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Actualités - REPORTAGE

Deux mille étudiants ont manifesté Place de l'Etoile La Fougue des jeunes a eu raison des interdits ministériels (photo)

Deux mille jeunes universitaires manifestant Place de l’Etoile, cela ne s’était pas vu depuis des années... Et pourtant, malgré la décision gouvernementale d’interdire les manifestations, les étudiants des principales universités ont quitté hier après-midi leurs campus respectifs pour venir s’installer devant le siège du Parlement, dans l’espoir de faire entendre leur voix aux députés. Ces manifestations, placées sous le signe de la sauvegarde de la liberté d’expression, s’inscrivent dans le prolongement du mouvement de protestation enclenché en début de semaine par les étudiants, suite à l’interdiction d’une interview télévisée du général Michel Aoun, et à l’arrestation de ses partisans. Sans peur et dans une ambiance survoltée mais bon enfant, ils ont scandé des slogans hostiles aux armées syrienne et israélienne et au Pouvoir en place, tout en revendiquant leur droit à la liberté d’expression. Les forces de l’ordre ont encadré étroitement les manifestants, mais ont évité tout heurt avec eux. En début de soirée, alors que le Parlement tenait sa séance plénière, les étudiants ont annoncé la suspension de leur grève à partir d’aujourd’hui.

C’est vers 16h qu’environ trois cents voitures, tous drapeaux dehors, arrivent à proximité de la Place de l’Etoile. Les étudiants, en provenance notamment de la faculté d’information de l’Université libanaise (Fanar), et de l’AUB, où des sit-in ont eu lieu, gagnent à pied le siège du Parlement. «Il faut que vous compreniez que nous manifestons aujourd’hui pour une cause, celle de la liberté et de l’indépendance, et non pour une personnalité donnée», nous explique, les yeux brillants, un des étudiants. Autre message cher aux manifestants: «Toutes les universités et toutes les communautés sont représentées dans cette manifestation», clament-ils.
«Liberté, souveraineté, indépendance», c’est par ces cris que les manifestants accueillent les députés, venus au Parlement pour la réunion plénière prévue pour 18h. Des slogans hostiles à la Syrie et à Israël fusent de toutes parts: «La Syrie dehors! Israël dehors! Nous ne voulons pas d’un Parlement qui serve de portier à la Syrie!» Les bras s’agitent en signe de protestation. Les gestes se joignent à la voix vibrante des manifestants pour compléter un tableau impressionnant. L’émotion est à son comble quand les jeunes, arborant des bandes blanches autour du front, entonnent l’hymne national, faisant de la main le signe de la victoire et agitant des drapeaux libanais.
Et, il s’agit bien là d’une victoire. Par leur insistance, les universitaires du Liban ont brisé la décision gouvernementale d’interdire les manifestations. Quand on leur demande s’ils ont peur des conséquences de leur action, l’un d’eux répond d’une voix vibrante: «Pourquoi devons-nous avoir peur? Nous sommes en position de force. Ce sont eux qui nous craignent». Mais qu’en est-il des nombreux soldats attroupés autour des jeunes? Fait bizarre en de telles circonstances, aucune animosité ne semble exister entre les deux parties. Au contraire, les troupes sont particulièrement calmes. Quant aux manifestants, le seul slogan qu’ils lancent aux soldats est le suivant: «Nous ne voulons pas de l’armée syrienne, nous ne voulons que l’armée libanaise».
Autre constatation majeure: le mouvement estudiantin, dont la naissance a été spontanée, commence quelque peu à s’organiser. Un comité d’étudiants, formé de représentants des principales universités, a été créé récemment. Ses membres tentent continuellement de discipliner la manifestation et de contrôler les réactions de leurs camarades. C’est ce comité qui a décidé, à partir de la faculté d’information de l’UL de Fanar où un sit-in avait lieu, de poursuivre la route jusqu’au Parlement. C’est lui également qui a mis au point un communiqué qui devait être remis aux députés. Ce document contient les demandes suivantes: le retrait des troupes syriennes et israéliennes du Liban, la liberté d’expression dans le cadre de la démocratie, l’annulation de la décision qui interdit les manifestations. Les relations entre ces «leaders» ne seraient pas toujours idylliques, comme nous le révèle un des membres de ce comité, mais le pas est quand même considérable.
«Nous sommes tous unis pour une même cause», nous lance un manifestant. «Nous avons décidé de nous soucier uniquement des principes, pour l’instant, pas de personnes ou de partis», nous explique un autre. Ce qui prouve une fois de plus que ces manifestations ont dépassé l’affaire de l’arrestation des partisans du général Aoun.
Notons que les agences de presse internationales ont relevé l’importance de ces manifestations. Elles ont également précisé qu’elles avaient pour but la défense des libertés publiques, mais qu’elles étaient tout autant dirigées contre la présence syrienne et l’occupation israélienne au Liban.

