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Actualités - REPORTAGE

Poursuite des interrogations dans le procès Karamé Pakradouni tente de coincer le brigader Matar... qui tient bon (photos)

Le brigadier Khalil Matar, un des 5 inculpés présents dans le procès de l’assassinat de Rachid Karamé, parle décidément trop. Quatre audiences de près de sept heures chacune n’ont pas suffi pour achever son interrogatoire et le président de la cour de justice, M. Mounir Honein, ainsi que Me Edmond Naïm, un des avocats de Samir Geagea, lui ont conseillé, chacun à sa manière, d’être moins bavard dans ses réponses. Mais ce n’est qu’après les questions des représentants de la partie civile (notamment Me Youssef Germanos) qui lui ont rappelé qu’il était accusé d’être un complice essentiel du crime qu’il a commencé à être bref. Et aux questions précises et ciblées de Me Karim Pakradouni — dont c’était hier la première intervention officielle en tant que défenseur du chef des FL dissoutes — il a répondu clairement, avec assurance et précision, sans se lancer dans d’interminables explications ou invoquer son état dépressif pendant les interrogatoires préliminaires, pour justifier ses contradictions. Résultat: le brigadier a identifié Afif Khoury (chef de la force navale des FL, inculpé en fuite dans cette affaire ) parmi dix photos que lui avait présentées Me Pakradouni et il a reconnu que les FL contrôlaient la flotte de l’armée présente dans les régions est, ainsi que la base navale militaire de Jounieh. Il a aussi précisé que le chef du service de sécurité des FL, Ghassan Touma (lui aussi inculpé en fuite dans cette affaire) l’avait emmené le jour du crime, le 1er juin 1987, à bord d’un vieux bateau civil qui avait finalement stationné, sans éteindre ses moteurs, au large de Madfoun pour que Ghassan Menassa (adjoint de Touma, lui aussi inculpé en fuite) presse le bouton de la télécommande, actionnant ainsi l’explosif placé à bord de l’hélicoptère No 906, de type Puma, qui transportait le président Karamé. Matar a affirmé aussi que ce jour-là, de Tabarja à Amchit, il y avait un déploiement massif des vedettes navales des FL. Et malgré les tentatives de Me Pakradouni de l’amener à se rétracter sur cet élément, le brigadier a maintenu ses affirmations, développant logiquement son point de vue. Me Pakradouni — qui a mené une partie de son interrogatoire (le reste devra attendre l’audience de vendredi) avec beaucoup de maestria — a alors précisé que l’artillerie syrienne étant installée près de Kfarabida, la zone de Madfoun était interdite aux bateaux et le brigadier a rétorqué qu’il ignorait ce fait, mais de toute façon, le bateau à bord duquel il se trouvait était civil et vieux et il n’y avait aucune arme visible. (Ce qui, autrement dit, aurait pu le faire passer pour un bateau inoffensif)... Deux points vagues Mais si, sur ce qui s’est passé à bord du bateau, le brigadier Matar a été hier très précis, deux points au moins demeurent vagues dans sa version des faits: pourquoi Ghassan Touma a-t-il tenu à l’emmener avec lui sur le bateau ce 1er juin 1987 et pourquoi a-t-il insisté pour qu’il amène avec lui son émetteur-récepteur de type Geneva? Ces deux points ont déjà fait l’objet de nombreuses questions de la cour et du procureur Addoum. Hier encore, elles ont été une fois de plus au coeur de l’interrogatoire, mené aussi bien par la cour que par M. Addoum et par les avocats de la partie civile. Si, comme le dit Matar, ni lui ni son poste n’ont été d’aucune utilité à Touma pour mener à bien l’opération, pourquoi le chef du service de sécurité des FL s’est-il encombré d’un témoin qui pourrait être gênant? «Pour me faire taire et garantir mon silence» a répété hier pour la énième fois le brigadier. Mais comme l’a fait remarquer Me Bassam Dayé, de la partie civile, Touma avait confié à Matar, 15 jours avant la date du crime, que les SR de l’armée (avec lesquels Matar était en conflit, puisqu’il affirme avoir fait acte d’allégeance au commandant en chef de l’armée à l’époque, le général Michel Aoun, lui-même hostile à ces services de renseignements) projetaient d’assassiner le premier ministre Karamé. Si Touma avait donc accompli son crime, sans emmener à bord le brigadier, ce dernier aurait continué à croire que les SR de l’armée en sont les auteurs. «J’en aurais alors informé mes supérieurs, notamment le commandant en chef et c’est ce que Touma ne voulait pas». «Pourquoi n’aurait-il pas voulu que la responsabilité du crime soit attribuée aux SR de l’armée?» a insisté le procureur Addoum, mais le brigadier n’a pas répondu à cette question. Veut-il laisser entendre qu’il y aurait eu une connivence entre les FL et les SR de l’armée de l’époque (pratiquement rattachés au chef de l’Etat, M. Amine Gemayel), lui qui a déjà insisté sur sa peur de l’inconnu, dans cette affaire? Le brigadier n’en dira pas plus et ses réponses à ces questions précises resteront vagues et peu convaincantes. Ses explications techniques (contredites d’ailleurs par plusieurs témoins entendus par le juge d’instruction Georges Ghantous qui seront aussi convoqués par la cour) sur la capacité de son poste Geneva, l’étaient tout autant. Selon lui, ce poste n’a été d’aucune utilité à bord du bateau, puisqu’il peut établir une communication seulement avec les avions de la base de Halate dont le brigadier est le commandant, alors que l’hélicoptère piégé venait de la base d’Adma. Au cours de