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Actualités - OPINION

Arrêt sur image

Il faut croire sans hésiter Rafic Hariri quand il dénonce les retombées catastrophiques de toutes ces émissions politiques libanaises qui, via le satellite, déferlaient inconsidérément sur notre pudique environnement arabe: s’il y a eu désastre, c’est davantage pour les responsables que pour la renommée du pays, comme on s’efforce de le faire accroire. Mais de sectionner le câble de l’infâmie, peut-il suffire pour redorer un blason passablement terni ces derniers temps? Elles n’étaient pas toutes des chefs-d’œuvre du genre pourtant, ces coquines d’ émissions à l’impact aussi épouvantable et désormais interdites à l’exportation: même dans les confins du Kamtchatka, le plus désœuvré des téléspectateurs ne se laisserait sans doute pas aller à perdre plus d’une bonne cinquantaine de minutes à écouter pérorer ou discutailler des hommes politiques, aussi intéressants ou haut placés soient-ils. Sur nos sémillantes antennes, le seuil des trois heures et demie est couramment enfoncé; avec, en prime, des interventions téléphoniques du public, enrobées des salamalecs d’usage adressés aux animateurs, à la station et aux vedettes du jour, les questions dégénérant en d’interminables harangues qui constituent à elles seules tout un programme: en matière d’interactif on ne fait pas plus fastidieux; et si la formule fait tout de même recette, c’est parce que dans ce pays où la vie politique a été proprement arraisonnée pour n’en laisser subsister que la mince écorce politicienne, ces salons où l’on cause (ô combien) offrent bel et bien aux Libanais une soupape de sécurité, un précieux exutoire, un semblant de démocratie. Bon prince, Monsieur Hariri ne bannira pas ces talk-shows des chaumières libanaises: ce serait d’ailleurs bien imprudent, comme l’ont montré les dernières manifestations d’étudiants. Ce serait surtout parfaitement inutile car toutes ces joutes télévisées n’apprennent pas grand chose finalement aux citoyens, même si l’étalage des irrégularités et turpitudes officielles leur fournit assurément matière à défoulement. Les Libanais «savent», et les dirigeants savent qu’ils savent . Talk-shows ou pas talk-shows, les Libanais se rendent bien compte tous les jours de la décrépitude d’une république pourtant «nouvelle», du dysfonctionnement congénital des institutions, des carences du système, des interférences occultes, des abus et fraudes de toutes sortes commis au grand jour et dans la plus grande impunité par ceux-là mêmes qui sont censés incarner la primauté de la loi. Tout un chacun vous dira par exemple qui trafique dans quoi, car les territoires ont été soigneusement délimités dans le style des grandes «Familles» new-yorkaises. Les hommes-écran, hommes-lige, hommes de paille et autres encaisseurs sont connus de tous et pour leur peine, certains se sont même vus catapulter ministres. Que les Libanais soient instruits de tout cela ne prête pas trop à conséquence, pourtant: ils ne sont guère en mesure d’exiger des comptes, ni au moyen d’élections démocratiques ni par la grève ou d’ autres formes de contestation, prévues par la Constitution. Pour les responsables, l’essentiel est ailleurs et ils ne s’en cachent même pas: il y a des images de marque (des leurres?) à protéger et à entretenir. L’image, par exemple, de ce havre de liberté et de démocratie que s’évertue à propager la propagande officielle, sur fond de grandes orgues et de chœurs angéliques chantant l’union nationale et la reconstruction; l’image, tout aussi traficotée, d’un Etat policé (et non point policier ), d’un Etat des institutions, d’une économie florissante, propre à inspirer confiance aux investisseurs étrangers. Il y a aussi, et peut-être surtout, des susceptibilités étrangères à ménager: que l’on pense un seul moment en effet au mauvais exemple que seraient nos coupables audaces pour maints de nos voisins voués au culte du potentat local. En un mot comme en mille, il est bien difficile de croire que les diatribes d’un Najah Wakim peuvent davantage effaroucher l’investisseur-roi que les tentacules des cartels, que le racket aux commissions, que les scandales financiers jamais suivis du monidre simulacre d’enquête, que les dizaines de milliers de trafiquants de drogue que l’on vient de lâcher dans la nature à la faveur d’une incompréhensible amnistie. Au lieu de s’attaquer sérieusement à tous ces problèmes — lesquels, eux, nous font une bien mauvaise réputation — l’Etat ne trouve rien de mieux que d’imposer, sur satellite, le black-out sur la question: les autruches, on le voit bien, sont loin d’être menacées de disparition. Quant aux libertés au Liban, elles sont en voie d’être assimilées à ces décolletés outrageux qui heurtent tant la moralité bien connue de nos responsables: bandeau, les petits! Faudra-t-il un jour, avec toutes les poubelles béantes de la politique libanaise, s’habituer aussi à se boucher le nez? Issa GORAIEB
Il faut croire sans hésiter Rafic Hariri quand il dénonce les retombées catastrophiques de toutes ces émissions politiques libanaises qui, via le satellite, déferlaient inconsidérément sur notre pudique environnement arabe: s’il y a eu désastre, c’est davantage pour les responsables que pour la renommée du pays, comme on s’efforce de le faire accroire. Mais de...