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Actualités - REPORTAGE

Les atteintes à la liberté d'expression provoquent un tollé général Sit-In estudiantin hier à l'USJ , à l'AUB et dans les deuxièmes sections de l'UL (photos)

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Le face-à-face pacifique, rue Huvelin, entre les FSI et les étudiants de l’USJ.
(Photo Wissam Moussa)

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En multipliant les bavures au cours des derniers jours, le pouvoir a réussi le tour de force de donner un nouveau souffle à l’opposition anti-Taëf. En moins de vingt-quatre heures, un vaste courant d’opinion s’est mobilisé afin de défendre non seulement les libertés publiques et d’expression, mais également — et surtout — les spécificités libanaises et un certain visage du Liban. La décision arbitraire prise par le ministère de l’Information d’interdire l’interview télévisée du général Michel Aoun, ainsi que l’attitude répressive des forces de l’ordre, dimanche dernier, face aux manifestants qui tentaient de protester pacifiquement contre cette mesure ont suscité un tollé général sur la scène locale, dans les différents milieux politique, syndical, professionnel, estudiantin et populaire
Parallèlement aux divers partis et courants de l’opposition chrétienne, les principaux Ordres des professions libérales (avocats, médecins et ingénieurs) ont stigmatisé, en des termes très sévères, les atteintes à la liberté d’opinion et la vague d’arrestations dans les rangs des partisans du général Aoun (dont 63 avaient été interpellés dimanche). L’Ordre des avocats de Beyrouth a décrété une grève générale de trois jours, à compter d’aujourd’hui, mardi. Les avocats du Liban-Nord se sont solidarisés avec le mouvement et ont décrété un débrayage de vingt-quatre heures, aujourd’hui.
Au plan international, plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, telles que, notamment, Amnesty International, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et le mouvement franco-libanais SOLIDA (Soutien aux Libanais détenus arbitrairement dans les prisons israéliennes et syriennes) se sont élevées contre la répression de la liberté d’expression.
La vague de réprobation a également gagné les rangs parlementaires. De nombreux députés ont sévèrement fustigé l’attitude du pouvoir dans cette affaire. Le point de vue exposé par M. Najah Wakim à ce propos résume parfaitement le sentiment exprimé hier dans de nombreux milieux. «L’affaire dépasse largement le cadre de la MTV, de l’interview du général Aoun ou des jeunes manifestants» qui sont descendus dans la rue dimanche. «Ce qui s’est produit constitue une étape nouvelle sur le plan de la répression des libertés», a notamment souligné le député de Beyrouth.
M. Wakim a relevé dans ce cadre, fort à propos, que le ministre de l’Information a interdit l’interview du général Aoun en se basant, par anticipation, sur son estimation personnelle de ce que le général Aoun risquait de dire dans son interview. Le pouvoir actuel a ainsi innové en la matière: la sanction a précédé l’action!
Le député de Beyrouth a, d’autre part, exprimé sa stupéfaction au sujet des indications selon lesquelles le ministre de l’Intérieur Michel Murr n’a pas donné l’ordre aux FSI de descendre dans la rue, dimanche, mais que les forces de sécurité sont intervenues de leur propre chef, sur base d’une précédente décision du Conseil des ministres d’interdire les manifestations (M. Murr a confirmé lui-même cette information dans une déclaration faite hier au Parlement).
Une question essentielle se pose à ce niveau (comme l’a relevé également M. Wakim): à quel niveau et en fonction de quels critères est prise la décision de faire intervenir la brigade anti-émeute des FSI et les centaines de gendarmes et d’agents des FSI, comme ce fut le cas dimanche? Puisque le ministre de l’Intérieur estime qu’il n’a plus besoin de donner ses ordres sur ce plan, qui est donc habilité à juger que la «paix civile» dans le pays est menacée de façon sérieuse pour justifier un étalage de force, le recours à la répression «musclée» contre des jeunes, et l’arrestation de dizaines de personnes?

