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Actualités - REPORTAGE

Poursuite de l'interrogatoire du brigadier Matar devant la Cour de justice dans l'affaire Karamé Pakradouni navigue entre la défense de Geagea et .. la barre des témoins (photos)

Il a fallu les questions de Me Karim Pakradouni pour que le brigadier Khalil Matar, un des 5 inculpés présents dans le procès de l’assassinat de Rachid Karamé, se révèle à la Cour de justice sous un jour nouveau: sûr de lui, concis et précis. En dépit des tentatives de l’ancien numéro 2 (politique) des FL, et aujourd’hui défenseur de Samir Geagea, de le piéger pour montrer qu’il ment et que par conséquent toutes ses dépositions sont fausses, le brigadier ne s’est jamais contredit, répondant avec une grande simplicité et beaucoup de conviction. Ainsi, à la cinquième audience de ce procès — complexe à plus d’un titre — consacrée à l’interrogatoire de Matar, les stratégies des différentes parties commencent à se préciser: pour les avocats de Samir Geagea, il s’agit de montrer que plus d’une partie libanaise était hostile au premier ministre Rachid Karamé à l’époque de son assassinat (le 1er juin 1987) et aurait donc pu le tuer. Ainsi, pour eux, toute la version du brigadier Matar sur son périple en mer, en compagnie de Ghassan Touma, Ghassan Menassa et les autres au moment où Menassa a pressé la radio commande actionnant l’explosif placé dans l’hélicoptère est fausse. Toutes les questions de Me Pakradouni, le seul avocat de Geagea à interroger Matar, étaient axées sur ce point et Me Pakradouni a même déclaré, pendant la pause, qu’en sa qualité de personnage haut placé dans la hiérarchie des FL à l’époque, il ne s’est jamais douté qu’une opération aussi importante se préparait. Ce qui lui paraît pour le moins étonnant. D’ailleurs, au cours de cette longue audience, la dualité du rôle de Me Pakradouni, à la fois avocat de la défense et témoin du parquet, est plusieurs fois apparue et le président de la cour, M. Mounir Honein, a dû calmer les avocats de la partie civile, leur demandant d’attendre que Me Pakradouni soit entendu en tant que témoin pour lui poser personnellement des questions... Par contre, pour la défense de Matar, représentée par MM. Chaker Abou Sleimane, Badawi Abou Dib, Rachad Salamé et Samira Matar, il s’agit de montrer qu’au cours de l’enquête préliminaire effectuée par les SR de l’armée ainsi qu’au cours de l’enquête du juge d’instruction, M. Georges Ghantous, le brigadier était dans un état de dépression et de lassitude graves. Il n’a donc pas été très précis, mais aujourd’hui, il dit la vérité: il a bel et bien assisté à l’assassinat, mais son rôle s’est limité à celui de témoin. Quant à la partie civile, elle veut avant tout la tête des Forces libanaises dissoutes et de leur chef, Samir Geagea, alors que le procureur Addoum veut la tête de tout le monde, comme l’exige son rôle. Bien sûr, il précise lui-même qu’il veut surtout la vérité et c’est cette vérité que la cour, avec une patience inlassable, cherche déséspérément. D’ailleurs, l’audience d’hier a failli commencer par un affrontement verbal lorsque l’avocat de la partie civile Me Bassam Dayé met en doute la sincérité de l’hommage de Karim Pakradouni à la victime Rachid Karamé. Pakradouni veut répondre mais le président Honein use de son maillet pour que l’on s’en tienne aux interrogatoires. Il dit d’ailleurs un peu plus tard, lorsque le ton monte entre Me Naïm et le procureur avant que les autres avocats ne s’en mêlent: «Messieurs, je vous en prie. Nous devons rester calmes, dans l’intérêt de la vérité». Questions sur un survol à basse altitude L’audience se poursuit sur un coup de théâtre, lorsque le magistrat Ralph Riachi demande au brigadier s’il se trouvait, le 14/5/87 (15 jours avant l’attentat), à bord de l’avion de combat Hawker Hunter qui a survolé à basse altitude un bateau, au niveau de Tabarja, à bord duquel se trouvaient, selon Antoine Chidiac (un des 5 inculpés présents), Ghassan Touma, Antoine Chidiac et Ghassan Menassa . Toujours selon Chidiac, grâce à ce survol à basse altitude, Menassa a pu tester sa radio commande. Le brigadier répond que la côte de Tabarja fait partie d’une zone d’entraînement quotidien pour lui et ses pilotes. Il ne se souvient pas s’il se trouvait à bord de cet avion, mais il lui arrivait fréquemment ainsi qu’à ses pilotes de survoler des bateaux à basse altitude. Ce survol a-t-il été réellement décisif pour la réussite de l’attentat? Il faudra attendre l’interrogatoire d’Antoine Chidiac pour en savoir plus. Me Pakradouni reprend ensuite son interrogatoire, commencé mercredi dernier, non sans avoir réitéré son hommage à Rachid Karamé. Bien qu’il avait préparé quelques 300 questions, cette fois, tout se déroule rapidement, le brigadier se contentant