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Actualités - REPORTAGE

Le procureur a effectué une tournée d'inspection au Palais de justice de Baabda Addoum : plusieurs facteurs, dont le manque de magistrats, ont déclenché la mutinerie de Roumié

Qui est responsable des derniers incidents à la prison de Roumié? Plus d’une semaine après le déclenchement de la mutinerie, la question demeure posée à plus d’un niveau, alors qu’une sorte de lutte sourde oppose les forces de sécurité aux magistrats. Les prisonniers ont-ils réagi à cause des mauvais traitements et des conditions de détention souvent insalubres ou bien leur protestation est-elle surtout adressée aux magistrats et à la lenteur des procédures judiciaires? Au Palais de justice de Baabda, où il s’est rendu hier pour une tournée d’inspection, le procureur général près la Cour de cassation, M. Adnane Addoum, a annoncé qu’une double enquête est menée à cet égard: la première est administrative et la seconde judiciaire, toutes deux visant à déterminer les causes de la mutinerie. Selon lui, plusieurs facteurs auraient déclenché cette action de protestation, mais il serait injuste d’en attribuer l’entière responsabilité aux magistrats accusés de ne pas travailler assez rapidement. M. Addoum a choisi de tenir ces propos au Palais de justice de Baabda qui est le centre judiciaire le plus important du pays, puisqu’il couvre l’ensemble du Mont-Liban. Le parquet y reçoit 850 plaintes par semaine qu’il doit soit rejeter, soit déférer devant les juges d’instruction. Ces derniers ont traité 3600 dossiers en 1997. Si certaines affaires sont faciles à régler, d’autres nécessitent un travail énorme. Selon M. Addoum, les magistrats font de leur mieux. Il a donné ainsi l’exemple du président Ralph Riachi qui, alors qu’il était juge d’instruction, avait transmis à la Cour d’appel du Mont-Liban 90 actes d’accusation en un mois... «Le problème n’est pas le rendement des magistrats, mais leur nombre insuffisant», a ajouté M. Addoum qui a précisé que le nombre des citoyens a doublé, ainsi que celui des étrangers présents sur le territoire — beaucoup d’entre eux commettent des infractions —, alors que celui des magistrats est encore le même. De Baabda à Denver Il s’agirait donc de trouver une solution à ce problème. Mais qui dit augmentation du nombre des magistrats, dit aussi octroi d’un espace nécessaire pour leur permettre d’exercer leur métier. Or, au Palais de justice de Baabda — et dans tous les palais de justice en général — c’est loin d’être évident. Malgré trois visites du ministre de la Justice, le problème à Baabda n’a toujours pas été réglé, puisque les autorités concernées n’ont pas encore décidé s’il faut construire un étage supplémentaire ou un bâtiment annexe. Les magistrats continuent donc de travailler à deux ou trois dans un même bureau, et sont contraints parfois de mener leurs enquêtes à tour de rôle. A ce propos, M. Addoum a raconté qu’au cours d’une visite de travail aux Etats-Unis, il a vu que les juges fédéraux à Denver disposaient à eux seuls d’un bâtiment impressionnant... Augmenter le nombre des magistrats, cela signifie aussi améliorer leur situation financière afin de pousser les gens — et notamment les avocats — à embrasser une carrière dans la magistrature, alors qu’ils sont généralement attirés vers des métiers plus lucratifs. Après avoir mené une campagne de protestation — qui avait abouti à une réunion élargie avec les membres du Conseil supérieur de la magistrature, les juges attendent la concrétisation des promesses faites à ce sujet par les responsables... Toutefois, certaines mesures peuvent déjà être prises. Comme l’a suggéré le juge d’instruction Adel Belbol, le CSM pourrait entreprendre une redistribution des juges dans les régions suivant les besoins. Par exemple, à Nabatiyeh, les magistrats ont très peu de cas à traiter. Il en est de même à Saïda, alors qu’à Baabda, ils travaillent 15 heures par jour et c’est insuffisant...A Baabda, les magistrats du parquet examinent parfois 12 dossiers par jour. Le cas de Roumié Concernant la prison centrale de Roumié, M. Addoum a précisé avoir demandé aux responsables de ce pénitencier un relevé détaillé de tous les dossiers des détenus afin de voir lesquels peuvent être traités rapidement. Il a insisté sur le fait qu’il devrait y avoir une orientation générale chez les magistrats du siège et ceux du parquet pour limiter l’usage de la détention préventive. Ainsi, les personnes arrêtées pour avoir délivré des chèques sans provision pourraient être remises en liberté provisoire. Le problème actuel, c’est que les plaignants comptent sur la détention préventive pour obtenir leurs droits. Mais les magistrats doivent surtout faire régner