Les poursuites judiciaires

Visiblement, les contradictions apparues dimanche dans l’attitude de certains ministres et les arguments avancés par les responsables concernés cachent mal un cafouillage officiel déplorable et un malaise au niveau du pouvoir dans cette affaire. Alors que le chef du gouvernement a observé le mutisme le plus total sur ce plan, les ministres de l’Intérieur et de l’Information ne savaient plus quel argument sortir pour justifier leur comportement des dernières vingt-quatre heures. Selon certaines informations, le chef du gouvernement aurait été dans ce cadre irrité par certains propos tenus dimanche, au siège de la MTV, par M. Bassem el-Sabeh. Ce flottement exliquerait les contradictions apparues dans les déclarations faites (dimanche) par le ministre de l’Information concernant les mesures de sécurité prises par le ministère de l’Intérieur.
Ce manque de cohésion interministérielle (ainsi que l’attitude apparemment neutre de l’armée) a contribué dans une large mesure à unifier d’une manière objective les positions de l’opposition chrétienne, de l’opposition traditionnelle parlementaire, des Ordres des professions libérales, sans compter les professeurs de l’Université libanaise et les organisations estudiantines. Jamais comme aujourd’hui, depuis la fin des combats en 1990, les positions des différents courants d’opposition (aussi bien pro-Taëf qu’anti-Taëf) n’ont été pratiquement aussi proches, face aux atteintes visant les libertés publiques et individuelles. Par sa maladresse et son manque de clairvoyance, le gouvernement a réussi à amener de nombreux parlementaires à se solidariser avec le courant aouniste...
Pour camoufler ce cafouillage, le pouvoir a recours, comme à l’accoutumée, aux slogans creux et aux moyens judiciaires. Sur les 63 personnes interpellées dimanche, dix ont été déférées hier devant le Tribunal militaire et 23 autres devant le Parquet pour «atteinte à l’ordre public» et «agression contre les forces de l’ordre»! Trente autres personnes ont été libérées dans la soirée sous caution d’élection de domicile.
Ces poursuites engagées ainsi contre les militants aounistes ne manqueront pas d’entretenir encore davantage la tension. Et de mobiliser encore plus l’opinion publique... Un collectif d’avocats (groupant au total près de 120 membres du barreau) s’est porté ainsi volontaire pour défendre les personnes mises aux arrêts. Ce collectif a d’ailleurs porté plainte auprès du procureur de Beyrouth Abdallah Bitar, affirmant que la détention des jeunes aounistes est illégale. L’un des principaux membres du collectif, Me Mohammed Moghrabi, a souligné que ces personnes ont été arrêtées «illégalement alors qu’elles exerçaient pacifiquement leur droit le plus élémentaire, garanti par la Constitution». «Elles ont été agressées par les forces de l’ordre qui les ont battues et insultées», a souligné Me Moghrabi.

Le mouvement estudiantin

La réaction est tout aussi violente dans les rangs des étudiants universitaires. Des grèves et des sit-in de protestation ont en effet été organisés hier à l’Université Saint-Joseph, à l’Université américaine ainsi que dans la plupart des deuxièmes sections des facultés de l’Université libanaise (sections Est).
A l’USJ, plus de 300 étudiants se sont massés dans la cour centrale du campus universitaire, rue Huvelin, pour réclamer la libération de leurs camarades mis aux arrêts et stigmatiser les pratiques du pouvoir. La brigade anti-émeute des FSI et des détachements de la gendarmerie se sont aussitôt déployés en force autour du campus afin d’empêcher les étudiants de manifester dans la rue.
«Syrie dehors»; «Nous ne voulons pas d’un Parlement à la solde des Syriens»; «Libérez nos camarades», scandaient les étudiants qui ont appelé, par la même occasion, les éléments des FSI déployés à l’extérieur à se solidariser avec eux. «Joignez-vous à nous, nous sommes du même bord», criaient les étudiants.
Parallèlement au mouvement de protestation organisé à l’USJ, un sit-in a également été organisé hier matin à l’intérieur du campus de l’AUB. Idem dans certaines facultés de l’Université libanaise (deuxièmes sections de l’Est) où les cours ont été suspendus, les étudiants s’étant rassemblés à la faculté de droit.
Aujourd’hui, de nouveaux mouvements de protestation sont prévus à l’USJ, à l’ESIB, à l’UL (sections Est), ainsi qu’à l’Université Notre-Dame (NDU) de Louaizé, au Kesrouan.
Cette vaste mobilisation de l’opinion publique, ainsi que les slogans lancés par les manifestants et les étudiants, devraient par conséquent inciter le pouvoir à réfléchir quelque peu sur la véritable portée et la signification des événements des dernières vingt-quatre heures.
Comme l’ont souligné hier plusieurs parlementaires, parmi les manifestants qui se sont rassemblés dimanche à Achrafieh, on comptait de nombreux professeurs d’université, des avocats, des ingénieurs, des médecins, des cadres supérieurs et des étudiants universitaires. En clair, un échantillon assez représentatif d’une très large frange de la société civile. La solidarité et le mouvement de sympathie exprimés au sein de l’opinion publique à l’égard de ces manifestants ne signifie-t-elle pas qu’un large fossé sépare la population du pouvoir actuel?
N’est-il pas significatif que les deux Ordres des avocats de Beyrouth et du Liban-Nord, en sus des Ordres des ingénieurs et des médecins, parallèlement à la Ligue des professeurs de l’UL, aient condamné sévèrement les pratiques du gouvernement? Les dirigeants ne devraient-ils pas s’employer à tirer les leçons d’une telle donne fondamentale?
Michel TOUMA
M. T.
1Le face-à-face pacifique, rue Huvelin, entre les FSI et les étudiants de l’USJ.(Photo Wissam Moussa)2En multipliant les bavures au cours des derniers jours, le pouvoir a réussi le tour de force de donner un nouveau souffle à l’opposition anti-Taëf. En moins de vingt-quatre heures, un vaste courant d’opinion s’est mobilisé afin de défendre non seulement les libertés...