de répondre par un oui ou par non, lorsque la cour décide de poser les questions. Car, hier, elle a rejetté de nombreuses questions de l’avocat de Geagea. Ce qui d’ailleurs pousse Me Pakradouni à se demander pourquoi la cour donne plus facilement la parole au procureur et aux avocats de la partie civile. Mais le président Honein proteste vivement, réfutant toute partialité de la cour. De nombreuses questions de Me Pakradouni avaient été déjà posées par la cour ou par le procureur et lorsque le président Honein lui en fait la remarque, l’avocat rétorque qu’il essaie de procéder à une sorte de synthèse récapitulative. Dans le cadre de son interrogatoire, Me Pakradouni présente un rapport établi par les SR de l’armée, dans lequel la puissance du dispositif d’écoute et des équipements des FL est largement décrite. Il demande ensuite si, avec tous ces moyens, Ghassan Touma avait réellement besoin de l’émetteur du brigadier Matar. Mais la cour rejette la question. Me Pakradouni revient ensuite aux rencontres de Matar avec Samir Geagea, qui seraient au nombre de 4. Matar avait déclaré au cours d’une audience précédente que la première rencontre avait eu lieu dans un restaurant, à la demande de Samir Geagea, qui avait invité le commandant de la base de Halate et ses officiers à dîner. La seconde aurait eu lieu, dans son bureau à Fidar, à la suite d’un incident entre un soldat et un milicien des FL. Pour régler l’incident, Matar s’était rendu chez Geagea, sans rendez- vous, et celui-ci, qui se trouvait en compagnie de son état-major, lui aurait présenté Ghassan Touma, lui conseillant d’avoir affaire à lui en cas de problème de sécurité dans la région. Malgré l’insistance de Pakradouni qui voudrait l’amener à reconnaître que les deux rencontres sont inversées, la première ayant été celle qui s’est déroulée dans le bureau de Geagea à Fidar, pour laisser entendre que ce dernier n’a nullement demandé à voir en premier le brigadier, Matar maintient sa version. Pakradouni essaye alors de le piéger lui demandant si Geagea était déjà (cela se passait en 84) commandant en chef des FL et si Touma était alors chef du service de sécurité. Et Matar répond par la négative. (En fait, Geagea n’a réalisé sa première intifada que le 12 mars 1985 et Touma n’a été nommé que plus tard). D’ailleurs, Pakradouni lui pose une autre question du même genre, lorsqu’il lui demande si, en mars 85, au moment de l’exode des villages de l’est de Saïda (Matar avait alors survolé la région, à bord de son avion de combat, à la demande de ses supérieurs), Geagea était commandant en chef des FL et Matar répond aussi par la négative. (A l’époque, Geagea venait de lancer son intifada avec Elie Hobeika comme allié). A une question de Pakradouni, Matar répond qu’il entretenait aussi des relations avec Georges Antoun, ancien responsable de la caisse nationale des FL. Il déclare que les sommes qu’il a reçues de Touma (au total entre 8 et 10.000 dollars) ne provenaient pas de lui personnellement, mais des FL et de la Caisse nationale. Pakradouni, lui, laisse entendre qu’elles pourraient être puisées dans la caisse noire que possédait Touma en tant que chef du service de sécurité. Pakradouni demande ensuite comment Matar a pu lutter aussi férocément contre les FL en janvier 89 s’il recevait de l’argent de Touma et le brigadier répond que cet argent lui était remis sans condition et que de toute façon, si son propre frère voulait s’emparer de force de sa maison, il le combattrait. A une question du procureur, il précise qu’après la chute de sa base, il est resté dans la région avec sa famille ainsi que d’autres officiers, mais ils avaient été mis en résidence surveillée chez eux par les FL. Toujours au sujet de l’argent reçu de Touma, Pakradouni lui demande s’il savait qu’à l’époque, la sixième brigade recevait de l’argent de Amal, la onzième du PSP et la septième des Marada. Mais la cour rejette la question. Me Youssef Germanos de la partie civile demande alors si Matar a reçu de l’argent des FL avant que Geagea n’en prenne le commandement et le brigadier répond par la négative. Pakradouni revient alors sur une réponse de Matar à une question de la cour au sujet de certaines phrases qu’il aurait dites pendant l’enquête préliminaire et qu’il a rétractées devant la cour. Matar avait expliqué que les phrases étaient fausses, mais qu’il les avait dites pour rester cohérent et ne pas contredire Antoine Chidiac. Ce dernier avait précisé qu’après l’explosion, il y avait eu une sorte de liesse à bord du bateau. Et en réponse à Pakradouni, Matar précise sa pensée: «Lorsque le juge m’a dit que Chidiac avait parlé d’explosion de joie, j’ai acquiescé parce que j’étais trop las et j’ai pensé que c’était un détail qui n’avait aucune importance pour moi. En fait, j’étais