Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Affaire Debbas : la justice progresse lentement, loin de toute pression

Les Libanais auraient souhaité terminer l’année 97 avec un coupable identifié dans l’affaire de la petite Nathalie Debbas, morte le 6 novembre dernier devant l’infirmerie de son école. Ce drame continue de hanter les consciences révoltées par le terrible sort réservé à la petite fille âgée de 5 ans et neuf mois. Depuis l’ouverture de l’enquête sur sa mort suspecte (ouverture qui n’a été effectuée que 8 jours après le décès, puisque les autorités n’avaient pas été alertées auparavant), le premier juge d’instruction du Mont-Liban, M. Fawzi Dagher, et le procureur général du Mont-Liban, M. Chucri Sader, travaillent sans relâche, pour tenter de boucler ce dossier si délicat. Au rythme de 15 heures d’investigations par jour, ils entendent, lisent, vérifient, consultent des experts et discutent entre eux à la recherche d’une vérité, particulièrement difficile à trouver. C’est que le Parquet a été alerté alors que la plupart des indices avaient été effacés et qu’il était presque impossible de procéder à de nouveaux examens, sans compter le fait que l’affaire est intime et, par conséquent, toute investigation ressemble à une indiscrétion. C’est dans ce terrain miné que les magistrats avancent lentement, soucieux de préserver le secret de l’enquête, prévu par la loi. Informations utiles Un mois et demi après le déclenchement de l’enquête, les investigations se poursuivent donc. Au début, l’avocat général Maroun Zakhour—qui remplaçait M. Sader,alors en Egypte—avait placé le père de la victime, M. Wadih Debbas, en détention préventive. Mais dès qu’il a pris en charge le dossier, M. Dagher a donné l’ordre de le relâcher, car il avait estimé que son arrestation préventive ne servait pas l’enquête et de plus, elle n’était pas justifiée à ce stade des investigations. Par contre, M. Dagher a émis, vendredi, un mandat d’arrêt à l’encontre du Dr Edouard Eliane ( 68 ans), grand oncle maternel de la victime. Pour la justice, le Dr Eliane a eu un comportement plutôt étonnant et il est accusé de recel d’information. En effet, selon des sources proches de l’enquête, alors qu’il avait été informé du décès subit de sa petite nièce et qu’il est arrivé à l’hôpital Saint Charles où avait été transportée la dépouille, en même temps que les parents, il avait refusé, selon les témoignages des personnes présentes, d’alerter les autorités et avait donné des instructions pour que le corps de la petite Nathalie soit transporté à l’hôpital Rizk. Ce serait aussi lui qui aurait demandé au Dr Wafic Tabbarah de procéder à une autopsie privée avant de suggérer à quelques membres de la famille d’envoyer des prélèvements sanguins à un laboratoire en France, sans aucune supervision officielle. Pourquoi avoir pris toutes ces initiatives et pourquoi envoyer les prélèvements à l’étranger? Autant de questions qui ont attiré l’attention des magistrats. Enfin, entendu une première fois par le juge d’instruction, le Dr Eliane avait eu un comportement agressif et emporté, ce qui avait contraint M. Dagher à lui demander de s’isoler un moment. Tous ces éléments—et peut-être d’autres gardés sous silence—ont poussé M. Dagher à arrêter le Dr Eliane. Ce dernier, atteint de diabète et souffrant de troubles cardiaques, se trouve depuis vendredi à l’aile des malades cardiaques de la prison de Roumié. Il n’est certes pas suspect, mais les magistrats pensent qu’il détient des informations qui pourraient être utiles à l’enquête. Et ils attendent qu’il se décide à parler. Depuis son arrestation, Dr Eliane n’a pas été interrogé par le juge et il n’a pas non plus sollicité une entrevue. Les sources judiciaires demeurent catégoriques, l’enquête se poursuit dans toutes les directions et il ne faut pas que l’opinion publique se choisisse un coupable avant d’attendre le résultat des investigations. C’est une