la précédente audience, le brigadier avait déclaré que les vols à la base de Halate ne commençaient qu’à partir de 9 heures. Mais, en maître du suspense, le procureur Addoum a sorti, hier, un registre des vols, daté de mai 1987, à la base de Halate où il apparaît que de nombreux vols ont commencé à 6h52... Le brigadier a répondu qu’il s’agissait d’exercices de tirs aériens, effectués une fois l’an, en mai justement. Mais comme il avait omis de dire cela avant, cela affaiblit ses propos. Le procureur Addoum a ensuite demandé au brigadier de raconter ce qui s’est passé à la base de Halate au moment de la guerre dite d’élimination entre les FL et l’armée. Et le brigadier s’est alors lancé dans un long récit détaillé qui tiendrait presque de l’épopée, relatant comment il a résisté pendant 12 heures aux assauts des FL alors que d’autres positions de l’armée, dans la région, se sont rendues au bout d’une demi heure. Ainsi, des fois, le brigadier en fait trop, pour montrer son allégeance à l’institution militaire et ses convictions nationalistes, comme pour convaincre la cour qu’il n’a aucune sympathie pour les thèses partitionnistes des FL et à d’autres moments, l’assistance a l’impression qu’il réduit son rôle à celui de simple figurant. Bien que commandant de la base de Halate où a atterri l’hélicoptère du premier ministre Karamé, il n’a pas ainsi jugé bon de se rendre sur place, après être rentré de son périple en mer, ni de s’enquérir du sort de ses camarades, ni encore de diriger les opérations à la base après cet atterrissage forcé. De même, il précise à la cour qu’il n’était pas informé des plans de vol des avions de sa base. Ainsi, au fil des audiences, la personnalité du brigadier se précise. Comme il l’a dit lui-même devant le juge d’instruction, il aime le pouvoir et le commandement et il croyait à son destin et à sa carrière. Il croyait ainsi pouvoir profiter de l’influence des FL, en établissant des liens étroits avec elles, sur l’encouragement d’ailleurs de ses supérieurs qui estimaient que les officiers devaient entretenir de bonnes relations avec les forces dites du fait accompli. Même s’il n’était pas d’accord avec leurs agissements, il est quand même devenu l’ami de Ghassan Touma et a accepté de l’argent de lui. Aujourd’hui, le brigadier est tombé de haut et il trouve la pilule bien amère. Si Gergès Khoury, condamné dans l’affaire de l’attentat contre l’église de Zouk, parlait trop pour noyer les juges dans un flot de paroles, le brigadier, lui, est disert parce qu’il veut désespérément convaincre la cour de son innocence...tout en évitant de charger le chef des FL dissoutes. Le procureur Addoum lui a d’ailleurs fait remarquer qu’il n’invoque son état dépressif que pour revenir sur les phrases accablantes pour Samir Geagea, notamment celle que lui aurait dites Ghassan Touma à bord du bateau: «Le Hakim te salue et il est très heureux que tu sois avec nous»... Pendant plus de sept heures, la cour mais aussi le procureur — toujours présent et incisif —, les avocats de la partie civile et Me Pakradouni ont interrogé le brigadier qui, à la fin, ne cachait plus sa lassitude. Par contre, le chef des FL dissoutes qui avait plutôt l’air de s’ennuyer au début de l’audience, ayant presque hâte de retrouver la quiétude de sa cellule, ne perdait plus un mot, lorsque son ancien second, Karim Pakradouni, a pris la parole. On dirait que ces deux hommes, si proches à l’époque de l’assassinat de Karamé, puis plus tard séparés par les hasards des guerres, des intérêts et des affinités, avaient brusquement retrouvé devant la cour leur complicité d’antan. On pourrait écrire un roman sur leurs sourires, leurs regards et même leur façon de communiquer parfois sans se regarder, comme si entre eux, une onde magique circulait, les isolant des autres. On pourrait aussi parler longuement des mille et un détails qui font que chaque audience est différente des autres: les blagues parfois déplacées de l’ancien bâtonnier Issam Karam, les coups de maillet assourdissants du président de la cour au caractère emporté mais au sourire prompt et au grand coeur, la personnalité écrasante du procureur Addoum, qui semble toujours focaliser l’attention sur lui et dont tous les avocats guettent les réactions, les représentants de la partie civile, toujours en quête d’une pause, les avocats de Aziz Saleh (qu’on oublie presque tant son rôle semble minime dans cette affaire), MM. Abdo Abou Tayeh et Sleimane Lebbos qui font penser aux Dupont et Dupont des bandes dessinées, tant ils se lèvent en même temps, parlent au même moment et se rasseyent ensemble etc... Il y aurait tant à dire, mais le plus important, comme le déclare Me Issam Naaman de la partie civile, est que le premier ministre Rachid Karamé (qui s’était toujours opposé aux milices) comptait signer, le jour de son décès, un document d’entente avec le président Camille Chamoun. Une sorte de Taëf avant l’heure qui aurait épargné tant de souffrances aux Libanais... Et, au-delà des détails techniques, toute l’histoire de ce procès est là. Scarlett HADDAD
Le brigadier Khalil Matar, un des 5 inculpés présents dans le procès de l’assassinat de Rachid Karamé, parle décidément trop. Quatre audiences de près de sept heures chacune n’ont pas suffi pour achever son interrogatoire et le président de la cour de justice, M. Mounir Honein, ainsi que Me Edmond Naïm, un des avocats de Samir Geagea, lui ont conseillé, chacun à sa...