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Actualités - REPORTAGE

En marge de la controverse politique soulevée par le projet Hraoui Les retombées pratiques du mariage civil vues par deux spécialistes

Si le projet de loi sur le mariage civil facultatif, prôné par le président de la République et récemment approuvé par le Conseil des ministres, est définitivement adopté, quelles en seront les conséquences pratiques? Les questions d’héritage, de divorce, d’adoption, et autres points importants du statut personnel ne seront plus envisagés de la même façon. Quelles sont les caractéristiques du nouveau projet de loi et les différences qui l’opposent aux codes de statut personnel des différentes communautés religieuses? De nombreuses interrogations préoccupent encore le citoyen qui, en raison du caractère facultatif du mariage civil proposé, sera appelé à opérer un choix, si la loi est approuvée au Parlement. Nous avons interrogé deux spécialistes sur la question: M. Auguste Bakhos, ancien député qui milite depuis longtemps pour qu’une loi commune de statut personnel soit adoptée au Liban, et M. Ibrahim Traboulsi, avocat et professeur à la Faculté de Droit et des Sciences politiques de l’USJ. M. Traboulsi fait partie d’un groupe de juristes que le président de la République, Elias Hraoui, a chargé d’élaborer le code de statut personnel facultatif à la veille de la fête de l’indépendance en 1996. «Avant de parler du projet de loi sur le mariage civil lancé par le président de la République, il faut savoir qu’il dépasse le cadre du simple mariage civil, et qu’il s’agit d’un code de statut personnel en bonne et due forme, qui comporte toutes les dispositions allant des fiançailles jusqu’au décès», précise-t-il. Mais l’Etat a-t-il le droit de légiférer dans ce domaine dans un pays multiconfessionnel comme le Liban? «Absolument», répond M. Traboulsi. «L’Etat peut légiférer en la matière pour les raisons suivantes: — Il a reconnu 18 communautés, et une dix-neuvième qui est la communauté du droit commun, à laquelle adhèrent tous les Libanais qui n’appartiennent à aucune des communautés officielles. Celle-ci avait déjà été mentionnée par l’arrêté 60 LR, dont l’article 25 reconnaît le mariage civil contracté hors du territoire libanais. — Les tribunaux ecclésiastiques et chériés n’ont pas d’autorité exécutoire, et c’est donc l’Etat qui supervise leurs sentences à travers la Cour de cassation (chambres réunies), et qui exécute leurs jugements. — La transcription des actes de mariage, de naissance et de décès est prise en charge par les autorités civiles. — Une partie des Libanais n’appartient à aucune communauté reconnue par l’Etat, et a le droit d’exiger que ses problèmes puissent être résolus. — Puisque ce code de statut personnel est facultatif, il n’abolit pas les structures déjà existantes et ne constitue une menace pour personne». L’égalité des Libanais Mais quelle est la véritable importance de ce code de statut personnel? Selon M. Bakhos, «la Constitution stipule l’égalité entre tous les Libanais, or comment assurer cette égalité sans une loi commune de statut personnel?». Et de poursuivre: «Les Libanais qui désirent faire un mariage civil sont obligés de recourir à d’autres pays. Il y a plus de quarante pays dans lesquels des couples de Libanais se sont mariés. Or cela pose de véritables difficultés car si le couple en question fait face à des problèmes, les juges au Liban sont contraints d’étudier les lois en vigueur dans le pays où l’alliance a eu lieu afin de prononcer un jugement. L’instauration du mariage civil au Liban simplifierait considérablement les choses pour eux, de même que son interdiction n’empêche personne de le contracter ailleurs». M. Traboulsi renchérit: «Quand des tribunaux civils libanais sont obligés d’appliquer une loi étrangère pour résoudre un conflit dans un couple libanais, cela signifie qu’il y a une atteinte à la souveraineté juridique du pays. En France par exemple, si deux Français contractent un mariage civil à l’étranger, celui-ci est reconnu dans leur pays. Mais, en cas de problèmes, c’est la loi nationale qu’on applique, et non celle du pays où l’union a eu lieu. Qu’est-ce qui nous empêche d’accepter une lois libanaise quand on reconnaît des lois étrangères? Et pourquoi accepte-t-on le mariage civil quand il est contracté à l’étranger, alors qu’on refuse un projet de loi libanaise à ce propos?». Quelles sont les principales caractéristiques de ce code sur le statut personnel? M. Traboulsi précise: «Le projet a plusieurs caractéristiques: — Egalité entre l’homme et la femme: celle-ci peut demander le divorce au même titre que son mari, elle peut garder les enfants au cas où le mari en est incapable, et elle a droit à la succession. — Abolition des différences de religion: deux personnes de religions différentes peuvent se marier sans problèmes. Le conjoint peut faire hériter son partenaire, même si celui-ci appartient à une autre communauté. — Difficulté de divorce: il est interdit de demander le divorce avant trois ans». La cellule familiale Quelles sont les raisons qui peuvent pousser à demander le divorce? «Il existe trois raisons principales citées par la loi», nous apprend M. Traboulsi. «Une séparation pendant trois ans, une absence injustifiée pendant cinq ans, un comportement intenable de la part d’un des époux (s’il a commis