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Actualités - REPORTAGE

la comparution de Keitel Hayeck provoque des remous dans l'affaire de l'assassinat de Karamé Me Moghrabi se retire de l'audience et la cour donne lecture des pièces du dossier concernant l'inculpé relâché par la Syrie (photos)

Keitel Hayeck, commandant de réserve de l’armée libanaise, a gardé hier son secret. Débarqué soudainement dans le procès des personnes accusées de l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé, après que la Cour de justice eut décidé de le juger par contumace, il n’a pu être interrogé, en raison du départ spectaculaire de son avocat, Me Mohamed Moghrabi. Magistrats, avocats et simple assistance ont dû, en dépit de leur grande curiosité, se contenter de le regarder. Et, se sentant l’objet de toute cette attention, le commandant Hayeck — qui, depuis hier, est devenu le sixième inculpé présent dans cette affaire — n’a pas été avare de mimiques, de sourires et de hochements de tête, tout au long de l’audience. Visiblement détendu, l’inculpé n’a pas été affecté par le départ de son avocat. S’il a insisté sur le fait qu’il ne souhaite pas être doté d’un autre défenseur devant la cour, il a précisé qu’en Syrie — où il a été emprisonné du 21/6/94 au 5/3/98 —, il a tenu lui-même ce rôle, ajoutant: «Mes propos seront ma meilleure défense». Est-ce parce qu’il est heureux de se retrouver au Liban (même s’il y est aussi emprisonné)ou parce qu’il est convaincu de son bon droit? Keitel Hayeck est, en tout cas, apparu sûr de lui, allant même jusqu’à sourire à ses geôliers. La cour ayant décidé de lire toutes les pièces du dossier le concernant, l’assistance a pu savoir que devant le magistrat Riachi qui lui faisait subir le traditionnel interrogatoire préliminaire avant sa comparution devant la cour, l’inculpé a nié tout lien avec les Forces Libanaises. Pour en savoir plus à son sujet, il faudra attendre la prochaine audience, vendredi. Mais déjà, les avocats de la défense affichent une mine réjouie, alors que le procureur Addoum, égal à lui-même, promet de nouvelles surprises. En dépit de la comparution de Keitel Hayeck — dont les avocats de la défense avaient à plusieurs reprises réclamé l’extradition de Syrie —, l’assistance est peu nombreuse dans la salle, contrairement à l’accoutumée. Le mauvais temps y est sans doute pour quelque chose. Par contre, dans le box des accusés, Samir Geagea et le brigadier Matar doivent faire de la place au nouveau-venu qui s’installe sur le même banc. Très détendu, Hayeck lance un regard courroucé au photographe, qui le fixe longuement de son objectif, lui enjoignant de faire vite. Hayeck souffre-t-il de troubles du cerveau? Après l’appel traditionnel des inculpés et des avocats, le président de la cour, M. Mounir Honein, demande à Hayeck d’être attentif, car les pièces du dossier le concernant vont être lues. Mais Me Moghrabi se dresse aussitôt, présentant à la cour une note en trois points. L’avocat de Hayeck réclame la désignation d’une commission médicale (présidée par un spécialiste de l’Hôtel-Dieu ou de l’Hôpital américain) pour examiner l’inculpé. Selon son compagnon Camille Rami — qui affirme avoir travaillé sous ses ordres — Keitel Hayeck souffrirait de troubles du cerveau depuis une opération de l’armée libanaise à Beyrouth- Ouest, en 1983. Me Moghrabi réclame aussi un délai d’un mois pour étudier le contenu du dossier (il faudra donc suspendre les audiences, puisque la cour ne peut en principe entendre les témoins avant d’avoir achevé les interrogatoires des inculpés) et il demande que le dossier du jugement de Hayeck en Syrie soit joint à cette affaire. Selon Me Moghrabi, Keitel Hayeck aurait été jugé par un tribunal militaire de campagne, quelque part près de la frontière libano-syrienne (et peut-être même sur le territoire libanais) pour les mêmes charges retenues actuellement contre lui et condamné à 15 ans de prison, avant d’être libéré à la suite d’une amnistie générale décidée par le président Assad. Pour Me Moghrabi, il est nécessaire de regrouper les deux dossiers, car, selon lui, Hayeck ne peut être jugé deux fois pour une même accusation. Le procureur Addoum n’est certes pas de cet avis, précisant que c’est d’abord à la défense de se procurer le dossier et si vraiment il s’agit des mêmes charges, sa peine en Syrie sera déduite de celle à laquelle il pourrait être condamné au Liban. Me Moghrabi veut donc une suspension de l’audience, mais le président souhaite lire les pièces du dossier qui concernent Hayeck. L’avocat proteste encore, précisant que son client n’est pas inculpé dans une partie, mais dans l’ensemble du dossier. Beaucoup de