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Actualités - INTERVIEWS

Correspondances baudelairiennes Joseph Tarrab : peinture, calligraphie, mathématiques .. Différentes lectures du monde (photos)

Critique d’art, essayiste, journaliste politique, à l’occasion acteur de théâtre, Joseph Tarrab, intellectuel éclectique, a plus d’une corde à son arc et a tout essayé ou presque... Homme de réflexion, sa préférence pour la critique d’art vient du fait qu’elle «concilie ou réconcilie les cerveaux gauche et droit. Le premier étant celui de l’expression orale et le second, celui de l’expression visuelle». Aussi fait-il des «lectures de toiles et de sculptures».... Pour Joseph Tarrab, «il n’y a pas d’œuvre en soi. Qu’elle soit picturale, musicale ou littéraire, une œuvre n’existe que dans le regard ou sous les différents sens de celui qui la reçoit ou la consomme». D’où la possibilité de lire de manière pratiquement inépuisable les grandes créations. La qualité d’une production artistique peut ainsi se mesurer au nombre de ses interprétations possible. «Une véritable œuvre d’art est beaucoup plus riche que l’intention précise de son auteur», souligne Tarrab. «Elle est plus vaste, plus englobante que la volonté créatrice de celui qui l’a conçue. C’est en cela que les grandes oeuvres sont universelles. Et qu’elles arrivent à traverser les siècles en ayant, à chaque étape de l’évolution sociale et intellectuelle, quelque chose de nouveau à dire. Elles nous parlent ainsi à travers les concepts propres à chaque époque. Concepts qui se glissent dans les domaines des sciences humaines et expérimentales, des mathématiques comme de la critique». Les correspondances se font toujours sous l’emprise d’une vision du monde qui est celle d’une époque donnée. L’art de la fin du XXe siècle, l’art abstrait en général, correspond «à la physique quantique, aux nouvelles vitesses, à la nouvelle cosmologie, aux téléscopes et aux microscopes....Il y a toujours une traduction de l’esprit général d’une époque par chaque catégorie d’art. Cela correspond à l’enveloppe civilisationnelle dans laquelle tout le monde baigne et qui se traduit par des aspects différents suivant les domaines d’exercice de la pensée, de l’intelligence, du sentiment...». Éveil artistique Joseph Tarrab est né dans une maison pleine de peinture. Enfant, il était fasciné par une toile de son père qui représentait des immeubles pastels avec des fenêtres noires. «Cette œuvre avait une force et un mystère très profond qui m’ont toujours intrigué», se souvient-il encore aujourd’hui. «Je me lançais dans une série d’interprétations pour essayer de comprendre le sens de ce paysage». C’est donc précisément à partir de cette toile qu’est né l’intérêt de Joseph Tarrab pour «la lecture des œuvres d’art». Un intérêt nourri au fil des ans par des rencontres et des découvertes culturelles et artistiques. Adolescent, il fréquente assidûment le ciné-club de Beyrouth. «Il y avait là un groupe dont Henri Seyrig, Goux-Pelletan, Barberis et Barreau (professeurs de littérature au Lycée), Adnan Maalouf...qui discutaient d’une manière très approfondie les films que nous venions de voir. D’eux j’ai appris comment on peut attaquer une œuvre à partir d’angles différents, comment on peut lire l’image et tirer d’elle beaucoup plus que ce qui n’apparaît de prime abord». Quelques années plus tard, encore étudiant (en Economie, Sociologie et Philosophie), il reprend la chronique-cinéma d’un ami au journal «Le Soir». A la même époque, il fréquente les ateliers d’artistes amis et s’essaye même au théâtre dans le cadre du Centre universitaire d’études dramatiques (avec Roger Assaf, Jalal Khoury...). «Monter une pièce, réfléchir sur les différentes manières de la mettre en scène ou de la jouer...Ce sont là aussi des problèmes de lecture, de déchiffrement et d’analyse». Très axé sur l’expression orale (le cerveau gauche) Tarrab a étudié une quinzaine de langues et a failli devenir linguiste. «Fasciné, à travers ces langues, par le fonctionnement de l’esprit humain. Car chaque idiome projette une vision du monde différente». Et d’expliquer que «ces visions sont marquées entre les familles de langues. Lorsqu’on passe par exemple du chinois au japonais, on semble passer d’un continent relativement