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Actualités - REPORTAGE

La cour poursuit l'interrogatoire des inculpés et entame l'audition des témoins dans l'affaire Karamé Rami continue à se contredire et José Bakhos accable tout le monde (photos)

Avec ses inculpés parfois émouvants, mais toujours intéressants, ses magistrats d’une grande rigueur et ses avocats souvent bruyants, le procès des personnes accusées de l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé se poursuit, sans être perturbé par les derniers développements sur la scène libanaise. Comme si la salle glaciale du tribunal était un îlot isolé que rien ne peut atteindre. Et cette tranche du passé qui n’en finit pas d’être décortiquée semblait hier rattraper les personnes présentes dans la salle et leur faire oublier toute l’eau qui a coulé sous les ponts depuis ce triste 1er juin 1987 où Rachid Karamé est mort à bord de l’hélicoptère qui le transportait vers Beyrouth. Le climat de l’audience s’est ainsi tendu à plusieurs reprises. Celle-ci a commencé par la poursuite de l’interrogatoire de Camille Rami, toujours égal à lui-même sur le plan de la confusion et des contradictions, avant de se poursuivre par l’audition du témoin à charge José Bakhos qui a de nouveau accablé l’inculpé membre des FL, Aziz Saleh, le brigadier Khalil Matar, mais aussi le commandant en chef des FL dissoutes Samir Geagea. Poussé par le procureur général, ce dernier est sorti une fois de plus de son mutisme pour déclarer qu’il ne sert à rien de lui demander son opinion, puisqu’«on sait très bien la direction prise par les événements». Il a rappelé qu’il s’abstiendra de répondre tant que l’Etat de droit ne sera pas instauré au Liban. Me Dayé de la partie civile a cru bon de déclarer, qu’à ses yeux, l’Etat de droit existe bel et bien. Et comme le président de la cour, M. Mounir Honein essayait de connaître l’opinion des avocats de la défense à ce sujet, Me Edmond Naïm a répondu: «Nous en avons gros sur le cœur...». Le président Honein qui a montré une fois de plus son immense patience en donnant la parole à chacun, a toutefois dû à plusieurs reprises rappeler tout le monde à l’ordre. Comme Me Dayé insistait pour savoir de José Bakhos si Samir Geagea prenait toutes les décisions au sein des FL, le président s’est écrié: «S’il n’y a que cette phrase pour inculper Samir Geagea, le procès sera clos demain...». Il a ensuite dû mettre un terme au conflit naissant entre le brigadier Khalil Matar et l’inculpé Antoine Chidiac, qui s’en est d’ailleurs ensuite pris à Me Issam Karam, l’accusant de s’être acharné sur lui. Atmosphère électrique Dans ce procès où, pour la première fois, des inculpés se chargent les uns les autres, l’atmosphère dans le box des accusés est encore plus électrique que dans la salle. Sauf naturellement en ce qui concerne le commandant Keitel Hayeck, qui, depuis qu’il a donné sa version des faits, observe la scène avec un détachement amusé, ne perdant le sourire que pour presser sa main sur sa poitrine souffrante...Il est atteint d’un début de tuberculose. Dès l’ouverture de l’audience, Camille Rami se tient derrière le micro pour répondre aux questions de la cour, du parquet et des avocats. M. Addoum insiste sur le passé du sergent des FSI, qui, de son propre aveu, aurait travaillé pour le service de sécurité des FL de 1982 à 1984. En 1986, il a commencé à travailler sous les ordres du commandant Keitel Hayeck, dans la lutte contre les trafiquants de drogue et dans la cellule destinée à mener des opérations contre les troupes syriennes. Il a été arrêté par les FL le 27 ou 28 mars 1988. Il est resté 14 jours chez elles. Selon lui, les FL l’accusaient de travailler pour le compte du ministre Elie Hobeika. Me Dayé se demande alors comment il pouvait être accusé d’être avec Hobeika alors qu’il exécute des opérations contre les troupes syriennes. Sur l’insistance du procureur Addoum, il reconnaît s’être rendu en Israël le 23/4/88. Le 30 du même mois et de la même année, il a été arrêté et emmené en Syrie. Camille Rami déclare toutefois que sa visite en Israël était tout à fait ordinaire et qu’il ne s’y est rien passé. Mais le procureur lui montre alors le jugement