points à éclaircir Le président enregistre les objections de Me Moghrabi et entame la lecture. Il s’agit essentiellement des interrogatoires du sergent des FSI, Camille Rami, qui a déclaré faire partie d’une cellule travaillant sous les ordres du commandant Hayeck. Ce serait donc à la demande de ce dernier qu’en compagnie de Hassan Ali Ahmed, il se serait rendu à Tripoli, une semaine avant la commémoration du quarantième de l’assassinat du premier ministre Karamé, pour lancer une charge explosive sur sa tombe. Au cours de l’enquête préliminaire, Rami avait affirmé que Hayeck avait ordonné cette mission, à la demande des Forces Libanaises, afin de lancer l’enquête officielle sur une fausse piste. Mais devant la cour de Justice, il est revenu sur ces propos, déclarant qu’à sa connaissance, Keitel Hayeck travaillait pour les renseignements de l’armée et il aurait demandé cette mission pour lancer les FL sur une fausse piste. Toujours selon Rami, les FL menaient leur propre enquête sur l’assassinat et avaient arrêté, dans ce cadre, un des hommes de Hayeck, un certain Naji Khoury. Rami a précisé avoir appris par la suite que le même Khoury a été tué par les FL. Ce point fera sans doute l’objet de plusieurs questions à Hayeck, lorsque la cour entreprendra de l’interroger. Naji Khoury faisait-il vraiment partie de l’armée? Quel était son rôle auprès de Hayeck? Beaucoup de points attendent donc d’être éclaircis. Mais Me Moghrabi ne veut rien entendre. Pour lui, la cour ne doit pas lire ces dépositions avant qu’il n’ait lui-même (ainsi que son client) pris connaissance du dossier. Et là, le président Honein répond: «La mère de Keitel Hayeck est venue ce matin et m’a dit qu’elle vous a annoncé que le dossier lui a été remis. Vous lui avez demandé de le garder avec elle pour l’instant. C’est donc vous qui n’avez pas voulu prendre connaissance du dossier...». Me Moghrabi est décidé à pousser son coup d’éclat jusqu’au bout. «A mon avis, dit-il, ce n’est pas suffisant. De toute façon, le procès de Hayeck ne peut commencer avant que je n’aie soulevé les exceptions de forme...». Le président demande au greffier de noter ses objections, avant de reprendre la lecture. C’est alors que Me Moghrabi décide de se retirer de la salle, laissant son client sans avocat. Le président demande alors à Hayeck s’il souhaite que la cour lui nomme un autre défenseur, au moins pour cette audience. Mais Hayeck affirme qu’il ne veut que Me Moghrabi. Une demi-heure de suspension Addoum demande à la cour d’adresser une note à l’ordre des avocats pour l’informer de la situation et lui demander de prendre les mesures qui s’imposent. Les magistrats et les avocats de la partie civile ont le sentiment que Me Moghrabi veut faire traîner les choses en longueur. La cour demande alors aux avocats de la défense si l’un d’eux accepte de représenter Hayeck pour le reste de l’audience qui ne sera consacrée qu’à la lecture des pièces du dossier. Me Emile Younès, avocat de Camille Rami, refuse. Me Karim Pakradouni accepte, mais le procureur qui s’est déjà opposé au fait qu’il se charge de la défense de Geagea formule une objection. Pour détendre l’atmosphère, Me Youssef Germanos de la partie civile propose sa candidature, bien sûr irrecevable. Le président décide alors de suspendre l’audience, le temps de trouver une solution. Et au bout d’une demi-heure, il annonce la décision de la cour: «L’inculpé insistant pour avoir Me Moghrabi pour défenseur et ce dernier s’étant retiré de l’audience sans justification légale, et sans annoncer son refus de défendre son client dans ce procès, son départ ne peut entraîner la suspension ni entraver le cours de justice». La cour poursuit ensuite la lecture des pièces du dossier, notamment le procès-verbal de l’interrogatoire de Camille Rami devant la cour. Et chaque fois que Rami évoque les liens de Keitel Hayeck avec les services de renseignements de l’armée, ce dernier ouvre de grands yeux et hoche la tête. S’il ne travaille pas pour l’armée, ni pour les FL, pour le compte de qui a-t-il voulu lancer l’enquête officielle sur une fausse piste? En principe, c’est vendredi que l’inculpé Hayeck répondra à cette question. Si toutefois Me Moghrabi accepte d’assister à l’audience, alors qu’il avait réclamé un délai d’un mois pour s’informer du dossier...
Keitel Hayeck, commandant de réserve de l’armée libanaise, a gardé hier son secret. Débarqué soudainement dans le procès des personnes accusées de l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé, après que la Cour de justice eut décidé de le juger par contumace, il n’a pu être interrogé, en raison du départ spectaculaire de son avocat, Me Mohamed Moghrabi....