accusation trop terrible pour être lancée sans certitude et ni M. Dagher, ni M. Sader ne souhaitent porter préjudice à un innocent. C’est pourquoi, ils ne clôtureront leur enquête que lorsqu’ils seront convaincus à cent pour cent de l’identité du coupable. D’ici-là, il faut les laisser travailler... Ce qui est déjà sûr, c’est que les magistrats ont engagé des poursuites contre les hôpitaux Saint-Charles et Rizk, en tant que personnes morales, pour avoir omis d’alerter les autorités lorsqu’ils ont reçu le corps de la petite victime. C’est bien sûr un volet annexe, mais que les magistrats ne pouvaient toutefois négliger. Insuffisance cardiaque Et l’enquête proprement dite? Elle continue à progresser de vérification en recoupement et d’investigation en analyse. Ce qui est désormais pratiquement sûr, c’est que la petite Nathalie a été victime d’abus sexuels. De quelle nature sont-ils? Les versions des médecins continuent à diverger. Certains, se basant sur la dilatation anormale de l’anus et les ecchymoses qui s’y trouvaient, pensent qu’il s’agit de sévices répétitifs et anciens et d’autres préfèrent ne pas se prononcer sur la question. Au cours de l’importante confrontation entre 12 médecins, effectuée sous la supervision du juge Dagher et en présence du procureur Sader, il aurait été pratiquement établi que les abus ne sont pas la cause directe de la mort. Celle-ci serait survenue à la suite d’un arrêt cardiaque. Et là, de nouveau, les versions divergent: certains médecins pensent que la petite souffrait d’une insuffisance cardiaque et qu’elle serait morte d’une brusque crise de palpitations et d’autres pensent que l’arrêt cardiaque serait dû à un étouffement causé par un dérangement interne. Si l’on s’en tient à la première version, qu’est-ce qui aurait déclenché la crise de palpitations? De nombreux psychologues estiment que les abus sexuels pourraient y être pour quelque chose. Mais de toute façon, que la mort soit jugée «naturelle» ou non, l’enquête se poursuivra, car quelle que soit la vérité, il y a déjà, au moins, deux crimes: l’un prévu par l’article 505 du code pénal évoque l’acte sexuel commis avec un mineur de moins de 15 ans et prévoit une peine d’au moins 5 ans de prison si le mineur a moins de 12 ans révolus et le second est prévu dans l’article 550 du code pénal qui précise que «tout acte intentionnel ayant causé la mort d’autrui sans l’intention de la causer sera puni d’au moins 5 ans de travaux forcés». Eviter le moindre faux pas Le crime étant trouvé, il reste à identifier le coupable. Et, pour cela, la justice ne veut négliger aucun indice, aucune piste. L’emploi du temps de la petite fille, en cette triste journée du 6 novembre, est vérifié et revérifié, reconstitué dans ses moindres minutes alors que toutes les personnes qu’elle a pu rencontrer ce jour-là ont été entendues à plusieurs reprises et pourraient l’être encore si les magistrats souhaitent s’assurer de certains points. Ce qui est sûr, c’est qu’ils iront jusqu’au bout. Car comme l’a souligné M. Sader: «Celui qui travaille 15 h par jour sur un dossier n’a certainement pas l’intention de l’étouffer». D’autant que selon des sources judiciaires, il n’y a eu, jusqu’à présent, et contrairement aux rumeurs, aucune tentative de pression, dans un sens ou dans l’autre. Simplement, la justice avance avec un excès de prudence et de discrétion pour éviter le moindre faux pas. Un faux pas qui serait terrible, non seulement pour la société, mais aussi pour la mémoire de la petite Nathalie, dont le destin tragique émeut tous les Libanais. Scarlett HADDAD
Les Libanais auraient souhaité terminer l’année 97 avec un coupable identifié dans l’affaire de la petite Nathalie Debbas, morte le 6 novembre dernier devant l’infirmerie de son école. Ce drame continue de hanter les consciences révoltées par le terrible sort réservé à la petite fille âgée de 5 ans et neuf mois. Depuis l’ouverture de l’enquête sur sa mort...