Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Enquête - Beyrouth, capitale culturelle arabe l'an prochain SOS des créatifs : pas assez de fonds et de planification (photo)

Tout le long de l’année 1999, Beyrouth devra assumer le rôle de capitale culturelle du monde arabe, a décrété l’Unesco. Dès lors le ministère de la Culture s’évertue de régler la chorégraphie de plusieurs manifestations-clés. La capitale libanaise, longtemps considérée phare des intellectuels de la région, va déployer tout son potentiel pour réaffirmer son emprise, aller jusqu’au bout de ses défis et redevenir un chef de file dans ce domaine .Des activités variées seront mises en scène : musique, danse, chant, théâtre, arts plastiques, lectures, colloques, conférences, mais aussi cinéma et photographie… Le ministère a sonné le rassemblement. Mais il semble y avoir un flou total chez les uns. Une valse-hésitation chez les autres. Et un imbroglio financier important dans le panier du ministère… À trois petits mois du coup d’envoi, où en est-on ? Et tout d’abord, qu’est-ce que cela veut dire au juste «capitale culturelle» ? Posez la question autour de vous, vous aurez une dizaine de définitions différentes. Pour M. Mtanios Halabi, directeur général, «c’est rendre hommage à un pays qui tient à restaurer un “pont culturel” entre lui et les autres civilisations. Un événement de grande envergure qui permettra au Liban de montrer sa richesse en matière de culture, grâce à l’esprit créatif des Libanais, à leur ouverture à toutes les cultures du monde…». Beyrouth« capitale culturelle arabe “est” le juste prix attribué à un pays possédant un passé culturel prestigieux enraciné dans l’histoire de l’humanité», poursuit M. Halabi. «À l’heure où des défis de tout genre la menacent, notre culture demande à être défendue pour garder son essence et ses spécificités. Elle contribue à unifier les Libanais, en vue de respecter et fortifier les vraies valeurs humaines», ajoute-t-il. M. Halabi indique, par ailleurs, que les préparatifs en cours sont pris en charge par un comité supérieur désigné par le Conseil des ministres, assisté par des sous-commissions techniques qui étudient les projets à entreprendre et en établissent le calendrier. Un appel a été lancé aux institutions spécialisées, aux administrations et aux établissements publics concernés ainsi qu’aux universités et aux écoles afin de contribuer à cet événement. Du côté des pays arabes «la Tunisie a déjà programmé une semaine du cinéma tunisien ; la Syrie et l’Égypte ont annoncé certains spectacles comme du théâtre, du folklore et une exposition d’arts plastiques», indique M. Ghassan Abou Chakra, directeur de la section cinéma au sein du ministère de la Culture et de l’Enseignement supérieur. Cherche mécène Côté budget, un membre du comité supérieur qui a voulu garder l’anonymat avance le chiffre d’un milliard de livres libanaises. Dans les milieux artistiques, on parle amèrement de 250 000 dollars américains, soit à peu près 375 millions de LL! «Nous avons demandé au gouvernement cinq milliards de livres libanaises pour gérer cet événement; mais allez savoir si la Chambre va voter ces crédits…», déclare M. Abou Chacra. Il précise toutefois que le rôle du ministère n’est pas de financer les projets mais de les sélectionner, de les estampiller du logo «Beyrouth capitale culturelle arabe», de leur fournir le cadre adéquat et de les programmer pour l’année… À la question de savoir si le ministère n’accuse pas un retard sérieux quant aux préparatifs de cette grosse opération culturelle, M. Abou Chakra répond: «Nous fournissons un travail intensif. Le comité exécutif planche actuellement sur plus de 200 projets présentés par les artistes…». Pour accélérer les préparatifs, le ministère a demandé «un coup de pouce» à L’Agenda culturel. Chapeautée par M. Émile Nasr, une équipe de 17 personnes a déjà engrangé «quelque 500 projets qui seront exposés au comité ministériel», indique-t-il. «Sachant que le ministère ne dispose pas d’un budget important pour subventionner un événement de cette ampleur, nous rédigeons actuellement des lettres d’information à quelque 350 mécènes potentiels, pour les sensibiliser à ce projet», dit M. Nasr. «Les avantages sur le plan moral seront énormes», signale M. Mtanios Halabi. «Les projets jugés dignes de l’événement paraîtront dans les programmes officiels, les dépliants édités par le ministère et sur le site Internet de l’année culturelle». Contrastant avec cette tranquille assurance, un net malaise est perceptible chez les artistes. Ils se plaignent que l’État ne les aide pas suffisamment sur le plan financier. «Ne serait-il pas temps que le gouvernement nous regarde autrement que du coin de l’œil ? On oublie un peu trop qu’un artiste a besoin de vivre et de se nourrir…», soulignent-ils. «L’État n’a jamais joué les mécènes; mais l’année 99 impose une obligation: réussir l’image d’une capitale culturelle», ajoutent-ils. Opération