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Actualités - REPORTAGE

Société - Des centaines d'adolescents pris en charge par des associations spécialisées Les délinquants au Liban : l'action sociale handicapée par la faiblesse des moyens financiers et techniques (photo)

Il ne semble pas, aujourd’hui (malgré le projet de construction d’un grand centre pour délinquants au Chouf (1)), que la délinquance soit au premier rang des préoccupations de l’État. Seules, quelques personnes de bonne volonté, des associations semi-publiques, des ONG s’efforcent de s’organiser tant bien que mal pour apporter des solutions plutôt palliatives au problème de la délinquance. C’est déjà un acquis. Mais l’important est d’inciter à une conscientisation qui puisse ouvrir la voie à des solutions. (VOIR L’ORIENT-LE JOUR des mardi 20 et jeudi 22 octobre). Des séminaires, des colloques, des conférences, des études (qui ne sont pas toujours exhaustives) se sont penchés sur ce problème qui restera d’actualité tant que la société, avec ses conventions, ses normes et ses lois, continuera à tergiverser. Nous restons confrontés à un véritable dilemme qui trouve sa source bien au-delà d’une famille disloquée mais dans la structure même d’une société complexe, inconsciente, malade. L’Union pour la protection de l’enfant au Liban est un organisme spécialisé qui fonctionne depuis plus de 60 ans et dont le siège central se trouve au Palais de justice à Beyrouth. Fondé en 1936, reconnu d’utilité publique en 1939, il est chargé d’un service public aux termes du code pénal libanais en 1944 comme auxiliaire des tribunaux pour mineurs. De 1975 à 1988, il a pratiquement cessé de fonctionner pour reprendre ses activités de façon systématique en 1992. Mme Guita Kahi, directrice de l’Upel, résume l’action de cet organisme en précisant que «l’action comporte deux volets : un service social auprès des tribunaux de mineurs qui étudie le cas de l’enfant, son milieu et soumet son rapport au juge en proposant les mesures qu’elles estime nécessaires pour la rééducation de l’enfant… Le juge est la plupart du temps en accord avec les propositions de l’assistante sociale. Le second volet a rapport à l’exécution du jugement à travers les mesures éducatives prévues par la loi qui doivent être décidées en cas de culpabilité établie en envoyant le mineur délinquant dans une des maisons de rééducation tenues par l’UPEL, même les enfants qui font l’objet d’une mesure préventive. Ceux qui sont âgés de moins de 12 ans sont soumis à une mesure de liberté surveillée qui consiste à remettre l’enfant à sa famille ou à une institution sociale sous la surveillance de l’UPEL». Rappelons qu’avant 1975, l’UPEL avait en charge 4 institutions : – Le centre d’observation L’Aiglon pour les mineurs en détention préventive dont le nombre variait de 30 à 60 enfants. – La Maison de rééducation pour les mineurs jugés et soumis à une mesure préventive. – La Maison de correction pour les cas difficiles avec 15 à 25 mineurs. – Le Foyer d’accueil pour des adolescents «rééduqués» qui travaillent pour la plupart dans des usines et sont encadrés par des moniteurs. C’est une grande maison pour une grande «famille». La guerre a tout fait disparaître. On a pu créer un centre à Fanar en 1983 pour répondre aux urgences. L’UPEL étend son champ d’action à l’ensemble du territoire libanais (Beyrouth et les mohafazats). Bien que «légalement consacrée et chargée de missions précises par la législation libanaise, l’UPEL n’a d’autres ressources que des allocations parcimonieuses des ministères de la Justice et des Affaires sociales. Sur les 360 millions de LL réclamés en 1998, 150 millions ont été alloués par l’État». L’association est composée d’un conseil d’administration de 15 membres présidés par le magistrat le Dr Ghassan Rabah. Elle s’occupe des délinquants âgés de 7 à 15 ans. Le décret législatif 119/1983 a reporté l’âge à 18 ans. Il permet au «service social spécialisé d’avoir des prérogatives auprès des instances concernées aussi bien juridiques que sociales». Un personnel spécialisé M. Georges Matar, éducateur spécialisé et directeur du Centre de rééducation créé en 1983, rencontre lui aussi des difficultés. «Si nous avions, dit-il, possibilités humaines, techniques et financières, nous aurions pû entreprendre un travail gigantesque tel qu’il devrait être fait au niveau de l’accueil, du séjour et du suivi du délinquant pour que ce dernier puisse apprendre à se réadapter tout en étant initié à des travaux d’apprentissage technique». Les jeunes délinquants dans ce centre sont aujourd’hui au nombre de 30, âgés de 12 à 18 ans. Ils étaient 50 au départ. Ils sont initiés aux travaux manuels, la couture, l’électricité… et suivent des cours d’alphabétisation et de culture générale. Ils s’adonnent, dans la mesure du possible, à des activités sportives et peuvent participer à des sorties ou des camps. «Les travaux d’animation et techniques, souligne M. Matar, sont assurés par des moniteurs qui regroupent les enfants par discipline. Ils se font sous forme de sessions. Plusieurs