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Actualités - REPORTAGE

Clôture de l'interrogatoire de l'officier poursuivi dans l'affaire de l'assassinat de Karamé Aoun avait infligé à Matar une peine de 60 jours de prison

Au bout de 40 heures étalées sur six audiences et à la suite d’un flot de questions qui semblaient intarissables, l’interrogatoire par la Cour de justice du brigadier Khalil Matar — un des 5 inculpés présents dans le procès de l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé — s’est achevé hier. L’assistance, les avocats, mais aussi les magistrats et l’inculpé lui-même n’ont pu retenir un immense soupir de soulagement, tant ils avaient désespéré à un moment donné, de voir la fin de cette étape. Et dans la dernière audience consacrée à son interrogatoire, le brigadier a reconnu pour la première fois devant la cour que le chef du service de sécurité des FL, l’inculpé en fuite Ghassan Touma, était en relation avec la direction des services de renseignements de l’armée à l’époque. Les deux parties auraient-elles agi de concert pour préparer l’assassinat de Rachid Karamé? Il faudra sans doute attendre les plaidoiries des avocats pour en savoir plus sur le sujet. Ce qui est sûr, c’est que pour le brigadier, une partie du calvaire est terminée. Vendredi, elle commencera pour les autres inculpés: Antoine Chidiac, Aziz Saleh, Camille Rami et bien sûr Samir Geagea. Comme c’est devenu une coutume dans ce procès à multiples rebondissements, l’audience s’ouvre sur un coup de théâtre. Le procureur général Adnane Addoum, passé maître dans l’art du suspense et du retournement de situation, présente à la cour la copie d’une sanction infligée par le général Michel Aoun, en sa qualité de commandant en chef de l’armée, au brigadier Khalil Matar, «parce qu’il n’avait pas résisté à l’invasion des FL de la base de Halate (dont il était le commandant) et parce qu’il les avait laissés y entrer en négociant avec elles». Le général précise qu’il lui inflige la sanction maximale de 60 jours de prison. Et sa note est signée du 9/7/1990. La salle est véritablement sous le choc. Pendant plusieurs secondes, le silence est total. Le brigadier avait à plusieurs reprises affirmé devant la cour qu’il était proche du général Aoun, d’où son hostilité aux services de renseignements de l’armée, alors en conflit avec le commandant en chef. Il avait aussi raconté comment il avait résisté vaillamment aux assauts des FL contre la base de Halate, avant de céder devant la force et le nombre. Sanction annulée par Lahoud Addoum demande au brigadier s’il est au courant de cette sanction. «Au moment même, je n’en ai pas eu connaissance, répond Matar. Je l’ai vue en 1993, dans mon dossier». Il ajoute qu’elle a été annulée par la suite. Le président Honein lui demande alors qui l’a annulée. «Le général Emile Lahoud» répond le brigadier. Il explique ensuite que le général Lahoud a annulé de nombreuses sanctions décidées au cours de cette période. En tout cas, il n’a pas été déféré devant un tribunal disciplinaire avant l’annulation de la sanction. Addoum lui demande comment se trouve-t-elle encore dans son dossier si, comme il le dit, elle a été annulée et le brigadier déclare qu’il l’ignore. Addoum veut encore savoir comment il explique l’existence de cette sanction alors qu’il affirme s’être battu contre les FL et le brigadier précise: «Tout ce que j’ai dit devant la cour est vrai. Vous n’avez qu’à interroger les officiers et les soldats qui se trouvaient à la base à cette période». Le procureur insiste encore et veut savoir comment il explique cette sanction, alors qu’il avait déclaré être proche du général Aoun et le brigadier répète que le général l’aimait bien, mais à cette époque, lui-même était isolé à Halate et n’avait aucun moyen de contacter Baabda (où se trouvait le général Aoun). En principe, cette audience est consacrée aux questions de Me Badawi Abou Dib, avocat de Khalil Matar. Mais comme c’est devenu une habitude, c’est le procureur qui commence par en être la vedette. Ce qui ne manque pas d’irriter les avocats de la défense. La dernière fois, MM. Naïm et Pakradouni avaient protesté, rappelant au procureur que dans ce procès, il est une partie, au même titre que la défense. Cette fois, c’est au tour de Me Abou Dib et Me Abdo Abou Tayeh (un des défenseurs de Aziz Saleh) de s’insurger contre «les interventions constantes» du représentant du parquet. Et lorsque Me Edmond Naïm remet une note à