boutros-Ghali, de cette illustre famille copte où il est né et qui, depuis Méhémet Ali, a compté nombre d’hommes politiques de premier plan. Son grand-père, assassiné en 1910 par un nationaliste parce qu’il avait ouvert le pays à l’Occident, fut le seul chef de gouvernement non musulman de l’histoire de l’Egypte. Né au Caire en 1922, il entrera lui-même dans l’arène politique un peu fortuitement après avoir enseigné le droit international, publié une dizaine d’ouvrages et fondé «Al Ahram Al-Iktissadi», dont il fut le rédacteur en chef quinze années durant, ainsi que la revue trimestrielle «Assyassa Al-Dawlia», qu’il dirigea jusqu’en 1991. Devenu ministre d’Etat aux Affaires étrangères dans le gouvernement égyptien en octobre 1997, il ne quittera plus, dès lors, la scène internationale. Son éditeur Claude Durand, PDG de Fayard, a pu dire de lui très joliment: «Si l’Egypte est un don du Nil, Boutros-Ghali est un don de l’Egypte à la communauté internationale». Et plus précisément aujourd’hui, faudrait-il ajouter, aux cinquante-deux pays qui ont la langue française en partage et aux quelque quatre cents millions d’hommes qui en ont fait leur patrie virtuelle. Le patron de la francophonie C’est en 1995, au sommet de Cotonou, qu’est lancé le projet de créer un poste de secrétaire général à la Francophonie. Boutros Boutros-Ghali, qui y assiste, approuve cette volonté de structurer le mouvement francophone et de lui donner une dimension politique. Présentée deux ans plus tard par l’Egypte, sa candidature est chaleureusement appuyée par la France qui apprécie son savoir-faire de diplomate et voit en lui le conciliateur idéal, capable d’établir un équilibre entre les intérêts des Etats du Nordet ceux du Sud dans un monde francophone rien moins qu’homogène. Pour bien d’autres raisons, il tenait la corde et, en dépit de quelques turbulences et d’une petite fronde africaine à Hanoi, il est aujourd’hui le patron de la francophonie pour quatre ans. Secrétaire général de l’ONU, il passait six mois de l’année dans des chambres d’hôtel. Dans ses nouvelles attributions, il espère réduire cette période de nomadisme à quatre mois. Le voici (dès demain, dimanche), à Beyrouth, pour l’ouverture, le lendemain, de l’assemblée générale de l’AUPELF au palais de l’UNESCO. En juin, il se rendra au sommet de l’Organisation de l’Union africaine et, en décembre, à la conférence des ministres des Affaires étrangères à Bucarest: ce sont là les rendez-vous majeurs de l’année, entre lesquels viendront s’insérer d’autres déplacements. Boutros Boutros-Ghali s’assigne trois missions principales: «Assurer une meilleure coopération et une meilleure synergie entre les différents opérateurs de la francophonie — l’ACCT, l’AUPELF, l’Association internationale des maires de villes francophones, TV5, l’Université Senghor... — qui agissaient jusqu’ici sans trop se concerter, affirmer politiquement l’organisation, inaugurer une collaboration avec aussi bien le Commonwelth que les Nations Unies ou la Banque Mondiale. A-t-on assez répété, depuis le sommet de Hanoi, que le rôle politique du secrétaire général à la francophonie est flou, à tout le moins mal défini? Il voit, quant à lui, les choses différemment et n’entend pas se limiter à un simple rôle de représentation: «Je suis prêt, assure-t-il, à devenir une sorte de Monsieur Bons Offices s’il y a conflit entre des Etats francophones, ou à l’intérieur d’un Etat francophone, à condition, évidemment, que la demande m’en soit faite». L’autre langue Dans le choix de l’AUPELF de réunir à Beyrouth son assemblée générale, il voit un symbole patent de la renaissance du Liban: «C’est un pays où j’ai séjourné des dizaines de fois, un pays qui m’est très cher. Et je suis particulièrement heureux que le premier sommet de la francophonie du prochain millénaire doive s’y tenir». Lui dit-on que l’anglais y grignote du terrain face au français? Il ne s’en alarme pas outre mesure: «L’anglais est aujourd’hui une langue internationale qu’il ne faut pas transformer en épouvantail. Je ne le vois pas, pour ma part, comme la langue à abattre. C’est plutôt en encourageant le multilinguisme et la diversité culturelle qu’on défendra et protégera le français». Qui a connu, avant qu’il devienne ministre, Boutros Boutros-Ghali dans son bureau d’Al Ahram, à la fois érudit et drôle, amateur de «noukats» égyptiennes, et le retrouve aujourd’hui lesté de plus de vingt ans de fonctions officielles, pourrait craindre de le voir sacrifier à une certaine solennité. Mais pas du tout: le revoici tel qu’en lui-même, faisant le vœu que la francophonie reste «une idée subversive». Ou allant dénicher, pour en donner lecture lors de sa récente réception à l’Académie des Sciences d’outre-mer, une lettre de 1521 dont le signataire français déplorait que «nos meilleurs diplomates parlent l’autre langue». L’autre langue en question, c’était l’italien! Une façon de montrer que l’histoire bégaie, passant en l’espace de quelques siècles de l’italien au pidgin américain!
Dans l’allocution qu’il prononça l’autre jour en recevant le Prix Méditerranée étranger pour son ouvrage paru en septembre dernier chez Fayard, «Le chemin de Jérusalem» — une histoire des négociations secrètes qui aboutirent aux accords de Camp David, en 1978 — Boutros Boutros-Ghali s’est dit persuadé qu’«une bonne diplomatie est faite de chances saisies et non...