Russie : la pénurie alimentaire frappe aux portes Les citoyens sortiront dans la rue et balaieront tout le pouvoir d'un seul coup, prédit Lebed (photos)

Boris Eltsine devait rencontrer aujourd’hui les leaders parlementaires pour tenter de les convaincre d’investir Viktor Tchernomyrdine au poste de premier ministre, afin de sortir le pays d’une crise financière qui menace jusqu’au ravitaillement de la population. Certaines régions, en l’absence de gouvernement depuis deux semaines, ont déjà pris des mesures pour éviter les pénuries alimentaires, dont le spectre se profile de plus en plus Poussant un véritable cri d’alarme, le général Alexandre Lebed est allé même jusqu’à prédire dimanche soir des émeutes «dans une semaine» si la situation n’évolue pas. «Encore une semaine comme cela, et tout le système financier et bancaire du pays sera paralysé. Et à ce moment-là, les citoyens sortiront brusquement dans la rue, dans tout le pays, et balaieront tout le pouvoir d’un seul coup», a-t-il affirmé. La table ronde entre M. Eltsine et les députés aura lieu quelques heures avant que la Douma (chambre basse du Parlement), dominée par l’opposition de gauche, ne se prononce pour la deuxième fois sur l’investiture de M. Tchernomyrdine. Mais, alors que le pays entame sa quatrième semaine de crise financière, avec un rouble dévalué de plus de 60%, les chances de compromis entre le Kremlin et la Douma sont faibles. Les communistes et leurs alliés (211 députés sur 450) de même que les 44 députés réformateurs de Iabloko ont répété qu’ils se prononceraient contre la candidature de M. Tchernomyrdine qu’ils accusent d’avoir mené le pays à la ruine lorsqu’il était à la tête du gouvernement de 1992 à mars dernier. L’opposition de gauche a annoncé son intention de présenter au président, lors de la table ronde, une liste de cinq noms de premiers ministres acceptables. Parmi ces personnalités, figurent celles de l’influent maire de Moscou, Iouri Loujkov — qui s’est déjà implicitement posé en candidat — le président du Conseil de la Fédération (chambre haute), Egor Stroïev, proche du PC, et le ministre sortant de l’Industrie, le communiste Iouri Maslioukov. Trois possibilités De son côté, le Kremlin a réaffirmé son soutien à M. Tchernomyrdine, 60 ans. Si les députés rejettent une seconde fois le candidat du Kremlin, qui a déjà subi lundi dernier une cuisante défaite avec seulement 94 voix en sa faveur — 226 voix favorables sont nécessaires pour que sa candidature soit entérinée —, le président a deux possibilités. Il peut soit proposer un nouveau candidat, soit présenter M. Tchernomyrdine pour un troisième tour. Selon une source informée proche du Kremlin, le président incline à représenter M. Tchernomyrdine. Si le candidat du président est rejeté à trois reprises, la Constitution prévoit alors que le chef de l’Etat dissout la Douma. Dans le cas d’élections législatives imminentes, le PC remporterait 26% des voix, le parti réformateur 11% et le parti pro-gouvernemental Notre Maison la Russie 8%, selon un sondage cité dimanche par la télévision NTV. S’il passe, M. Tchernomyrdine mettra immédiatement en œuvre son plan anticrise présenté vendredi devant les sénateurs. Le programme prévoit une émission monétaire «contrôlée» pour payer les salaires et les retraites en retard, puis l’instauration d’un mécanisme de conseil monétaire (currency board), censé assurer de nouveau la stabilité du rouble. Mais ces mesures ont été jugées «inapplicables dans les conditions actuelles» par les experts économiques. La chute du rouble et la hausse brutale des prix, multipliés de 1,5 à 5 fois depuis la mi-août, font désormais craindre des pénuries alimentaires à court terme. Les marchandises importées, qui représentent 60 à 65% des produits alimentaires en vente dans le pays et 85 à 90% à Moscou, sont devenues inaccessibles ou bien ont déjà disparu des rayons. Les Russes qui voient leur monnaie perdre de la valeur et assistent impuissants à la valse des étiquettes qui évoluent en fonction du cours du rouble par rapport au dollar, ont commencé à stocker frénétiquement les produits de base. A Moscou, la farine, l’huile, les céréales, la lessive ont presque disparu des magasins. La situation est la même en province. Les gouverneurs des régions de Perm (Oural), Smolensk (ouest) et Novgorod (nord) ont décidé de créer des commissions de contrôle des prix. La région de Saratov (Volga) a mis en place un système de foires où les petits fermiers et éleveurs peuvent vendre leurs marchandises sans payer de patente pour les inciter à écouler leurs marchandises à des prix raisonnables et permettre à la population de s’approvisionner.