M. Addoum, l’assistance croit qu’elle porte sur cette même question. En réalité, Me Naïm demande que l’escalier menant à la salle du tribunal reste éclairé au moment où l’audience est levée... Me Abou Dib prend enfin la parole. Il commence par rendre hommage à la patience de la cour qui accepte les questions et les interventions sans montrer la moindre lassitude. Puis il formule une remarque sur la question posée au cours de l’audience précédente par le magistrat Ralph Riachi. Ce dernier, se basant sur le registre des vols à la base de Halate au cours de mai 87 (l’attentat a eu lieu le 1er juin de la même année) et sur la déposition d’Antoine Chidiac devant le juge d’instruction, a demandé au brigadier s’il pilotait l’avion Hawker Hunter qui a survolé à basse altitude, 15 jours avant l’attentat, un bateau à bord duquel se trouvaient Ghassan Touma, Ghassan Menassa et Antoine Chidiac permettant à Menassa de tester la radiocommande avec laquelle il put faire exploser l’hélicoptère du président Karamé. «Nous ne voulons pas commenter la réponse de notre client, déclare Me Abou Dib. Nous laissons cela à la plaidoirie. Mais il n’est pas possible de prendre les déclarations de Chidiac pour argent comptant, d’autant qu’elles sont en contradiction avec l’ensemble du dossier. Je rappelle qu’à la base de Halate il y a deux officiers portant le nom de Matar. Mon client a volé à bord de l’avion No 286, et non 288 et il a effectué, en ce temps là, des missions avec deux autres avions...». Rectifier le tir Le président Honein lui fait remarquer que ce qu’il dit doit faire partie de la plaidoirie. Le procureur Addoum, ainsi que Me Khodr Haraké, de la partie civile, protestent. Me Abou Dib précise qu’il veut surtout rectifier le tir, d’autant que les médias transmettent à l’opinion publique les détails de ce procès. Il présente ensuite une note à la cour et Addoum proteste encore, déclarant qu’on ne présente pas de notes à la cour, pendant toutes les étapes d’un procès pénal. Me Abou Dib entame ensuite ses questions, qui suscitent souvent des objections du procureur et des avocats de la partie civile, parce que, disent-ils, elles suggèrent une réponse. Matar répète ainsi que son poste Geneva n’a joué aucun rôle pendant toute l’opération et il met en doute la déposition du colonel Antoine Boustany (qui était le pilote de l’hélicoptère Puma No 906, à bord duquel Rachid Karamé a été tué) et celle du brigadier Hanna Sleylati. Ces deux officiers contredisent ses propos et leurs dépositions sont accablantes pour lui, notamment au sujet du fonctionnement du poste Geneva. Devant la cour, le brigadier accuse le colonel Boustany de manquer d’objectivité et de connaissance technique. Quant au brigadier Sleylati, il était à l’époque le commandant de la base d’Adma (où, selon l’acte d’accusation, l’hélicoptère a été piégé). Matar réaffirme ainsi qu’il ne peut modifier lui-même les fréquences fixées sur son poste Geneva et il répète que la fréquence de Kleyate (sur laquelle était branché l’émetteur de l’hélicoptère piégé) n’était pas fixée sur son poste. Il précise aussi que l’hélicoptère pouvait être identifié à l’œil nu à une hauteur d’environ 170 m. (Autrement dit, il n’était nul besoin du Geneva pour identifier le Puma). Interrogé par Me Abou Dib, il raconte qu’il a chassé de la base de Halate l’officier responsable des renseignements. Comme le président lui demande son nom, il répond qu’il l’a oublié. «Je crois qu’il était de la famille Afif et il était rattaché aux SR du Mont Liban». Prié de donner les raisons de son conflit avec les SR, Matar répond, qu’à son avis, ils voulaient mettre la main sur la base, «pour faire ce qu’ils veulent». Or, aux yeux de son commandement, il est le responsable de cette base et il ne veut pas partager son autorité. Me Badawi Abou Dib présente ensuite des photos tirées de l’album du brigadier. Dans l’une d’elles, on le voit posant devant un avion Mirage 3 E, aux côtés d’officiers syriens. Matar raconte que cette photo a été prise en 76. Il était alors à la base de Kleyate et il avait décidé de se rallier au commandement unifié de l’armée, qu’on appelait les Talaëh (proches des Syriens), alors que plusieurs officiers avaient fait dissidence (notamment Ahmed Khatib etc...). Matar avait décidé de mettre les avions Mirage à l’abri à la base de Rayack. Me Abou Dib présente ensuite trois photos représentant des officiers de la marine française devant les débris de l’hélicoptère Puma qui avait sombré au large