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Actualités - OPINION

L'élection présidentielle : réalités et illusions

Maintenant que le sort en est jeté, l’opinion se focalise sur l’avenir et se demande si le changement est un mirage ou une éventualité probable. Si la perspective de l’élection présidentielle a revêtu, aux yeux du citoyen, une portée inhabituelle, c’est qu’il en avait ras-le-bol du dérèglement et des scandales d’une pratique politique qui se nourrit surtout du narcissisme des dirigeants et dont l’opacité vide la politique de tout contenu. Frustré, humilié, révolté, le citoyen se défoule comme il peut, fut-ce par une vision idyllique de l’avenir. Aussi, le prochain sexennat est-il idéalisé par les uns et banalisé par les autres? Est-il possible, à ce stable, de remettre les pendules à l’heure et de faire la part des choses? Effectuée dans le cadre élastique des relations privilégiées, la sélection du futur Président reflète une décision souveraine que, par humour et par dévoiement sémantique, on qualifie d’élection. Il incombe donc au futur chef de l’État de revaloriser la fonction, grâce à ses qualifications et au préjugé favorable dont il bénéficie. À l’heure qu’il est, la situation se présente comme suit: Si l’opinion est aux aguets pour savoir de quelle manière le président assumera l’héritage et les séquelles positives ou négatives de neuf années de pouvoir, c’est à la formation du premier gouvernement et à son programme qu’elle le jugera définitivement. Prodigues en pronostics optimistes, les médias ainsi que certains hauts responsables n’ont pas hésité à alimenter les espoirs. C’est à un gouvernement de large coalition ou d’union nationale qu’aspirent les citoyens, seul en mesure à leurs yeux, de traiter les questions essentielles, qui sont la condition de la convivialité et de la réforme de l’État. Longue est la nomenclature de ces questions, qui s’étend de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, jusqu’à la réalisation de l’entente nationale, en passant par l’assainissement de la politique et de l’administration, et l’adoption d’une loi électorale adéquate. À cause de son auréole morale et de sa fermeté, il ne sera pas pardonné au chef de l’État de ne pas accorder, dans son action future, la priorité à la lutte contre la corruption qui mine le système. C’est ainsi qu’est posé d’emblée le problème de l’étendue et des limites des pouvoirs du président de la République et de leur adéquation à son véritable rôle. Je m’empresse de préciser qu’il n’entre pas dans mon intention, à cet égard, de revenir au statu quo ante, mais simplement d’ajuster ces pouvoirs dans la mesure nécessaire, afin d’éviter les impasses dans le fonctionnement du système, lesquelles rendent incontournable l’arbitrage syrien, et de donner ainsi au chef de l’État les moyens adaptés à sa mission. Vus sous l’angle des textes et de la situation politique actuelle, ces pouvoirs ne pèsent pas lourd. C’est que le document de Taëf a modifié la nature juridico-constitutionnelle du parlementarisme libanais. De dualiste qu’il était, il est devenu moniste, par le fait de la réduction sensible des pouvoirs présidentiels, au bénéfice de l’assemblée et du Cabinet. Dans un tel système — caractérisé par la responsabilité du gouvernement devant le Parlement à l’exclusion du chef de l’État, ce dernier règne mais ne gouverne pas. Abordant cette question dans son Traité des Institutions Politiques, le professeur Philippe Ardant formule des remarques dont voici quelques extraits pertinents: Symbole de l’unité nationale, le chef de l’État sera parfois aussi, le dernier recours en cas de crise grave. «Il règne mais ne gouverne pas»,... Ses interventions dans les affaires de l’État sont modérées, faites de conseils discrets et de suggestions feutrées (...) Son influence tient beaucoup à sa personnalité et souvent il sera choisi parce qu’il n’en a pas. Pourtant, à force d’adresse, de patience, d’ambition dissimulée et de caractère maîtrisé, il arrivera peut-être à un rôle politique non négligeable (...) Mais c’est à lui qu’il le doit et non à sa fonction. Faute de pouvoir être le Chef, il peut exercer un rôle d’éminence grise (...) Ce n’est pas ce que l’opinion attend du président, et ce n’est pas avec de tels moyens que l’État peut être remis sur pied. S’il y a lieu de se féliciter de l’accueil fait par l’opinion au chef de l’État, car le choc positif lui permet de bénéficier d’un répit et d’un crédit qui a été chichement mesuré à l’État jusqu’ici, il n’est pas interdit de penser également que la fragmentation du paysage politico-confessionnel peut faciliter, jusqu’à un certain point, un regroupement autour de celui dont le cursus s’est déroulé honorablement sous la devise «Servir». Il convient néanmoins de ne pas se leurrer, car ce n’est là qu’une plate-forme si prestigieuse fut-elle, et il est indispensable de se pencher sur les prérogatives du chef de l’État si l’on veut déboucher sur un changement qui ne serait pas simplement cosmétique. «Gardien de la Constitution, de l’intégrité du territoire et symbole de l’unité nationale», le président ne dispose néanmoins d’aucun moyen pour s’acquitter de ses devoirs. Comment, dans ces conditions, satisfaire une opinion qui croit que l’investiture implique le changement? À cette occasion, il y a lieu de mettre en garde contre l’illusion que celui-ci peut être réalisé en un tournemain et par un coup de baguette magique. Le facteur temps est incontournable et le changement n’est pas synonyme de coup d’État, ni de renversement. Problème d’actualité, les pouvoirs s’imposent comme l’un des chapitres du projet de changement. Dans le contexte politico-social, de quelles chances pratiques bénéficie un tel projet? Pour parler sans ambages ni fioriture, la détermination des autorités libanaises d’édifier un véritable État de droit avec les conséquences qui en résultent, – pour indispensable qu’elle soit – ne saurait aboutir, si elle n’est pas soutenue et confortée par la Syrie. Il y a lieu de souligner à son adresse et à la nôtre que, si un tel projet voyait le jour, la confirmation par un État libanais digne de ce nom, de son engagement total à ses côtés, dans le processus de paix, bénéficierait d’autant plus de crédibilité et de poids, qu’il exprimerait une décision souveraine des institutions démocratiques auxquelles le changement aura permis de recouvrer le libre exercice de leurs attributions. C’est dans de telles conditions que les relations privilégiées, sainement comprises et appliquées, peuvent produire les effets qu’on est en droit d’en attendre sur le long terme, entre les deux États frères et leurs habitants. À ceux qui se félicitent de l’état de choses actuel et surtout à ceux qui le déplorent, il est bon de rappeler qu’une vieille sagesse enseigne qu’«il ne saurait y avoir davantage dans l’effet que dans la cause».
Maintenant que le sort en est jeté, l’opinion se focalise sur l’avenir et se demande si le changement est un mirage ou une éventualité probable. Si la perspective de l’élection présidentielle a revêtu, aux yeux du citoyen, une portée inhabituelle, c’est qu’il en avait ras-le-bol du dérèglement et des scandales d’une pratique politique qui se nourrit surtout du...