déballage — M. Walid Gholmieh membre du comité supérieur relève que cette instance «n’a été formée qu’il y a trois mois. Tout le monde était occupé par les échéances présidentielles… Mais l’important est de dessiner le but à atteindre, c’est-à-dire transmettre un engagement et créer dans Beyrouth une ambiance culturelle à laquelle auront participé tous les Libanais. Le reste en découlera». — Autre membre du comité, Mme Nidal Achkar, dénonce le manque d’organisation. «Le ministère nous a invités il y a trois mois à nous réunir pour exposer nos idées et débattre du projet. Et depuis, je n’ai plus entendu parler de rien», dit-elle. «J’ai quand même envoyé un plan d’étude au ministère dans lequel j’avançais nombre de suggestions. Il y a tant à faire: créer des comités regroupant les chorégraphes des diverses activités pour gérer le calendrier des représentations et l’étaler sur toute l’année. Mettre en cheville les différentes associations culturelles. Créer des comités de sponsors. Financer des grandes productions. Coordonner le travail pour animer tous les lieux publics comme la place Sassine, le jardin des Arts et Métiers, le café Rawda, et ce en organisant des expositions, des théâtres ambulants, des soirées poétiques et musicales…En bref, faire de Beyrouth une liesse culturelle générale. Malheureusement, le ministère n’a jamais accusé réception de ma lettre. Point étonnant d’ailleurs, les théâtres et les galeries ferment et on ne décèle aucune réaction chez les responsables. Je ne sais avec quels éléments de bord ils veulent piloter cette manifestation. Quelle est donc leur vision, leur planification de la culture et de l’art? Mais quelle est donc la politique culturelle de ce pays?», s’exclame Nidal Achkar. «De toute façon, les activités du théâtre al-Madina seront toujours nombreuses et importantes. Nous continuons sur notre lancée…», ajoute-t-elle. — Plus cool M. Roger Assaf déclare avoir plusieurs éventualités: participer à l’année Georges Schéhadé ; préparer une nouvelle production théâtrale ou encore reprendre la pièce «Al-Mayssan» présentée cet été au festival de Beiteddine. «Mais rien n’est encore précis. Tout dépendra des moyens dont nous disposerons; il faut qu’on puisse m’assurer des locaux, un lieu de travail», dit-il. — L’acteur Antoine Kerbage, qui travaille avec le metteur en scène Mounir Abou Debs, révèle que «tout reste flou encore». «Je crois que nous allons jouer Lear ou Le roi se meurt mais rien n’est définitif… il y a beaucoup de détails à régler surtout en ce qui concerne les planches …». Manque de temps — Scandalisée, Mme Georgette Gébara, chorégraphe, raconte qu’elle a été relancée au mois de septembre et sollicitée de prendre des engagements pour l’année 99. «Trop de responsabilités pour très peu de temps et de moyens. À l’aube du XXIe siècle, on n’est plus libre de reculer. On ne peut pas préparer n’importe quoi et n’importe comment….Il fallait demander à l’Unesco de reporter l’événement à une autre année. C’est une opération qui mérite considération et par conséquent a besoin d’être préparée plusieurs années à l’avance… Je ne veux pas paraître négative mais je ne peux pas monter un spectacle de ballet avec mes élèves et les autres écoles de danse. On ne peut présenter un spectacle d’école pour une aussi grande circonstance». Mais derrière cet étalage de colère se profile chez Georgette Gébara un projet: «Avec Jean-Claude Voisin du CCF, j’essaye de programmer pour la journée de la Danse, le ballet de Claude Brumachorp qui viendra de Nantes. Mais là aussi, il faut trouver des sponsors…», dit-elle. — Côté cinéma, Mohammed Soueid et cinq producteurs ont proposé un film documentaire sur le Beyrouth culturel du XXe siècle. «Le comité étudie le budget. Nous n’aurons pas de réponse avant le mois de novembre», dit-il. — Le cinéaste Bourhane Alaouié voudrait mémoriser sur pellicules toutes les activités de l’année 99. «Le film sera présenté au cours d’une cérémonie de clôture. J’attends le OK du ministère, bien sûr». — Indépendamment du Salon d’Automne qui se tiendra à partir de novembre et jusqu’à janvier, le «Musée Ibrahim Sursock» célèbre l’année culturelle avec un hommage à Georges Schéhadé (œuvres littéraires, manuscrits, affiches, peintures); une grande exposition de Gibran Khalil Gibran et une rétrospective du peintre Philippe Mourani. L’année 1999 ne sera pas un millésime innocent pour qui veut comprendre la situation. Beyrouth capitale culturelle arabe va témoigner d’un siècle qui disparaît alors qu’on est en pleine histoire contemporaine. C’est donc un témoignage qui tente une première synthèse…
Tout le long de l’année 1999, Beyrouth devra assumer le rôle de capitale culturelle du monde arabe, a décrété l’Unesco. Dès lors le ministère de la Culture s’évertue de régler la chorégraphie de plusieurs manifestations-clés. La capitale libanaise, longtemps considérée phare des intellectuels de la région, va déployer tout son potentiel pour réaffirmer son...