la justice et accessoirement assurer les intérêts des particuliers. De même, un magistrat a raconté que certains avocats présentent plusieurs fois la même plainte, auprès d’instances différentes, jusqu’à ce qu’elle finisse par être acceptée, alourdissant ainsi le travail des parquets. Ce qui a permis au premier juge d’instruction Fawzi Dagher et au procureur général Chucri Sader de rappeler la nécessité d’informatiser les parquets afin d’avoir immédiatement accès aux dossiers. M. Addoum a ensuite soulevé le problème des étrangers entrés illicitement au Liban ou présents illégalement sur le territoire. Ils traînent dans les prisons, sans pouvoir payer la caution nécessaire à la régularisation de leur situation, attendant que le juge puisse les interroger. Car, selon la loi libanaise, une personne n’ayant pas été jugée ne peut être rapatriée. Il faudrait donc, soit amender cette loi, pour pouvoir les rapatrier au plus vite, soit confier tous ces dossiers à la Sûreté générale, afin qu’elle les traite rapidement. Il serait bon de rappeler, à ce stade, que certains détenus sont en prison depuis des mois, sans que le juge d’instruction ne les entende, tout simplement parce que, débordé de travail, il a oublié leur cas et il n’y a personne pour le relancer. Manque de moyens Bref, beaucoup d’initiatives sont en gestation, mais le problème essentiel demeure le manque de moyens. Les magistrats font de leur mieux, mais faute de temps, les dossiers traînent et les détenus s’entassent dans les cellules. D’où l’importance du projet présenté par le ministre de l’Intérieur Michel Murr dans lequel il réclame des crédits de 13 milliards de LL pour réhabiliter les prisons. Ce projet devrait figurer à l’ordre du jour du prochain Conseil des ministres. C’est du moins ce qu’a déclaré hier M. Murr au cours de sa conférence de presse. Le ministre de l’Intérieur a aussi nié l’existence d’un conflit entre son ministère et celui de la Justice au sujet de la prise en charge des prisons. «Dans le régime actuel, l’administration des prisons relève des FSI, qui relèvent à leur tour du ministère de l’Intérieur, a déclaré M. Murr. Les forces de l’ordre refusent pour l’instant d’être rattachées au ministère de la Justice ou à une administration indépendante. Si l’on veut modifier cet état de choses, il faudrait créer une force de sécurité qui serait appelée «les gardes des prisons» et qui serait rattachée au ministère de la Justice. Mais en attendant, c’est nous qui sommes responsables...». Le cafard et les prévenus Addoum ne pouvait quitter le Palais de justice de Baabda sans se rendre à la maison d’arrêt, récemment réhabilitée sur une initiative du ministre de la Justice. En compagnie de MM. Dagher et Sader et des responsables de la prison, il est entré dans l’une des trois cellules, demandant à chacun des détenus des précisions sur son cas. Les dix détenus, qui étaient affalés sur leurs matelas, en raison de la chaleur, se sont aussitôt dressés, espérant pousser le procureur à régler leur problème au plus vite. Neuf d’entre eux ne sont là que depuis 24 h ou 48 h au maximum. Mais le dixième est détenu depuis 13 jours, son dossier ayant tardé à arriver de Jounieh où il a été arrêté. Addoum a pris sur lui de s’occuper de son cas immédiatement. Pris dans leur conversation, aucun des présents n’a vu le cafard sournois, dérangé par toute cette agitation, et qui a essayé de fuir sous un matelas... Par souci d’égalité, Addoum est ensuite entré dans la cellule réservée aux femmes. La fameuse Nathalie — montrée à la télévision par les FSI il y a quelques jours car elle est accusée d’avoir tué un hindou, avec deux compagnons — l’a aussitôt accueilli avec le sourire. Sûre d’elle, mignonne, elle lui a expliqué avec le plus grand calme qu’elle n’a pas l’habitude d’être en prison et qu’elle ne supporte pas sa détention. «Je suis là depuis deux jours, et je souhaite que vous disiez au juge d’instruction de m’interroger au plus vite». Nathalie s’est ensuite plainte d’être avec une Philippine qui ne «comprend rien à ce que je lui dis». Elle appelle les gardiens par leur prénom et est très à l’aise avec tout le monde, à tel point que tous ceux qui l’ont vue en restent sidérés. Un nouveau cas pour les juges, un nouveau drame pour leur conscience, mais aussi pour la société qui n’en finit plus de produire des malades qui s’ignorent.
Qui est responsable des derniers incidents à la prison de Roumié? Plus d’une semaine après le déclenchement de la mutinerie, la question demeure posée à plus d’un niveau, alors qu’une sorte de lutte sourde oppose les forces de sécurité aux magistrats. Les prisonniers ont-ils réagi à cause des mauvais traitements et des conditions de détention souvent insalubres ou bien...