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Actualités - OPINION

Regard "Graphicart in Lebanon" à la LAU Aperçu historique (1)

L’histoire de la gravure est celle d’innovations d’abord récusées par les contemporains comme trop faciles puis reconnues et homologuées comme apportant de nouveaux moyens d’expression aux artistes désireux non seulement de multiplier par reproduction leurs peintures ou dessins mais également de créer des œuvres originales qu’il ne serait pas possible de produire autrement. L’eau-forte, qui est aujourd’hui un procédé on ne peut plus classique, fut d’abord dénigrée comme décadente au regard de la gravure directe sur bois ou sur cuivre, au burin ou à la pointe-sèche. La sérigraphie, qui est parfaitement adaptée au goût des artistes contemporains par ses aplats chromatiques saturés, fut, à l’origine, un procédé commercial. Et l’on a pratiquement exclu de cette exposition la photo-lithographie et la photocopie au laser pour la même vieille raison: trop faciles. Un jour, elles seront probablement considérées comme aussi classiques que l’aquatinte, la manière noire ou la lithographie, toutes vilipendées à leurs débuts. Ce qui veut dire que l’art de l’estampe (qui regroupe tous les procédés recensés dans ce catalogue et représentés dans cette exposition) reste en perpétuelle évolution, exploitant à son profit les nouvelles technologies. Il faut toujours un artiste pour entreprendre le premier pas: ainsi, Halim Jurdak et Aref Rayess, qui furent parmi les premiers artistes libanais à s’adonner à la pointe-sèche et à l’eau-forte, sont aussi ceux qui, aujourd’hui, sont passionnés par les perspectives ouvertes par les photocopieuses au laser sophistiquées, capables de reproduire des milliers de couleurs et d’être manipulées d’une manière créative. De même, c’est sur une nouvelle machine à tirer des épreuves-témoins pour l’imprimerie que Missak Terzian travaille ses lithographies. La présente exposition se limite aux procédés non controversés, mais il fallait marquer dès l’abord que les artistes libanais n’entendent pas se laisser confiner dans ce cercle de famille quelque peu fermé. L’histoire de la gravure au Liban commence avec l’ALBA au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec des professeurs polonais disposant d’une grande presse qui a disparu avec les archives au cours des pillages de 1975-1976. C’est là que Chafic Abboud a été initié aux techniques de l’estampe, à commencer par la gravure sur bois, avant de poursuivre ses études à Paris où, en 1953, il produit un album de neuf eaux-fortes tirées à la main à une dizaine d’exemplaires avec un conte de sa composition tapé à la machine: «Le Bouna». L’année suivante, 1954, il se tourne vers la sérigraphie pour un ouvrage plus ambitieux, «La Souris», avec une vingtaine de planches de textes et une vingtaine de planches d’illustrations. Là aussi le tirage est très limité. C’est la réalisation, assez rare, d’une œuvre entièrement écrite, illustrée et imprimée par son auteur. Il y aura peu d’exemples, par la suite, dans le domaine libanais, de cette volonté d’œuvre totale. Avec la sérigraphie de Georges Cyr d’un couple en habits folkloriques qui remonte au début des années cinquante, les planches du «Bonna» et de «La Souris» sont, du reste, les plus anciennes dans cette exposition, alors que la lithographie en couleurs «Le Jeu de la Ficelle», datée de 1995, est l’une des plus récentes. Bien qu’il s’adonne surtout à la peinture, Abboud n’a donc jamais cessé de s’intéresser à la gravure accompagnant, entre autres, des textes d’Adonis. Aucun graveur libanais, pas même Assadour Bezdikian, principalement connu comme graveur de stature internationale, ni Halim Jurdak, ni Hussein Madi, ni Krikor Norikian, ni Mohammed Rawas, ne s’est d’ailleurs exclusivement consacré aux arts graphiques, peut-être en raison de la méfiance du public envers des œuvres originales mais cependant multiples, avec la confusion qui résulte pour lui de la diversité des épreuves d’artiste, d’essai, d’état, hors commerce, en sus des épreuves numérotées. Sauf rares amateurs, le public libanais préfère encore l’œuvre unique à l’œuvre multiple, même pourvue de toutes les garanties d’usage. Les ateliers de gravure se succèdent à partir du début des années cinquante, à commencer par celui de l’AUB, qui était ouvert aux artistes de l’extérieur, comme Amine el-Bacha. En sortirent des artistes comme Jinane Bacho et Naziha Knio. Les artistes qui avaient étudié à Paris dans divers ateliers de gravure commencèrent à rentrer au pays vers la fin des années cinquante, tel Halim Jurdak qui organise en 1959 et 1963 ses premières expositions personnelles de gravure qui passent inaperçues et en tout cas restent incomprises, certains prenant même ses burins pour des dessins à l’encre de Chine. En 1967, deux ans après la fondation de l’Institut National des Beaux-Arts, le directeur Nicolas Nammar charge H. Torossian d’acheter une presse. Il en trouva une datant du début du siècle, une véritable pièce de musée qui disparut lors des pillages du centre-ville. Halim Jurdak fut chargé d’enseignement. Ses étudiants les plus brillants, qui adoptèrent la gravure comme moyen majeur d’expression, furent Mohammed Rawas, devenu un virtuose en matière de technique d’impression, et Jamil Molaeb qui, loin de la sophistication de son condisciple, s’intéressa surtout à la puissante expression directe qu’autorise le très vieil art de la gravure sur bois. En 1968, le graveur américain Lingren ouvrit au centre culturel américain, le Kennedy Center, un atelier de gravure qui fut fréquenté par de nombreux amateurs novices, mais également par des artistes expérimentés comme Aref Rayess, Yvette Achkar, Haroutioun Torossian, Nadia Saïkali, Halim Jurdak, Wajih Nahlé, Samia Osseirane Joumblatt. Lingren, qui fut surpris de trouver des graveurs avertis au Liban, ne s’intéressait guère à la gravure directe sur cuivre ou sur bois, qui avait les faveurs de certains de ces artistes, mais à l’eau-forte sur zinc, avec un penchant marqué pour les techniques et les effets spéciaux au sel, au sucre, etc… Il en résulta la première exposition collective de gravure au Liban, en 1970, avec une autre personnelle, d’Yvette Achkar la même année.
L’histoire de la gravure est celle d’innovations d’abord récusées par les contemporains comme trop faciles puis reconnues et homologuées comme apportant de nouveaux moyens d’expression aux artistes désireux non seulement de multiplier par reproduction leurs peintures ou dessins mais également de créer des œuvres originales qu’il ne serait pas possible de produire...