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Actualités - OPINION

Rideau de verre

La corruption étatique est une calamité vieille comme le monde, et elle n’épargne pas même les sociétés les plus évoluées: lesquelles, néanmoins, fournissent régulièrement la preuve qu’en régime démocratique, la primauté de la loi, le courage et l’intégrité des juges, la pression de l’opinion publique, tout cela peut vaincre le mal et en châtier les auteurs. Il n’en va guère ainsi dans notre région où, le plus souvent, l’opinion n’a pas la moindre possibilité de s’exprimer; le privilège (ou le drame) des Libanais étant que si cette latitude continue de leur être consentie, cela ne risque jamais de mener trop loin. Le verdict de l’opinion, c’est strictement bon pour le défoulement populaire, c’est une salutaire soupape de sécurité; ce n’est pas aux citoyens que les hommes politiques se sentent tenus de rendre des comptes et leurs carrières ne sont aucunement affectées par le sentiment des gens, du moment qu’elles sont notoirement régies par d’autres critères. Cette plaie de la corruption, le hasard a voulu qu’elle tienne ces derniers jours la vedette, bien qu’à des degrés divers et dans des contextes différents, au sein de sociétés aussi dissemblables et néanmoins aussi attachées aux mêmes traditions libérales, que la palestinienne et la libanaise. De Palestine, de ce pays qui n’est pas encore un Etat , nous est venu l’admirable geste d’une Hanane Achraoui et d’un Abdel-Jawad Saleh dédaignant les portefeuilles que leur avait adjugés Yasser Arafat dans son nouveau gouvernement, car ils se refusaient à côtoyer la cohorte de ministres véreux dont la démission était réclamée avec insistance par le Parlement et la population. Et qui, tous, ont repris du service. En Palestine aussi, on peut se consoler en se disant qu’il reste possible de s’exprimer, si on le veut vraiment; en Palestine comme ici même, cela ne sert pas le plus souvent à grand-chose; mais en Palestine du moins, et quand il le faut, on sait démissionner. Dans notre pays qui n’est pas redevenu un Etat dans tous les sens du terme, et où le fonctionnement des institutions est encore une vue de l’esprit, comment ignorer l’ombre omniprésente de la corruption, dans l’actuelle polémique sur le financement des hausses de salaires dans le secteur public, dossier que l’on s’acharne à traiter de la plus insensée des manières? L’Administration est l’ossature de tout Etat , c’est elle qui demeure alors que passent les gouvernements, les régimes, les systèmes; or c’est à la fois un ruineux fourre-tout et un parent pauvre que l’on a fait d’elle. Ruineux fourre-tout, parce que les dirigeants ont failli à la première des priorités civiles de l’après-guerre, c’est-à-dire la réforme et l’épuration des pléthoriques services publics dont l’incurie et la vénalité ont, l’impunité aidant, dépassé tous les records enregistrés durant quinze années de chaos. On sait comment ces velléités d’épuration se sont heurtées au clientélisme effréné, travesti de considérations d’équilibre communautaire, pratiqué par les hauts responsables qui se sont livré une véritable course au noyautage des départements, truffés à qui mieux-mieux d’éléments improductifs ; le résultat en est qu’il y a aujourd’hui deux fois plus de fonctionnaires qu’il n’en faut, au point que l’on doit se féliciter qu’un grand nombre d’entre eux omettent de se rendre à leur travail car autrement, ils ne trouveraient pas un seul coin de chaise pour y caser leur flemme! Et c’est pour nourrir ce monstre qu’il va falloir surcharger un budget déjà fortement déficitaire, et instituer sans doute de nouvelles taxes à un moment où la population ploie sous les contraintes économiques; voilà qui explique l’insistance des divers protagonistes à se rejeter, comme braise ardente, l’initiative de mesures aussi impopulaires: tout cela sur fond de futiles manœuvres liées à la prochaine échéance présidentielle, dont on sait très bien pourtant qu’elle sera tranchée outre-frontière. Ruineux vivier d’obligés, mais aussi éternel parent pauvre, que cette Administration où l’on est pratiquement condamné à se faire graisser la patte , ou alors à crever de faim. Aux fonctionnaires honnêtes, car il en existe fort heureusement, aux enseignants publics, aux magistrats notamment, l’Etat est tenu d’assurer une subsistance pour le moins décente. Or que voient autour d’eux, au-dessus d’eux, ces derniers des Mohicans? Des fortunes-champignons, des débauches de palais et autres résidences secondaires, des territoires d’affaires soigneusement délimités entre les puissants, des influences chèrement monnayées, des adjudications trafiquées et outrageusement gonflées aux dépens du contribuable. Que pèsent, en vérité, tous les petits extras, tous les bakchiches réalisés dans les officines publiques, face aux énormes bénéfices des prévaricateurs en gros dont les tristes exploits sont connus de tous, sans que cela prête autrement à conséquence? Dans ce domaine davantage qu’en politique (ou de ce qui en tient lieu), la transparence des personnages publics est devenue une revendication nationale; et le sidérant déballage de linge sale auquel se livrent ,dans une atmosphère de fin de règne, les hauts responsables ne peut plus servir de palliatif . «Pays à trois têtes, et donc ingouvernable, mentalité de milicien, tempérament d’exploitant terrien»: les trois présidents se sont dit, mais un peu tard, leurs quatre vérités, et on serait bien en peine de les départager; mais c’est la presse, cette gueuse, que l’on somme de justifier, en grande exclusivité, ses ressources financières. Ce sont les responsables qui, par l’instabilité permanente qu’engendrent leurs querelles, par la facilité avec laquelle ils contournent la loi, par l’inclination de leurs proches aux grosses affaires, sapent la confiance du citoyen et effraient l’investisseur étranger; mais ce sont des journaux et des journalistes qui se voient accuser de porter atteinte à la sécurité de l’Etat! Pas aussi lointaine que l’on croit, finalement, cette sacrée transparence: on peut déjà voir à travers les trous...
La corruption étatique est une calamité vieille comme le monde, et elle n’épargne pas même les sociétés les plus évoluées: lesquelles, néanmoins, fournissent régulièrement la preuve qu’en régime démocratique, la primauté de la loi, le courage et l’intégrité des juges, la pression de l’opinion publique, tout cela peut vaincre le mal et en châtier les auteurs. Il...