Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

Fortes appréhensions sur les retombées de la crise irakienne

Contaminé par cette manie libanaise du jugement péremptoire et de l’analyse transcendante, un diplomate occidental en poste à Beyrouth confie qu’à son avis «les Etats-Unis font fausse route en ce qui concerne l’Irak et ont mal choisi leur timing». Catégorique, il ajoute: «La frappe militaire qui s’annonce, loin de constituer une solution, va démultiplier et aggraver dangereusement les problèmes de la région en provoquant des conséquences qui déborderont largement les frontières de l’Irak». Et d’expliquer que ce sombre pronostic, qui ne tient pas compte des capacités d’intimidation, de planification et de matière grise U.S., «s’étaye par les éléments suivants: — La plupart des alliés de Washington de 1991 font défection cette fois-ci et s’inscrivent en faux contre ses positions en flèche, en émettant des réserves ou en condamnant carrément son bellicisme. Ce n’est certes pas par esprit humanitaire que ces gouvernements se démarquent des Etats-Unis, mais par culture d’intérêts ou dans le cadre d’une lutte d’influence, comme cela semble être le cas pour les Russes et à un moindre degré pour les Français ou les Chinois. De plus l’opération «Tempête du désert» avait été lancée non pas contre le territoire irakien, mais pour délivrer le Koweit envahi par un Etat voisin coupable d’agression délibérée. C’est même presque le contraire aujourd’hui dans la mesure où l’Irak prend l’air, aux yeux de beaucoup, d’un pays qui risque d’être lui-même agressé sans motif suffisant. Déjà que l’opinion mondiale, dans sa majorité, compâtit aux souffrances que la population irakienne, les enfants surtout, endure du fait d’un interminable embargo qui la prive de denrées essentielles, de médicaments et la soumet en outre à une inflation galopante qui la rend très pauvre». «— Cependant, poursuit ce diplomate, sur un plan objectif et même technique, la pression de l’embargo pour obtenir la destruction d’un arsenal chimique, biologique ou nucléaire interdit se justifie bien plus qu’une frappe militaire aérienne qui peut difficilement détruire des armes évidemment cachées, le plus souvent sous terre sans aucun doute. Les bombes larguées d’en haut ou les missiles tirés à partir de la mer vont le plus probablement faucher bien plus de vies humaines que du matériel de guerre. La méthode envisagée peut paraître donc moralement, humainement, mais aussi sur le simple plan pratique, tout à fait inadmissible. Absurdité — Il est également intolérable pour la communauté internationale que les Etats-Unis s’autoproclament détenteurs du pouvoir exécutif planétaire, c’est-à-dire qu’ils s’autorisent à exécuter seuls ou presque les résolutions de l’ONU comme eux-mêmes les interprètent. C’est ce point sans doute qui irrite les Russes au point que Boris Eltsine a mis en garde contre une troisième guerre mondiale au cas où les Etats-Unis frapperaient unilatéralement l’Irak alors que l’espace réservé à la solution diplomatique est encore loin d’être épuisé. — A part les réactions subjectives relevant de l’amour-propre de tel ou tel Grand, il est certain qu’une opération militaire américaine d’envergure pourrait avoir de très lourdes retombées sur un plan régional très étendu et entraîner peut-être, effectivement, un conflit mondial. En effet, si l’Irak est démantelé sous les coups conjugués des Américains et des Turcs, qui s’enfoncent déjà dans son territoire, si un Etat kurde est créé, cela pourrait ouvrir la voie à une dislocation généralisée des pays, des régimes du Moyen-Orient, mais aussi des républiques islamiques ou autres qui bordent l’empire russe qui serait à son tour déstabilisé. De Moscou à New Delhi en passant par Bakou, Tachkent, Erevan, Kaboul et Islamabad, d’Ankara à Alger en passant par Ryad, Damas, Beyrouth, Amman, Le Caire, Rabat et Tunis, toute la carte pourrait être bouleversée en un an ou deux de guerres, de convulsions, de révolutions multiples. — C’est cette perspective apocalyptique menaçant principalement leurs régimes qui amène les Arabes modérés aussi proches qu’ils soient de Washington à se montrer si réticents par rapport au plan américain. Car les masses arabes, mais aussi islamiques, ne manqueraient pas de se tourner contre eux s’ils acceptaient qu’un pays arabe soit attaqué par une puissance occidentale sans motif sérieux. D’autant qu’aux yeux de ces foules, il n’y a aucune raison pour que des sanctions soient imposées à un pays arabe alors qu’elles ne le sont pas à Israël qui le mérite mille fois plus et qui lui aussi détient un arsenal prohibé par les conventions internationales. — Les Arabes ne comprennent pas non plus pourquoi les Américains, qui avaient promis après la guerre du Golfe de promouvoir la paix dans la région, veulent maintenant y répandre la guerre. Et pourquoi, au lieu de remettre au pas Netanyahu qui leur tient effrontément tête, ils se tournent entièrement vers un sujet secondaire en regard de la situation régionale, à savoir l’Irak. — Un sentiment d’injustice d’autant plus fort chez les Arabes qu’ils savent, comme tout le monde, que le coup américain touchera plus sûrement la population irakienne que le régime de Saddam Hussein qui peut en sortir fortifié, comme cela s’est déjà vu en 1991…». E.K.
Contaminé par cette manie libanaise du jugement péremptoire et de l’analyse transcendante, un diplomate occidental en poste à Beyrouth confie qu’à son avis «les Etats-Unis font fausse route en ce qui concerne l’Irak et ont mal choisi leur timing». Catégorique, il ajoute: «La frappe militaire qui s’annonce, loin de constituer une solution, va démultiplier et aggraver...