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Actualités - ANALYSE

Le changement, plutôt une affaire de textes...

Cela fait des années, des décennies, des siècles même que l’on dit: il faut changer les mentalités avant de changer les textes. Avec une telle mentalité de bras croisés, passive et raisonneuse, comment veut-on que cela change? S’ils avaient voulu attendre «l’évolution naturelle des temps», comme souvent leurs propres supports le souhaitaient, jamais Pierre le Grand, Napoléon, Atatürk, Lénine ou Mao Tsé-Toung, entre autres refondateurs de nations, n’auraient pu remodeler leurs mondes respectifs. C’est à coups d’ukases, de décrets, de codes civils et parfois de fouet (on n’en demande pas tant) qu’ils ont modernisé, désenvoûté, régénéré l’environnement. Et la plupart d’entre eux se sont heurtés à des problèmes, des clivages sociaux, conventionnels, qui ressemblent furieusement à notre mouche tsé-tsé du confessionnalisme politique... L’action c’est donc le texte d’abord et qui n’agit pas recule, comme on l’a si bien vu sous la présente République. En effet, appelée par Taëf à initier l’abolition du confessionnalisme, elle n’en a rien fait. Ce qui, de l’aveu même des dirigeants, a conduit à une situation de césure sectaire jamais vue auparavant, même du temps de la guerre. D’une façon plus globale, «il est bon de toujours préciser, souligne un ancien ministre écouté, que le changement qu’on promet pour le prochain régime ne se fera pas du jour au lendemain d’un coup de baguette magique. C’est un long processus qui doit être sectionné en tranches, en étapes successives. Et qu’il faut surtout préparer soigneusement, tant sur le plan psycho-politico-médiatique que sur celui des textes. C’est surtout à ce niveau en effet que le régime sortant, qui a à son actif de courageuses réalisations, a failli. Faute de parvenir à faire modifier les textes, il a rompu plusieurs de ses promesses initiales, comme l’entente nationale, pour ne prendre que cet exemple. Sur le mariage civil, il s’est bien battu et il a effectivement présenté un projet de loi très complet; mais il a essuyé un échec à cause de la levée de boucliers des religieux. Il n’a rien à se reprocher de ce côté-ci. «Par contre, les déclarations de M. Elias Hraoui sur l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel sont restées paroles en l’air car il n’a pas été jusqu’à présenter un projet de loi constitutionnelle dans ce sens. Si on veut être indulgent, et pourquoi ne pas l’être, on dira que les neuf dernières années peuvent être considérées comme une période de simple rodage pour l’application de Taëf. Mais, maintenant, il faut passer aux travaux pratiques. D’autant que, pendant la phase d’essais, on a dévié plus ou moins gravement de la trajectoire initialement tracée par ces accords qui tiennent lieu de pacte national. Les failles, les lacunes, les fautes sont aujourd’hui identifiées et avouées par les responsables. Il n’y a aucune raison, en bonne logique, que le pouvoir ne procède pas aux corrections nécessaires. Une fois qu’on aura réparé la mécanique, il y aurait moins besoin de s’adresser à la Syrie à chaque faux pas et il y aurait d’ailleurs probablement beaucoup moins de conflits internes et de confusion, puisqu’on délimiterait mieux les limites de chaque pouvoir». Le timonier doit réparer la barre Ce mentor insiste: «ll ne suffit pas, souligne-t-il, que les dirigeants battent leur coulpe. Il faut encore, il faut surtout, qu’ils réparent les torts qu’ils ont causés au pays. Les opposants ont eu l’air d’être paradoxaux quand ils se sont indignés que M. Hariri pût, par la bouche de M. Dalloul, parler de partir. Mais ils ont tout à fait raison de vouloir retenir celui qu’ils attaquent tout le temps. En effet, avant de quitter le navire, le timonier doit réparer la barre car il sait mieux que personne où les vis ont sauté et où cela s’est déglingué. Surtout en matière financière, sa grande spécialité. Et en ce qui concerne l’ensemble du système politique, c’est à la troïka sous sa nouvelle forme qu’il revient de rééquilibrer les pouvoirs par des textes. Pour se placer sur la voie du changement, il faut donc d’abord retrouver les bonnes marques de départ. C’est ainsi que, comme M. Hariri l’a souhaité dans son discours du 6 mai dernier, on pourra rétablir le vrai règne de la loi, l’éradication du clientélisme — entendre du douteux système de partage qui est appliqué — pour faire triompher l’avènement d’un Etat des institutions...». Si l’on ajoute à cette vertueuse énumération la nécessité d’épurer et de réformer l’Administration, on se rend compte qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. D’autant que le chef du gouvernement, qui est le plus ardent prosélyte du changement, ne prêche pas beaucoup l’exemple quand il fait reporter au prochain gouvernement (donc à décembre avec débat en février), l’élaboration du budget 99, dont la Chambre devrait en fait être saisie dès la mi-octobre... Il est très bon, pour tout dire, de vouloir modifier les textes. Mais il est encore meilleur de les respecter...
Cela fait des années, des décennies, des siècles même que l’on dit: il faut changer les mentalités avant de changer les textes. Avec une telle mentalité de bras croisés, passive et raisonneuse, comment veut-on que cela change? S’ils avaient voulu attendre «l’évolution naturelle des temps», comme souvent leurs propres supports le souhaitaient, jamais Pierre le Grand,...