Les députés hués

Face à cette foule de jeunes survoltés, amassés devant l’entrée du Parlement, les députés qui arrivent Place de l’Etoile ne peuvent s’empêcher de jeter un regard étonné et amusé. La plupart de ces députés sont hués, notamment le ministre de la Justice, M. Bahige Tabbarah. Certains sont même accueillis par ces termes: «Qui est celui-là?» ou «Voleurs!». D’autres tentent un salut à la foule, mais celle-ci leur répond par des sifflements. Quant aux hommes politiques les plus impopulaires auprès des jeunes (principalement le chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, le ministre de l’Information, M. Bassem el-Sabeh, et le ministre d’Etat aux Finances, M. Fouad Siniora), ceux d’entre eux qui se sont rendus au Parlement ont préféré emprunter une porte d’entrée secondaire. Les slogans qui leur sont alors lancés font preuve d’une inventivité espiègle: «Siniora à vendre, Hariri l’a acheté», ou «Hariri, ô lâche, pourquoi ne passes-tu pas par la porte principale», ou encore «Sabeh (le lion en arabe) s’est transformé en chaton».
Cinq députés choisissent de s’adresser directement aux jeunes: Mme Nayla Moawad, et MM. Nassib Lahoud, Boutros Harb, Najah Wakim, et Pierre Daccache. La tâche n’est pas aisée: les manifestants, entraînés par leur enthousiasme et leurs slogans, n’acceptent pas facilement les paroles qu’ils jugent être des clichés, et essaient de faire réagir l’orateur en lui lançant «Syrie dehors» quand lui-même ne mentionne pas l’armée syrienne.
«Je suis avec vous, déclare Mme Moawad, et vous avez tout à fait le droit de revendiquer votre droit à la liberté. Mais n’attaquez pas pour autant le Parlement, qui fait partie des droits sacrés du citoyen». Quant à Nassib Lahoud, il affirme que «les universitaires et les députés poursuivent une même lutte, celle de rebâtir un Etat». «Mais cette lutte commence par la bataille des élections municipales, poursuit-il, que nous allons gagner en partie grâce à votre soutien».
Pierre Daccache a également pris la parole à son arrivée, rassurant les étudiants par ces mots: «Nous allons soutenir vos demandes au Parlement». «Le Liban fait partie des Nations Unies, et doit donc suivre les principes de cette organisation mondiale, ajoute-t-il. Cela veut dire que les manifestations doivent être permises». Il a également demandé que l’interview du général Michel Aoun à la MTV, prévue pour dimanche passé, soit diffusée, en présence de quatre personnes proches de l’Etat qui auraient le droit de réplique.
A son arrivée, M. Wakim a été ovationné et porté à bout de bras. Il a lancé aux jeunes: «Ce que vous avez réalisé est très important, non seulement pour vous, mais pour la nation». Quand ceux-ci scandent leur slogan: «Nous ne voulons pas d’un Parlement qui serve de portier à la Syrie», il se contente de répondre: «J’espère que vous formerez la Chambre de demain».
M. Harb, s’exprimant devant la foule, a déclaré que «la quête des libertés ne s’arrêtera que quand tout le monde pourra s’exprimer». «Nous sommes tous attachés à votre cause, et nous poursuivrons la lutte avec vous», a-t-il ajouté.

Sit-in et défilés

Auparavant dans la journée, des sit-in ont eu lieu dans différents campus universitaires, à l’instar des quatre jours précédents. A la faculté d’information de l’Université libanaise à Fanar, un grand rassemblement a eu lieu. Des étudiants de l’UL, de l’AUB, de l’Université Saint-Joseph, de Notre-Dame University, de l’Université Saint-Esprit de Kaslik et de la Lebanese American University se sont retrouvés dans ce campus, pour ce qui devait être un dernier sit-in avant l’interruption des actions aujourd’hui.
A l’AUB également, le comité d’étudiants (de l’université) a appelé les universitaires à suivre une marche pacifique et des sit-in à l’intérieur du campus, de 11h à 14h. Un membre du comité nous a confié que «les étudiants n’ont pas l’intention de sortir du campus parce qu’un heurt avec les forces de l’ordre peut nuire à notre action». Mais les choses ne se sont pas passées aussi calmement. Les quelque 500 manifestants sont sortis du campus par la porte principale, pour le réintégrer par la porte secondaire. Ce faisant, ils ont traversé la rue Bliss, où un grand nombre d’agents de l’ordre étaient attroupés, sans compter une brigade anti-émeute.
A l’USJ et au Haigazian College, des sit-in se sont également tenus. Et, pour la première fois depuis le début des grèves, la fièvre s’est propagée dans quelques écoles publiques et privées, où des élèves ont manifesté leur volonté de liberté.
De tous les événements qui ont secoué ces derniers jours reste la certitude, aux participants comme aux observateurs, d’avoir vécu des moments cruciaux. Malgré leurs mines fatiguées à la fin de la manifestation, les étudiants arboraient l’air satisfait du devoir accompli, mais aussi une assurance toute nouvelle, celle de tenir pour la première fois les rennes de leur destin...
Suzanne Baaklini
S. B.
Deux mille jeunes universitaires manifestant Place de l’Etoile, cela ne s’était pas vu depuis des années... Et pourtant, malgré la décision gouvernementale d’interdire les manifestations, les étudiants des principales universités ont quitté hier après-midi leurs campus respectifs pour venir s’installer devant le siège du Parlement, dans l’espoir de faire entendre...