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Actualités - REPORTAGE

Amman, antichambre de la crise irakienne

Il faut se rendre sur place et entendre les Jordaniens parler pour réaliser à quel point le royaume hachémite et l’Irak sont liés. Si, pendant longtemps, «le pays entre les deux fleuves» a tenu le rôle du grand frère, un peu autoritaire et parfois hégémonique, aujourd’hui, la Jordanie est pour l’Irak ce qu’est une mère pour un enfant qu’elle porte. La route Amman-Bagdad est pratiquement le seul lien entre un Irak isolé, encerclé et meurtri et le reste du monde; une sorte de cordon ombilical qui transmet le liquide nourricier. A la différence près que cet enfant est un pays immense de 20 millions d’habitants avec six mille ans d’histoire derrière lui. C’est par cette route de 950 kilomètres que sont acheminées, vers le pays du Tigre et de l’Euphrate, les maigres rations alimentaires qui aident le peuple irakien à survivre malgré un embargo de sept ans. Elle permet aussi à l’économie en crise de respirer faiblement en exportant vers la Jordanie une petite quantité de pétrole, et aux représentants du gouvernement de Bagdad de briser de temps en temps l’isolement pour exposer leur point de vue sur la scène internationale. La Jordanie, comme le monde entier, attend avec anxiété les résultats de la mission de la dernière chance du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, aujourd’hui à Bagdad. Mais à Amman, on ressent davantage la proximité de la crise. On entend dans le vent du désert comme un bruit de bottes... ou de lames se brisant sur la coque d’un porte-avions. Amman est l’antichambre de la crise irakienne. Certes, la vie se poursuit normalement dans la capitale jordanienne. Pas de mesures de sécurité exceptionnelles; du moins, si elles existent, elles sont très discrètes. Mais, partout, les discussions portent sur les derniers développements. Au célèbre «Café Palestine» dans le centre-ville, de petits groupes se forment le matin pour commenter les événements de la veille. Abou Hicham, qui fait depuis cinq ans le trajet Amman-Bagdad à bord de son 4x4, raconte avec de grands éclats de voix son dernier voyage. «A Bagdad, tout est calme. Les gens ne stockent même pas des provisions et il n’y a pas de files d’attente devant les stations d’essence, dit-il. D’ailleurs, les autorités ont interdit le remplissage de jerricans». «Si les Américains attaquent, Saddam sortira les Scud», lance un homme d’un certain âge en tirant vigoureusement une bouffée de son narguilé. Pas de commentaire, personne ne semble y croire. Sans crainte des oreilles indiscrètes, la discussion animée se poursuit. L’attitude des Jordaniens sert de baromètre pour prévoir la réaction des populations des pays arabes en cas d’attaques américaines contre Bagdad. Mercredi, des centaines d’étudiants ont manifesté à l’intérieur de l’Université d’Amman pour exprimer leur soutien à l’Irak. Et pour la première fois depuis la signature du traité de paix avec Israël, les drapeaux américain et israélien ont été brûlés par les protestataires. Des dizaines d’écoliers ont par ailleurs signé une pétition adressée à Kofi Annan lui demandant d’empêcher la guerre. Ce vendredi, les partis d’opposition organiseront une manifestation dans le centre-ville en signe de solidarité avec l’Irak. La marche se terminera devant le Parlement. La presse jordanienne se fait l’écho de cet état d’esprit. Jeudi, deux des trois cahiers du quotidien «El-Arab el-Yom» étaient en grande partie consacrés à la crise irakienne. «Optimisme international et pessimisme américano-britannique quant à une solution pacifique», titre en une «Al-Destour». Ce dossier est également traité sous ses différents angles dans le «Jordan Times» et le «Rai». Amman est aussi le passage obligé de tous les journalistes désirant se rendre à Bagdad. Américains, Britanniques, Français, Russes ressortissants des différents pays arabes, il y en a de toutes les nationalités. Avec l’approche de la visite de Kofi Annan, leur nombre n’a cessé d’augmenter. Hier, l’ambassade d’Irak située dans le quartier résidentiel de Jabal Amman a été littéralement assiégée par des journalistes fébriles et impatients d’obtenir un visa d’entrée. La chancellerie, fortement gardée par des militaires jordaniens, ressemble à une forteresse. L’entrée des personnes est soigneusement filtrée par des diplomates et des fonctionnaires irakiens qui portent des moustaches identiques à celles du président Saddam Hussein. Mais malgré ces précautions, deux journalistes scandinaves arrivent à se faufiler et se retrouvent dans le grand hall décoré d’immenses portraits peints à l’huile de Saddam Hussein. Découverts, ils sont expulsés sans ménagement. Pour eux, le voyage se termine à Amman. Ceux qui obtiennent le visa ont encore une étape avant le départ pour Bagdad: l’approvisionnement. Tout ce qui ne peut pas être trouvé en Irak doit être acheté sur place: médicaments, lait en poudre, savon, shampoing, biscuit... la liste est longue. Les supermarchés sont soudain envahis par des étrangers qui dévalisent les étagères à la grande satisfaction des commerçants. Pendant ce temps, les Jordaniens, qui vaquent à leurs occupations habituelles, attendent la suite des événements. Si l’Irak est attaqué, la colère pourrait exploser en Jordanie, pense un journaliste libanais résidant dans le royaume depuis des années. C’est fort probable. Parce que quand Bagdad souffre, Amman pleure. Et quand Bagdad rit, Amman est joyeuse. Demain on saura quel vent va souffler du désert... P. Kh.
Il faut se rendre sur place et entendre les Jordaniens parler pour réaliser à quel point le royaume hachémite et l’Irak sont liés. Si, pendant longtemps, «le pays entre les deux fleuves» a tenu le rôle du grand frère, un peu autoritaire et parfois hégémonique, aujourd’hui, la Jordanie est pour l’Irak ce qu’est une mère pour un enfant qu’elle porte. La route...