connu à un continent inconnu. Parce que la logique chinoise ressemble plus ou moins à celles des langues sémitiques et indo-européennes, alors que le japonais a une manière de construire la phrase qui est totalement étrangère. Cela donne l’impression de naviguer dans des eaux totalement inconnues. Cette vision du monde, on la sent beaucoup plus qu’on ne la formule. On s’y glisse intuitivement». Tracés Quant à la calligraphie, «elle traduit, dit-il, l’esprit d’une civilisation ou d’une époque dans une civilisation. Dans l’écriture arabe, chaque style peut correspondre à un usage particulier. Le «soulous» dans l’écriture du Coran et l’épigraphie architecturale (les cartouches sur les monuments) est à la fois simple et majestueux. Le «koufi» géométrique convient parfaitement à l’architecture de brique de l’Asie centrale (Irak, Iran). Le «diwani» apparaît immédiatement comme l’écriture d’une autorité étatique à la fois dominatrice et décadente comme l’était l’empire ottoman. Chaque période et chaque fonction tendent à se projeter dans des formes représentatives de leur caractère principal. On sent par exemple une différence importante entre l’écriture ottomane et l’iranienne qu’on appelle le «nass taalik». La seconde est plus féminine, plus arrondie, plus souple, plus florale, tout comme les arabesques florales qu’on retrouve dans les tapis et les miniatures perses». La calligraphie est également porteuse de spéculations métaphysiques. «L’écriture arabe peut devenir une sorte d’exercice spirituel», indique Joseph Tarrab. Il rappelle qu’« un grand nombre de théoriciens de la calligraphie en ont fait une sorte de géométrie de l’esprit, d’exercice physique et spirituel. Ce qui rejoint la démarche de la calligraphie chinoise et japonaise lorsqu’elle est pratiquée par les poètes et les peintres dans la tradition bouddhiste-zen. Bien que les uns écrivent avec le roseau (le calam) et que les autres écrivent avec le pinceau. Et là on pense à la métaphore du calam, l’intellect premier, et du «laouh el-mahfouz», l’intelligence universelle... En Chine et au Japon aussi la calligraphie est un art qui a des tenants et des aboutissants sacrés». Volutes De la gestuelle de l’écriture — tenue du crayon, position du poignet — on peut passer à celle de la danse, porteuse elle aussi de correspondances spirituelles. «La danse des derviches tourneurs est également l’expression d’un rapport entre la transcendance et l’immanence. Le danseur, par la main tendue vers le ciel, reçoit un influx qu’il retransmet par la main tendue vers la terre. Et en même temps par son tournoiement, il passe de la terre vers le ciel. Il y a un mouvement intérieur qui est l’inverse du mouvement de descente de la grâce que représente cet influx qu’il reçoit. Pour beaucoup de calligraphes mystiques, la calligraphie est une opération similaire. D’ailleurs les soufis dans la tradition musulmane ont beaucoup utilisé la métaphore de l’encre et du crayon (le calam). Pour comparer le monde dans son ensemble à une écriture divine». Grand spécialiste en matière de calligraphie, Joseph Tarrab apprécie également les arabesques. A ses moments perdus, il dessine sur ordinateur, par combinaisons d’éléments, des arabesques géométriques. La géométrie et les mathématiques en général sont d’ailleurs ses domaines de prédilection. Les mathématiques lui ont appris, dit-il, «une chose essentielle. A savoir qu’une même formule abstraite peut avoir des applications concrètes extrêmement diverses. Une même formule peut servir à calculer le flux de l’eau comme la croissance d’un arbre... Cette équation représente en quelque sorte le fond de notre esprit humain, de notre façon d’aborder le monde... Si j’ai choisi la peinture, c’est parce que la peinture montre immédiatement et du premier coup la diversité d’approche d’un même monde», conclut cet homme qui reste intrigué par la diversité des expressions culturelles de l’esprit...
Critique d’art, essayiste, journaliste politique, à l’occasion acteur de théâtre, Joseph Tarrab, intellectuel éclectique, a plus d’une corde à son arc et a tout essayé ou presque... Homme de réflexion, sa préférence pour la critique d’art vient du fait qu’elle «concilie ou réconcilie les cerveaux gauche et droit. Le premier étant celui de l’expression orale et...