un crime par exemple). En d’autres termes, le divorce par entente mutuelle n’est pas permis». Et d’ajouter: «Non seulement le divorce est une affaire très compliquée en cas de mariage civil, mais les deux époux qui désirent se séparer sont tenus par la loi de participer à des séances de réconciliation avant d’aller au tribunal. Ceux qui ont lié le mariage civil à la désintégration de la famille n’en ont pas compris le but. Ce code civil de statut personnel sauvegarde au contraire les intérêts de la cellule familiale». M. Bakhos aussi a insisté sur le fait que les droits de la femme étaient plus préservés dans cette loi: «Pour les femmes musulmanes, il y a un avantage majeur: elles peuvent sans problème épouser un non-musulman, ce qui est interdit dans la charia’a. D’autre part, en ce qui concerne l’héritage, la part de la femme devient égale à celle de l’homme. Dans les communautés musulmanes, la part attribuée à l’homme est le double de celle de la femme». En ce qui concerne les enfants, qui en aura la garde en cas de divorce? M. Bakhos précise: «Le garçon reste sous la tutelle de la mère jusqu’à 7 ans, et la fille jusqu’à 9 ans. Mais la loi laisse une grande marge de manœuvre aux tribunaux qui devront confier l’enfant au parent qui est le plus apte à s’en occuper». «L’enfant est confié au conjoint qui n’est pas responsable de la cause du divorce, et les deux époux contribuent à l’éducation des enfants par la suite», ajoute M. Traboulsi. En cas de mariage civil mixte, quelle confession sera celle des enfants? «Celle du père évidemment. Les enfants sont libres de se convertir s’ils le veulent, une fois qu’ils auront atteint la majorité», répond M. Bakhos. Et l’adoption? «L’adoption ne pose aucun problème dans le cadre du mariage civil». Pensez-vous que le mariage civil soit logiquement le premier pas vers la déconfessionnalisation? M. Bakhos explique: «Absolument. Le mariage civil favorise les unions mixtes, ce qui rapproche les gens les uns des autres. Il faut attendre une vingtaine d’années après l’approbation de la loi pour voir si le confessionnalisme va perdre de son acuité. A mon avis, s’il y a 20% de mariages civils dans le pays, celui-ci sera prêt à la déconfessionnalisation. C’est d’ailleurs la philosophie qui sous-tend la loi». M. Traboulsi donne son propre point de vue sur la nécessité d’un code de statut personnel facultatif: «Le régime de statut personnel au Liban passe actuellement par une crise. Il y a un nombre de Libanais qui, bien qu’ils appartiennent apparemment à une des communautés du pays, sont non croyants, ou ne désirent pas, pour une raison ou pour une autre, contracter un mariage religieux. Ils sont cependant obligés de le faire sans conviction. Le système actuel est donc clos: hors du cercle de la communauté, rien ne peut être entrepris». Genèse du projet «Il faut savoir que l’idée du mariage civil existe déjà depuis 1936», souligne M. Bakhos. «Le Haut-Commissaire à l’époque avait publié l’arrêté 60 LR, qui stipule que les habitants peuvent contracter un mariage dans n’importe quel pays, qui sera enregistré par la suite au Liban. Mais le problème est qu’un mariage contracté dans un pays doit suivre les lois de ce pays, même si elles ne sont pas en accord avec nos principes et nos traditions. A titre d’exemple, dans certains Etats des Etats-Unis le divorce est trop facile». M. Bakhos poursuit: «Vers la fin des années 1960, le grand avocat Abdallah Lahoud avait mis au point un projet commun de statut personnel. Nous l’avons adopté au parti démocrate dont je faisais partie en le modifiant quelque peu. En 1974, j’ai moi-même présenté le projet (de mariage civil obligatoire) au Parlement, et je l’ai fait plusieurs fois par la suite. Il était toujours majoritaire en commission à raison de 60%, mais je refusais de le laisser passer à moins d’avoir une majorité de 80%. Je l’aurais probablement obtenu si notre projet avait alors un caractère facultatif». Justement, pourquoi ce caractère facultatif du projet? Selon M. Traboulsi, «il faut laisser le choix aux gens, afin qu’ils ne se sentent pas privés de liberté». Mais M. Bakhos considère que «le mariage civil devrait être obligatoire pour assurer l’égalité entre les Libanais». M. Bakhos parle aussi d’une tentative qui a précédé le code de statut personnel facultatif: «Le président de la Chambre, M. Nabih Berry, nous a également demandé une fois, en tant que comité de modernisation des lois, d’étudier un projet de loi selon lequel des juges civils pourront trancher des questions de statut personnel, tout en suivant les législations des différentes communautés». Et d’ajouter: «Mais quand nous l’avons étudié, nous nous sommes rendu compte qu’il était presque impossible d’appliquer une telle loi en raison du nombre de confessions et de tribunaux religieux qui en dépendent. Il y aurait beaucoup trop de critères à prendre en compte, et les juges seront débordés. Instaurer une loi commune de statut personnel est en fait beaucoup plus simple».
Si le projet de loi sur le mariage civil facultatif, prôné par le président de la République et récemment approuvé par le Conseil des ministres, est définitivement adopté, quelles en seront les conséquences pratiques? Les questions d’héritage, de divorce, d’adoption, et autres points importants du statut personnel ne seront plus envisagés de la même façon. Quelles sont...