moniteurs, surveillants encadrent ces jeunes. Sans oublier le psychologue, l’assistance sociale, le personnel administratif et d’intendance… Certains enfants qui arrivent au centre, poursuit notre interlocuteur, ont souvent des difficultés d’origine parentale (familles désunies…) et se retrouvent sans refuge, d’où leur hostilité par rapport à la société. La récidive n’est pas exclue tant que leur milieu d’origine reste le même». Mme Mireille Kassir, assistante sociale, travaille depuis plusieurs années auprès des délinquants. Dans le centre de Fanar, son travail consiste, dit-elle , à «créer d’une part un contact avec l’enfant pour établir l’enquête sociale et mieux connaître le milieu dont il est issu, et d’autre part, à rassembler toutes les données pour les besoins du procès». Ce centre permet aussi «d’observer» et de «rééduquer» le jeune. Quand l’enquête permet de déterminer un cadre familial susceptible d’assurer au délinquant une rééducation harmonieuse, un élargissement peut être sollicité. Dans le cas contraire, le centre sert de lieu d’apprentissage pour une réadaptation possible car en sortant, l’enfant épanoui peut retrouver sa place dans la société. «Je travaille en étroite collaboration avec le psychologue, souligne-t-elle, qui étudie le comportement de l’enfant. Ce dernier peut être fragile ayant vécu dans une famille elle-même fragilisée. Il peut se retrouver seul sans un interlocuteur valable. L’action auprès des parents devient indispensable afin d’amener ces derniers à juger à sa juste valeur leur enfant». Un vide rempli par la rue Le Dr Robert Caracach, psychologue clinicien, psychothérapeute au centre de Fanar (banlieue - est de Beyrouth) et celui de Baassir (Chouf), explique : «Quand il n’y a pas de protection familiale et face aux erreurs pédagogiques, l’enfant abandonné à lui-même se retrouve dans la rue. Ses comportements peuvent être névrotiques et ne sont pas nécessairement délinquantiels. Il lui arrive de se rebeller contre ce qu’il considère une injustice et, se prenant lui-même en charge sans maturité, il se retrouve dans la rue. La bande remplace alors la famille». Les différentes raisons en rapport avec des zones à risque peuvent aboutir à la marginalisation si le cadre social et psychoaffectif ne protège pas l’enfant. «Si la crise juvénile n’est pas canalisée et continue, elle peut conduire à la délinquance…», souligne le Dr Caracach. C’est en compagnie de Mmes Hayat Kabalan, Yolande Sikias et Me Mahmoud el-Mir, membres du comité de l’Upel, que nous avons visité la Maison de rééducation de Baassir au Chouf. C’est un bâtiment de 700 m2 sur une superficie de 1000m2 qui abrite une soixantaine de jeunes délinquants venus d’un peu partout et âgés de 12 à 17 ans révolus. «Ce centre a démarré en 1996, nous raconte son directeur, M. Samih Osseirane, en s’efforçant de répondre aux besoins urgents sans un support technique et financier, avec 7 jeunes au départ, 30 par la suite… Nous avons organisé des activités en collaboration avec l’Upel. Toute sorte d’assistance pouvait être utile au niveau des moniteurs (Caisse nationale de l’emploi), de l’Unicef pour le matériel et de l’Upel pour des matières premières… Des salles réservées à la menuiserie, ferronnerie, poterie ont été aménagées à côté des différents travaux manuels artistiques telles la peinture sur verre, la fabrication d’objets décoratifs et même, la cuisine et la coiffure». Toutes ces activités se sont développées au fil des années. C’est un acquis, mais il reste beaucoup à faire et nous retrouvons là le même problème que celui de Fanar : manque de budget, donc limite et frein au niveau de l’innovation et de l’action. Sans oublier, bien sûr, un personnel spécialisé, qualifié et professionnel recruté en fonction des compétences et du nombre de jeunes. «Les enfants reçoivent une formation technique et professionnelle», signale M. Osseirane qui précise que «certains délinquants deviennent eux-mêmes moniteurs et sont rémunérés (50.000 LL environ par mois pour une activité). Les produits fabriqués sont vendus… Quant aux sessions, elles durent de 6 à 8 mois pour des groupes de 10 personnes». Ce centre s’efforce de créer ou de ressouder les liens parentaux qui ne sont pas toujours solides, en encourageant les visites. L’enfant stimulé est appelé à se connaître, se découvrir pour une prise de conscience de sa réalité. «Nous n’avons pas suffisamment de moyens financiers, nous avoue le directeur du centre, qui rappelle que «le budget alloué par l’État est insuffisant : rien que pour le centre de Baassir, le budget est estimé entre 600 et 700 millions de LL. Or l’État n’a octroyé que 400 millions en 1998 pour les 2 centres de Fanar et Baassir».
Il ne semble pas, aujourd’hui (malgré le projet de construction d’un grand centre pour délinquants au Chouf (1)), que la délinquance soit au premier rang des préoccupations de l’État. Seules, quelques personnes de bonne volonté, des associations semi-publiques, des ONG s’efforcent de s’organiser tant bien que mal pour apporter des solutions plutôt palliatives au...