le condamnant pour collaboration avec Israël émis par le tribunal militaire. Son avocat Me Emile Younès proteste, rappelant que Rami a été condamné pour collaboration avec Israël et tentative d’assassinat du brigadier syrien Ghazi Kanaan. Il ajoute qu’il s’est pourvu en cassation militaire, en demandant la dissociation des deux affaires. FL et Frères musulmans Interrogé sur sa détention en Syrie, Rami affirme n’avoir pas été jugé là-bas. Le procureur veut savoir pourquoi, puisque le commandant Hayeck, lui, a été jugé par un tribunal de campagne. Et Rami répond: «En Syrie, il existe des personnes arrêtées conformément à la loi martiale, parce qu’elles sont considérées comme opposantes au régime et qui ne sont jamais jugées. En ce qui concerne les Libanais, il s’agit, chez les chrétiens, des éléments des FL et chez les gens de religion mahométane, des Frères musulmans». Rami laisse entendre que son compagnon, Abdel Hamid Ahmed,qui est aussi membre de la même cellule sous les ordres du commandant Hayeck et qui a été emmené en Syrie, aurait été jugé là-bas. Ce qui pousse le procureur à lancer: «L’inculpé reconnaît donc qu’il était avec les FL?» Le procureur l’interroge encore sur ses déclarations devant le tribunal militaire, sur ses contacts avec un officier israélien du nom de Sasson. Et Rami déclare qu’il a tout inventé. Un peu plus tard, il déclare aussi avoir inventé les faits incriminant les FL, dans l’affaire de l’explosif lancé sur la tombe du premier ministre assassiné à la veille de la cérémonie du quarantième de son décès. «Je sentais qu’à travers moi, les enquêteurs voulaient arriver jusqu’à Samir Geagea et moi, je voulais éviter d’être considéré comme un partisan des FL». La cour passe ensuite à l’audition du témoin José Bakhos, ancien responsable de l’escorte du chef du service de sécurité des FL, Ghassan Touma. Me Karim Pakradouni — qui sera aussi entendu en tant que témoin du parquet — se retire de la salle. José Bakhos avait été entendu le 3/3/1998, juste avant le retour de Syrie de l’inculpé Keitel Hayeck. Il avait alors lancé une véritable bombe en déclarant devant la cour que le brigadier Matar s’était rendu, la veille du crime, au bureau de Ghassan Touma, au siège du service de sécurité des FL et que ce dernier lui aurait remis une enveloppe épaisse qui pourrait contenir un poste émetteur-récepteur. Le brigadier l’avait alors taxé de menteur et ses avocats, MM. Abou Dib, Salamé, Abou Sleimane et Matar avaient vivement protesté contre ces allégations jugées mensongères. José Bakhos avait alors rétorqué: «Je sais que ces propos peuvent me coûter la vie, le brigadier ayant beaucoup d’hommes à Halate (où il habite), mais je prends le risque, car seule la vérité compte». La cour demande alors à Matar ce qu’il pense de cette déclaration de Bakhos et ce dernier répète: «Tout ce qu’il dit est faux. En tout cas, moi je ne suis pas comme lui, je ne tue pas». Le brigadier rappelle alors qu’après la guerre entre les FL et l’armée, José Bakhos et un autre membre des FL, Fawzi Racy (mort en détention en 1994), auraient tiré sur son bureau. José Bakhos nie cela et le brigadier ne décolère pas. Il protestera de nouveau lorsque l’inculpé Antoine Chidiac — qui travaillait sous les ordres de José Bakhos — répétera ce qu’il avait dit concernant les relations du brigadier avec Ghassan Touma. Le brigadier essaie de le faire taire, lui jetant ses mensonges à la figure. Entre les deux hommes, l’affrontement pourrait être comique s’il n’était aussi dramatique: d’un côté, le brigadier plein de prestance, avec sa carrure noble et son uniforme et de l’autre, un homme râblé, qui ne doit pas dépasser les 1m40, avec un langage imagé de paysan. Mémoire proportionnelle à la taille Pour trancher la discussion, le président demande à Chidiac comment est sa mémoire et l’inculpé répond: «Je vous l’ai déjà dit, proportionnelle à ma taille». Keitel Hayeck, assis à côté du micro, le regarde alors de bas en haut et éclate de rire. Mais Chidiac n’a pas le cœur à rire. Comme Me Issam Karam s’apprête à prendre la parole, il lui lance: «Je veux tout dire. Vous ne m’impressionnez pas. Cela suffit comme cela. Vous avez pris vos aises avec moi et