de la côte libanaise, en 1988, tuant le pilote Sadaka et le technicien qui se trouvait avec lui. Au cours de l’audience précédente, Matar avait révélé qu’il avait été chargé de présider la commission militaire chargée d’enquêter sur les causes de cet accident. Me Abou Dib présente encore à la cour des TSF qui peuvent capter les communications aériennes, tout en précisant qu’on peut les trouver sur le marché. Il veut ainsi prouver que le poste Geneva n’était d’aucune utilité à Ghassan Touma, pour capter les communications entre les hélicoptères. Enfin, Me Abou Dib exhibe une carte du Liban et demande à la cour d’autoriser Matar à dessiner l’emplacement du bateau, à bord duquel il se trouvait avec Touma et ses compagnons, ainsi que celui de l’hélicoptère au moment de son explosion et les trajectoires des hélicoptères allant vers Beyrouth et ceux se rendant à Adma. Les cartes commencent alors à valser dans la salle, chaque partie ayant la sienne dont elle vante les qualités. Me Dayé donne ainsi sa carte à la cour, alors que le procureur conserve la sienne préférant la garder pour l’audition des témoins. Les détails techniques pleuvent et les avocats s’approchent à tour de rôle de la carte de Me Abou Dib, fixée sur un grand trépied. Selon Matar, le bateau se trouvait au large de Kfarabida — ce qui est assez loin de la zone de contrôle des FL qui s’arrête à Madfoun — et l’hélicoptère a explosé au-dessus de la mer, à 4 km de la côte, entre Batroun et Selaata. Selon lui toujours, il y avait un km à peu près entre le bateau et l’hélicoptère au moment de l’explosion. A une question du président Honein, Matar déclare qu’à partir du bateau et au moment de l’explosion, il ne croit pas qu’on pouvait distinguer le numéro de l’hélicoptère à l’œil nu. Les questions continuent à pleuvoir sur le brigadier qui répond de plus en plus laconiquement. Vient ensuite le tour des avocats de Aziz Saleh, MM. Abdo Abou Tayeh et Sleimane Lebbos. Matar affirme à ce sujet qu’il ne connaît pas Saleh et qu’il n’avait jamais entendu parler de lui avant de lire le dossier. Me Edmond Naïm lui demande comment étaient surveillés les avions à la base de Halate et Matar précise qu’il était interdit à quiconque de s’en approcher sans la présence d’un officier. Le hangar qui abritait les avions était gardé et les avions sur la piste aussi. Il ajoute que ces mesures étaient prévues dans les règlements des bases aériennes et elles devraient être appliquées à Adma. «Mais j’ignore ce qui se passait sur le terrain, là-bas». «Est-ce que les règlements l’autorisaient à donner des permis d’entrée dans la base à Ghassan Touma?», demande alors Me Dayé . Et Matar répond par l’affirmative, le commandant de la base ayant le pouvoir de laisser entrer la personne de son choix. Me Dayé demande encore si Ghassan Menassa lui avait dit qu’un sergent de la base d’Adma travaillait pour le compte des FL et Matar répond encore par l’affirmative. Est-ce conforme à la règle dans les bases aériennes? s’enquiert le procureur, mais le président rejette cette question. A une question de Me Abou Dib, Matar raconte que son frère, lieutenant-colonel des FSI a été arrêté 24 heures par les FL, pendant la guerre dite d’élimination avant d’être relâché et de se réfugier dans les régions sous le contrôle du général Aoun. De même, au cours des premiers jours de cette même guerre, les FL ont investi le domicile de ses parents à Gemmayzé et menacé ses parents avec des armes... Me Emile Younès, l’avocat de Camille Rami, pose ensuite ses trois questions avant de céder la place à Me Saydé Habib, qui défend Antoine Chidiac. Me Issam Karam lance quelques boutades pour détendre l’atmosphère et c’est sur de grands sourires que prend fin cette audience. Matar ne parlera plus que pour poser quelques questions aux témoins et éventuellement aux autres inculpés, si la cour l’y autorise. A ce stade, son rôle est terminé, mais pour les avocats aussi bien que pour les magistrats, c’est le moment de commencer à évaluer ses réponses. Le brigadier occupera encore longtemps les esprits de ceux qui suivent ce procès. Scarlett HADDAD
Au bout de 40 heures étalées sur six audiences et à la suite d’un flot de questions qui semblaient intarissables, l’interrogatoire par la Cour de justice du brigadier Khalil Matar — un des 5 inculpés présents dans le procès de l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé — s’est achevé hier. L’assistance, les avocats, mais aussi les magistrats et l’inculpé...