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Actualités - OPINION

Worldgate

Traîné dans la boue à Washington mais ovationné à l’ONU, massacré par les médias américains mais trouvant grand réconfort dans le mépris que voue la presse internationale à ses inquisiteurs, Bill Clinton n’aurait jamais pu imaginer qu’il incarnerait un jour, d’aussi pitoyable manière, ce qui est devenu le maître mot de cette fin de millénaire: la globalisation. Comme pour le rapport Starr inconsidérément balancé sur Internet, la diffusion mondiale de la déposition vidéo du président des Etats-Unis devant le Grand Jury, au sujet de ses relations avec Monica Lewinsky, ne semble pas avoir renversé les tendances de l’opinion publique locale: selon les derniers sondages, une assez nette majorité d’Américains continuent de croire que si Bill Clinton a fauté, il ne mérite guère pour autant d’être destitué. C’est de l’évolution de ce décalage entre l’opinion et la classe politico-médiatique que va dépendre désormais le sort de Clinton: évolution on ne peut plus incertaine, imprévisible, volatile, tant sont interdépendantes, interactives pour user du jargon des jeux vidéo, ces deux composantes de l’establishment US. Ce qui a changé en revanche avec ce déballage médiatique d’une ampleur absolument sans précédent, c’est que le scandale de la Maison-Blanche n’est plus l’affaire des seuls Américains: ébahi, consterné ou atterré selon le cas, le monde entier assiste aujourd’hui à l’effondrement de deux mythes. Le premier est celui du modèle démocratique qu’a pu longtemps revendiquer le leader du «monde libre». Bien étrange tout de même, est l’histoire de ce président notoirement coureur mais triomphalement réélu il n’y a pas si longtemps, et qui doit maintenant répondre non point de sa mauvaise gestion, mais de ses pulsions d’adolescent attardé. Etrange, cette justice qui s’accommode des méthodes rien moins qu’honorables auxquelles a eu recours, dans sa longue et coûteuse enquête, le triste «procureur indépendant» Kenneth Starr: et qui comportaient, entre autres, l’enregistrement des conversations téléphoniques de Monica Lewinsky avec sa «confidente», la non moins odieuse Linda Tripp. Etrange, de même, le processus par lequel le président s’est trouvé acculé à nier ce qui n’était pas encore l’évidence – donc à mentir – pour se voir aussitôt reprocher le crime de parjure; que Clinton renonce à son actuelle ligne de défense, qu’il admette le parjure comme le lui conseille perfidement la grande presse de Washington en lui promettant de s’en tirer avec une simple motion de censure, et le piège finirait sans doute de se refermer. Etrange et dégoûtante enfin (car visant non point à édifier le public mais à humilier, à briser, à anéantir politiquement l’accusé), est la décision du Congrès de rendre publiques les images de la déposition présidentielle recueillie à huis clos. Elles n’apportaient rien de neuf quant au fond ces images, pour la diffusion desquelles pourtant les grandes chaînes de télévision américaines ont craché sur des millions de dollars de publicité. Rien de neuf en vérité, sinon l’évocation – improbable, fantasmagorique pour un événement se produisant non point dans le Prague des années soixante mais en plein Washington – d’une scène-culte de «L’Aveu» de Costagavras, qu’appelait irrésistiblement le spectacle de cet homme aux abois, répondant comme il pouvait au feu roulant des questions martelées par une voix sans visage. De tout cela, la démocratie américaine ne sort guère grandie; le modèle n’était que contrefaçon, un junk-system noyé sous des flots de ketchup, et ce sont les élus américains eux-mêmes qui nous en font la masochiste démonstration. En un sens, et toutes proportions gardées, cette révélation est un peu le pendant de l’effondrement de l’Union soviétique. Avec le rideau de maïs américain, c’est le deuxième mythe qui vole en éclats: celui de l’unique superpuissance, appelée à gérer un nouvel ordre mondial. Les leaders et la presse d’Europe et d’ailleurs, qui crient avec autant de vigueur et de constance à l’inquisition, voire à la persécution, quand bien même ils ne seraient pas des inconditionnels de l’Oncle Sam, sont les fidèles interprètes d’une même angoisse: une angoisse planétaire, celle du vide. Comment, en effet, l’homme le plus puissant du globe pourrait-il humainement se préoccuper de ce qui se passe aux antipodes quand il doit consacrer le plus clair de son temps et de son énergie à assurer sa propre survie politique? Peut-il vraiment appeler, comme il l’a fait lundi à l’ONU, à une mobilisation universelle contre le terrorisme, alors que le terrorisent nuit et jour Starr et consorts? Et même s’il passait à travers les mailles du mortel filet, quel prestige international serait encore celui d’un président que l’on aurait fragilisé à l’extrême en le salissant avec autant d’acharnement? Quelle serait la crédibilité, quel poids auraient les assurances, garanties, promesses de soutien – ou au contraire les mises en garde, menaces et autres ultimatums – d’un homme qui a menti avec autant d’aplomb à ses propres concitoyens, qui les a bluffés avec autant de maladresse que d’effronterie? Au Proche-Orient plus qu’ailleurs peut-être, il convient de redouter les retombées du drame qui se joue à Washington, du complot dont se dit victime aujourd’hui le président américain. Ce n’est sans doute pas obéir à un réflexe primaire que de flairer de l’israélien sous les intrigues de la droite ultra-conservatrice américaine. De Monica Lewinsky, l’influent quotidien de Tel-Aviv «Haaretz» disait récemment qu’elle entrerait dans l’histoire comme la femme qui a sauvé Benjamin Netanyahu. Et tout compte fait, Samson et Dalila, cela ne se passait pas au Tibet...
Traîné dans la boue à Washington mais ovationné à l’ONU, massacré par les médias américains mais trouvant grand réconfort dans le mépris que voue la presse internationale à ses inquisiteurs, Bill Clinton n’aurait jamais pu imaginer qu’il incarnerait un jour, d’aussi pitoyable manière, ce qui est devenu le maître mot de cette fin de millénaire: la globalisation. ...