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Actualités - OPINION

Divorce civil

Abandonner tout espoir? Baisser les bras et mettre un grand X sur tout ce qui a été fait (et défait) depuis l’indépendance? Larguer les amarres, admettre que le mal est incurable et que la convalescence de l’après- Taëf n’est en fait qu’une longue agonie? Est-il sensé ou simplement moral de continuer à jouer le jeu et de faire «comme si» alors que le pays va à vau-l’eau et que les capitaines (ô combien nombreux) se disputent le gouvernail? Alors que le Liban est confronté à une véritable crise de survie et que tout peut basculer du jour au lendemain au Sud, faute d’un accord sur la 425, que font nos Excellences? L’un vadrouille entre Vienne-sur-Danube et Faqra-sur-Neige (en passant par l’Azerbaïdjan, le Turkmenistan, l’Ouzbekistan et autres contrées d’intérêt hautement stratégique), l’autre se préoccupe de la paix des ménages et propose le mariage civil comme remède à nos maux existentiels. Et parce qu’ils ne s’entendent plus, ils évitent aussi de se voir: l’un rentre d’Arabie (dont il espère de nouvelles libéralités), l’autre se rend aussitôt à Abou Dhabi pour y inaugurer l’ambassade du Liban. Mais parce qu’il faut bien s’occuper des affaires publiques, les amabilités s’échangent à coups de flèches savamment empoisonnées. Résultat: des dossiers cruciaux, tels l’échéance présidentielle et le mariage civil, sont utilisés comme moyens de pression et jetés en pâture à l’opinion, ce qui a pour effet de les vider de leur substance tout en exacerbant les passions confessionnelles. Floués, on l’a été dès le départ. Avec la fin de la guerre, les Libanais étaient prêts à croire tout ce qu’on leur promettait: Liban de l’an 2000, servi sur papier glacé, gouvernement d’union nationale, opulence générale, aides étrangères illimitées, et surtout souveraineté enfin retrouvée avec le départ de toutes les forces étrangères, amies ou ennemies. Huit ans plus tard, retour à la case départ: des Libanais plus pauvres que Job, un pays sous tutelle permanente, un gouvernement qui n’arrive même pas à se gouverner, des investissements qui s’effilochent, des dettes qui s’accumulent et des dirigeants qui n’en ont cure et qui s’étripent au grand jour, sans trop d’états d’âme. L’exemple, dit-on, vient de haut. La population, à qui on chante chaque jour les louanges de la cohésion nationale, a compris le message: la cohésion, un beau slogan; mais sur le plan pratique il vaut mieux être hraouiste, berryste, haririste, joumblattiste, aouniste et j’en passe. Une manière de se préserver une place au soleil confessionnel: quand les choses se gâtent, on est alors tout naturellement happé par sa communauté, chiite, maronite, druze, sunnite... Dans ce climat malsain, nauséabond, rien n’est fait pour recoller les morceaux. Chacun des dirigeants vit dans sa tour d’ivoire et le peuple est abandonné à sa dérive. Notre fameuse Troïka a si bien réussi dans sa mission salvatrice qu’il suffit d’un match de basket entre deux équipes locales pour que les jeunes (l’avenir du Liban, nous rassure-t-on) déterrent les racines pourries et brandissent, qui un Coran, qui une croix, au nom, évidemment, d’un Liban réunifié. Même la victoire «nationale» de la Sagesse sur les Algériens, n’ayons pas peur des mots, a été perçue comme une victoire chrétienne et, de ce fait, timidement applaudie par les musulmans. Faut-il enfoncer encore le clou? Même les médecins, l’élite de ce pays, ont failli en venir aux mains lors des élections de leur ordre pour des considérations d’éthique... confessionnelle. A ces griefs et reproches, on pourrait rétorquer que le projet de mariage civil optionnel vise précisément à éradiquer le péché originel qui nous accable. Fort bien, mais pourquoi ce timing si peu propice et pourquoi sa présentation dans une atmosphère de véritable discorde nationale? C’est comme si ce projet n’avait été soumis, en cette phase peu opportune, que pour être progressivement abandonné, d’autant qu’il a été explicitement couplé avec l’abolition du confessionnalisme politique. Le chef du Législatif n’a-t-il pas d’ailleurs insinué, dans des propos privés, qu’il lui prépare déjà un enterrement de première classe? Hraoui v/s Hariri, demain sans doute Berry v/s Hraoui. Ainsi va la République bananière du Liban qui semble oublier que l’échéance sudiste frappe dangereusement à sa porte. Durant les pires moments des hostilités, l’espoir ne nous avait jamais abandonnés. Une conviction nous soutenait: l’après-guerre verra surgir un citoyen modèle, guéri des traumatismes transmis par ses aïeux. La relève, espérions-nous, serait assurée par la nouvelle génération, entièrement déconfessionnalisée. Le réveil est brutal et la déception immense: les clichés désuets prévalent toujours et les recours restent systématiquement confessionnels... avec la sainte bénédiction des leaderships religieux, chrétiens et musulmans, parfaitement d’accord, eux. «L’homme providentiel»? C’est sur les rives du Barada qu’on continuera à le solliciter, en attendant l’âge adulte. Faut-il vraiment baisser les bras?
Abandonner tout espoir? Baisser les bras et mettre un grand X sur tout ce qui a été fait (et défait) depuis l’indépendance? Larguer les amarres, admettre que le mal est incurable et que la convalescence de l’après- Taëf n’est en fait qu’une longue agonie? Est-il sensé ou simplement moral de continuer à jouer le jeu et de faire «comme si» alors que le pays va à...