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Actualités - REPORTAGE

A Bagdad, une soif de vivre malgré les souffrances et les privations

Il y a à Bagdad une volonté de vaincre la résignation, que l’on ne rencontre nulle part ailleurs. Est-ce le désir de vivre quand on se sent condamné? C’est possible. Mais c’est surtout que les Irakiens refusent de se laisser abattre par les souffrances et les privations et par les menaces et les intimidations. Sommes-nous bien à Bagdad, la ville que l’on menace de transformer en brasier, au nom d’une légalité internationale des plus douteuses? Ces artères spacieuses, ces trottoirs, qui furent un jour bien entretenus, ces souks qui dégagent mille parfums d’Orient, grouillent de vie. Les gens sont souriants, affables, comme s’ils ne savaient pas que leur sort se décidait en ce moment même dans les négociations laborieuses entre Kofi Annan et leurs chefs. Quand on circule à Bagdad, on a l’impression que toute la population regarde d’un air moqueur la flotte qui croise dans les eaux du Golfe, porteuse de «bombes intelligentes» qui n’attendent qu’un signal pour semer terreur et désolation. Inconscience ou témérité? Ni l’une, ni l’autre. C’est tout simplement le désir de vivre. C’est cela Bagdad en ce dimanche crucial pour l’avenir de l’Irak. Mais avant d’arriver dans la ville du Tigre, il faut parcourir 950 kilomètres en voiture dans un voyage digne des récits des «mille et une nuits». Le départ d’Amman a lieu à 3 heures du matin. Très vite, le véhicule fonce dans le désert sur une route à double sens qui ne dévit pas d’un centimètre pendant des dizaines de kilomètres. Eclairé par la lune, le désert est d’une platitude angoissante. Et si cette route ne menait nulle part? Au loin, quelques lumières scintillent. C’est la petite bourgade d’Azrak, habitée par des bédouins sédentarisés qui offrent leurs services aux automobilistes. La voiture poursuit son chemin sans s’arrêter. Vient ensuite Safaur, une localité aux maisons en briques jaunes et, 100 kms plus loin, Roweiched, dernière bourgade jordanienne avant la frontière. Le véhicule s’arrête devant un petit café appelé «el-Salam».A l’intérieur, des bédouins se réchauffent autour d’un poêle au mazout. Dans un coin, trois hommes cherchent la direction de La Mecque pour faire la prière de l’aube. Un crissement de pneus à l’extérieur fait sursauter tout le monde. Des journalistes suédois entrent dans le café. Ils sont suivis quelques minutes plus tard par d’autres journalistes. Tous vont à Bagdad. Il y a quelques années, la frontière se trouvait à Rouweiched,. Mais pour remercier la Jordanie pour son attitude lors de la guerre de 91, l’Irak lui a cédé une portion de territoire de 80 km de large... Lorsque l’on entre dans le complexe frontalier de «Kadissiya», on a du mal à croire que l’Irak est frappé depuis sept ans par un embargo international. Les salons spacieux, bien meublés. Les fonctionnaires et les militaires ont une tenue soignée et sont polis. On ne peut pas s’empêcher de faire la comparaison avec le côté jordanien. Après la fin des formalités (compliquées), les voyageurs reprennent la route. La petite voie étroite empruntée en Jordanie cède la place à une magnifique autoroute rectiligne qui mène tout droit à Bagdad ou à Basra, pour ceux qui veulent s’enfoncer vers le sud. En Irak aussi, le spectacle du désert plat et infini est angoissant. Pas une maison n’apparaît pendant 90 km. Mais les premières lueurs de l’aube qui commencent à poindre à l’horizon permettent de distinguer au loin les silhouettes de quelques dromadaires tirés par des bédouins. «Atba» et «Oukachate» sont les deux plus importants villages traversés. A 150 km de la frontière, la monotonie du paysage est cassée par une belle caserne de l’armée. En 91, elle a été détruite par l’aviation et reconstruite aussitôt la guerre terminée. De temps en temps, un animal mort traîne sur le bas côté de l’autoroute. «Ecrasés par les voitures», explique le chauffeur qui appuie sur l’accélérateur. La vitesse augmente dangereusement. «C’est le km 160. Il faut passer rapidement», dit-il un peu gêné. C’est là que les braquages ont lieu d’habitude. C’est là que des bandits de grand chemin ont assassiné il y a quelques mois un diplomate jordanien pour lui voler son véhicule. Depuis, les forces de l’ordre irakiennes multiplient les patrouilles dans le coin. Le paysage change enfin quand on approche de la ville de Ramadi. Les célèbres dattiers irakiens font leur apparition. Isolés au début, ils deviennent de plus en plus nombreux. Pour contourner Ramadi, il faut emprunter un pont qui enjambe l’Euphrate, dont l’eau pure prend des reflets turquoises sous les rayons du soleil naissant. Seul signe de l’embargo qui frappe l’Irak, l’autoroute qui semble laissée à l’abandon à quelques endroits. Rien d’autre ne permet de voir que l’Irak traverse une crise difficile. Jusqu’aux portes de Bagdad, aucune présence militaire n’attire l’attention. Juste avant la capitale, un convoi de dix blindés prend la direction de l’ouest. Des M113 de fabrication américaine. Probablement un butin de guerre pris aux Koweïtiens en 1991. On reconnaît Bagdad au loin aux dômes dorés qui brillent de mille éclats. La ville est belle, bien que l’on sente qu’elle manque d’entretien. La mauvaise herbe pousse sur les trottoirs en pavés et certains feux de signalisation sont inopérants. Mais cette impression d’abandon est vite oubliée devant la vitalité des habitants. «L’embargo est un crime, mais il est plus supportable que la reddition», dit une banderole accrochée sur une école. Amusé de notre étonnement, un jeune inconnu s’approche: «Mourir? Oui, mais la tête haute et le sourire aux lèvres». Reprenant un air sérieux, il grimpe dans un bus. Direction: un camp d’entraînement où tous les jours les Irakiens passent trois heures pour apprendre le maniement des armes... des armes qu’ils n’utiliseront peut-être jamais. P. Kh.
Il y a à Bagdad une volonté de vaincre la résignation, que l’on ne rencontre nulle part ailleurs. Est-ce le désir de vivre quand on se sent condamné? C’est possible. Mais c’est surtout que les Irakiens refusent de se laisser abattre par les souffrances et les privations et par les menaces et les intimidations. Sommes-nous bien à Bagdad, la ville que l’on menace de...