prêt à accepter n’importe quoi...». Me Pakradouni veut ensuite savoir si quelqu’un (notamment les enquêteurs militaires) lui avaient inspiré ces phrases ou la nécessité de rester «cohérent pour être crédible». Et le brigadier répond clairement par la négative. L’accident du second hélicoptère Pakradouni l’interroge ensuite sur l’accident d’un hélicoptère de type Puma (comme celui à bord duquel se trouvait le premier ministre Karamé) le 16/1/89, à bord duquel se trouvaient le capitaine Georges Sadaka et un technicien de la famille Azzé (tous deux de la base d’Adma où, selon l’acte d’accusation, aurait été piégé l’hélicoptère). Matar avait été alors chargé de présider une commission d’enquête sur l’accident . Mais selon l’un des témoins, le colonel Antoine Boustany (qui était le pilote de l’hélicoptère à bord duquel se trouvait Karamé) a laissé entendre devant le juge d’instruction que le but de l’accident était de tuer le technicien qui avait placé l’explosif à bord de l’hélicoptère Puma No 906, M. Azzé. Matar explique alors longuement les détails de la mission de la commission qu’il présidait et dont Boustany était l’un des membres. Il affirme que bien que dans ce cas, l’hélicoptère ainsi que les corps des victimes avaient été engloutis par la mer, il avait réussi à les repêcher avec l’aide des forces navales françaises. Et après avoir entendu des techniciens libanais et étrangers (notamment des ingénieurs de la société fabriquant les Puma), la commission avait rédigé son rapport, approuvé par tous ses membres. Ce rapport disait qu’il y avait eu une panne dans le pilotage automatique et cela peut arriver. Mais le pilote et le technicien n’avaient pas respecté les instructions qui exigent que dans tout vol de Puma, il y ait deux pilotes, alors que l’appareil avait décollé avec un pilote et un technicien . Addoum demande alors pourquoi aucune mesure n’a été prise à l’encontre de ceux qui n’avaient pas respecté les instructions et Matar répond que son rôle s’est arrêté à la présentation du rapport. A une question de Pakradouni, Matar affirme catégoriquement que seules les FL écoutaient les communications téléphoniques à l’époque dans la région. Et pour conclure, l’avocat de Geagea lui demande s’il considère actuellement Yarzé comme sa maison et les membres actuels du commandement de l’armée comme ses camarades. «Naturellement» répond le brigadier d’une voix ferme. Commencent alors les questions des avocats de Matar. Me Abousleimane lui demande s’il connaissait le premier ministre Karamé ou s’il y avait un conflit politique ou autre entre eux. Le brigadier répond par la négative. Il lui demande ensuite si les sommes que lui remettaient occasionnellement Touma se sont modifiées après l’attentat et là aussi Matar répond par la négative. C’est ensuite le tour de Me Rachad Salamé, qui axe ses questions sur les conditions dans lesquelles se sont déroulées les enquêtes préliminaires. Il apparaît ainsi que Matar a été arrêté le 15 juillet 1996 et son premier interrogatoire, d’abord oral, a, selon lui, commencé immédiatement (les procès-verbaux sont datés du 17) et s’est terminé le 18 à 5h du matin. Ce n’est que le 20 que le juge a commencé à l’interroger . Comme le relève son avocat, il est resté 5 jours emprisonné sans mandat d’arrêt. A la demande de son avocat, Matar raconte ensuite que tout au long de son interrogatoire par les enquêteurs militaires, on ne lui a pas dit qu’il était inculpé. Il croyait être entendu en tant que témoin. C’est pourquoi il a été si choqué lorsque le juge d’instruction lui a révélé sa qualité. Et là, Me Edmond Naïm précise que lors de l’enquête préliminaire, les règles de procédure sont différentes. Et le procureur renchérit en ajoutant: «Avant que le juge ne délivre un mandat d’arrêt, il n’y a pas d’inculpés, seulement des personnes interpellées». Toujours en réponse à Me Salamé, Matar précise qu’il a été promu brigadier par l’actuel commandement, il y a trois ans. Addoum lui demande alors si le commandement connaissait ses liens avec l’affaire Karamé et le brigadier répond: «A mes yeux, je n’ai rien à voir dans cette affaire». Il précise encore qu’on ne pouvait rester dans les régions dites Est à l’époque et être l’ennemi de Ghassan Touma. Mercredi, ce sera le tour de Me Badawi Abou Dib de poser ses questions, avant de céder le micro aux avocats des autres inculpés: Antoine Chidiac, Aziz Saleh et Camille Rami. Scarlett HADDAD
Il a fallu les questions de Me Karim Pakradouni pour que le brigadier Khalil Matar, un des 5 inculpés présents dans le procès de l’assassinat de Rachid Karamé, se révèle à la Cour de justice sous un jour nouveau: sûr de lui, concis et précis. En dépit des tentatives de l’ancien numéro 2 (politique) des FL, et aujourd’hui défenseur de Samir Geagea, de le piéger pour...