c’est à cause de vous que je suis ici». Chidiac se réfère à son interrogatoire devant le juge d’instruction, M. Georges Ghantous, auquel Me Karam avait assisté en tant qu’avocat de Khalil Matar. Selon son avocate, Me Saydé Habib, Chidiac aurait été alors convaincu que Me Karam en s’acharnant sur lui aurait causé son emprisonnement, alors que le juge voulait l’entendre en tant que témoin... Me Karam proteste violemment et la cour revient à José Bakhos. Celui-ci raconte que le jour du crime, alors qu’il arrivait au siège du service de sécurité des FL, dans l’après-midi, il a aperçu Samir Geagea, Nader Succar, Pierre Rizk (Akram), Karim Pakradouni et Ghassan Touma dans la cour. Il aurait alors entendu le garde du corps de Karim Pakradouni, Fadi Gergès, s’exclamer: «Si c’est Ghassan qui a fait tomber Karamé, c’est qu’il est très fort». José a poursuivi son chemin et Gaby Touma (le frère de Ghassan) lui aurait alors raconté que «Samir Geagea a envoyé Nader Succar à l’hôpital ND Maritime à Jbeil au chevet du Dr Abdallah Racy. Succar aurait alors déclaré à ce dernier: celui que nous voulions est mort. Quant à vous, nous n’avons rien contre vous». José Bakhos précise avoir participé à deux missions de reconnaissance avant l’assassinat, une maritime et l’autre terrestre. Selon lui, c’est le même hors-bord qui a été utilisé pour les missions de reconnaissance et le jour du crime. Ce n’est pas ce que dit Chidiac qui a affirmé devant la cour que, la première fois, c’est le «Hawk», un bateau tout blanc ayant appartenu à Elie Hobeika, qui a été utilisé et les autres fois, c’est un hors-bord banal avec un bout peint en bleu marine. Chidiac réaffirme cela devant la cour. José Bakhos fait état d’un hélicoptère qui aurait survolé le hors-bord au cours de la première mission, mais Chidiac réaffirme qu’il n’a rien vu de tel. Surnom: parapluie Concernant les liens du brigadier Matar avec Ghassan Touma, José Bakhos affirme avoir vu le brigadier plus d’une dizaine de fois chez le chef des services de sécurité des FL dissoutes. Selon lui, il venait souvent avec un proche, un officier grand et le teint clair. José Bakhos se rendait au domicile du brigadier pour lui remettre des enveloppes contenant de l’argent, mais la dernière fois, à la demande de Touma, il l’aurait contacté pour fixer un lieu de rendez-vous, tout en l’appelant «parapluie» au téléphone. (Matar avait nié avoir un tel surnom et la secrétaire de Ghassan Touma qui est aussi l’épouse de l’inculpé Aziz Saleh avait confirmé ses propos). José déclare encore que Matar s’est réuni avec Geagea et Touma, pendant la guerre d’élimination au domicile de Henri Kheir (beau-frère de Touma) et avec Touma et Obeid dans un immeuble près de Halate-sur-Mer, toujours pendant la guerre d’élimination. En somme, Bakhos accable un peu tout le monde et il déclare à la cour qu’à la fin de l’audience du 3 mars, alors qu’il s’apprêtait à monter en voiture, un des avocats de Geagea, Me Robert Haddad, s’est approché de lui et se serait enquis de la santé de sa mère. Pour Bakhos, il s’agirait d’un avertissement pour lui montrer qu’ils savent tout de lui et peuvent l’atteindre. Mais la cour n’accorde pas d’importance à cet incident. Vendredi, les avocats de la défense, notamment ceux du brigadier Matar, poseront leurs questions à José Bakhos. C’est dire que l’audience risque d’être animée. La cour convoque aussi Amale Abboud, secrétaire de Ghassan Touma, et demande la convocation de deux nouveaux témoins: Khalil Chahine, ancien concierge de l’immeuble où résidait Touma, et Maurice Joffre Khoury, frère du fameux Naji qui, aux dires de Keitel Hayeck, lui fournissait des explosifs et selon Camille Rami aurait été enlevé par les FL. Le procès est loin d’approcher de la fin et, pour cette affaire historique, la cour préfère prendre tout son temps.
Avec ses inculpés parfois émouvants, mais toujours intéressants, ses magistrats d’une grande rigueur et ses avocats souvent bruyants, le procès des personnes accusées de l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé se poursuit, sans être perturbé par les derniers développements sur la scène libanaise. Comme si la salle glaciale du tribunal était un îlot isolé que...