Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

Municipales : un découpage qui n'a presque rien d'électoral...

Il est peu d’exemples aussi frappants de la versatilité des dirigeants de la présente république que leurs retournements successifs concernant les municipales. En 1992, ce sont de telles élections qu’ils voulaient organiser, en commençant par Beyrouth comme galop d’essai… et ils se sont retrouvés plutôt,injonctions syriennes obligent, avec les fameuses législatives des 13,8% de participation! Nouvelle hibernation prolongée puis, une fois liquidées les législatives de 96, relance forcée du débat:les dernières municipales remontant à 1963, il ne restait pratiquement plus de municipalités en place, les mohafez ou caïmacams, gestionnaires d’occasion, ne sachant plus où donner de la tête. Plus grave encore, on courait tout droit à la pénurie de «makhatirs», ces indispensables auxiliaires assermentés dont le cachet est nécessaire pour la plupart des formalités, une caste dont l’élection se fait en même temps que les municipales. N’empêche qu’au risque de se voir accuser d’impéritie chronique, certains responsables ont rué dans les brancards affirmant qu’il fallait au moins deux bonnes années pour préparer le scrutin… avant de se raviser et de le fixer au printemps prochain.
Ce zèle soudain n’est certainement pas causé par le souci d’ouvrir la voie à une vie municipale normalisée et au développement harmonisé des villes et des villages du pays. Il ne se justifie pas non plus par la volonté de promouvoir tout à la fois la démocratie, l’esprit civique et la fusion nationale à travers la participation de toutes les composantes au scrutin. Mais une fois de plus par l’esprit de partage du gâteau entre gens de pouvoir. En effet, mis au pied du mur par l’arrêt du Conseil constitutionnel cassant le renvoi de deux ans des élections, les dirigeants ont trouvé moyen de s’entendre entre eux, sur le dos du pays tout entier, à travers un ahurissant projet de loi couvrant du label «élections» une opération de désignation d’hommes liges dans les conseils municipaux. Ainsi le chef de l’Etat, le président de la Chambre, le président du Conseil se tailleront la part du lion, le reste se partageant entre différents ministres députés ou pôles d’influence régionaux. Les autres, les parlementaires opposants qui refusent les désignations et les opposants extraparlementaires devront tenter de «se rattraper» avec le peu de marge qu’on laissera aux élections proprement dites pour avoir quelques miettes du festin.

Fatalité

Les jeux sont en effet faits: comme pour la prorogation en 1995, l’écrasante majorité politique et socio-politique qui s’est prononcée contre le principe des désignations doit… s’écraser devant la volonté des décideurs qui ont choisi de soutenir le projet du pouvoir tricéphale. Au panier donc la «pétition nationale» massivement signée par la population en faveur de vraies élections.On opte ainsi pour les désignations sous couvert de préserver les équilibres en permettant la représentation des minorités. Prétexte visiblement fallacieux puisque ce souci d’équation aurait pu être tout aussi bien défendu en maintenant les quotas communautaires en vigueur en 1963, à l’instar d’ailleurs de ce qui se fait dans les législatives.Un exemple pour clarifier les choses: dans une agglomération où la minorité serait de deux douzièmes, le système des quotas lui garantirait ses deux sièges légitimes, alors que dans la loi établie le pouvoir se réserve le droit de désigner un tiers des édiles dans des centaines de localités et les douze conseillers municipaux dans une centaine d’autres! Ce qui peut le cas échéant prêter à des abus renversant les rôles en donnant la majorité municipale à la minorité démographique…D’autant que la loi prévoit que le président et le vice-président ne seront pas élus au suffrage universel mais désignés par les autres conseillers, généralement acquis au pouvoir, après la mise en place de la nouvelle municipalité.
Pour seul justificatif, un haut responsable affirme en substance que «le recours aux quotas ferait que dans beaucoup de régions les chrétiens seraient représentés par des édiles choisis en réalité par des leaders ou des forces islamiques comme MM. Berry, Hariri, Joumblatt et le Hezbollah…» C’est d’une part oublier que c’est déjà le cas pour les législatives; et omettre d’autre part que dans les désignations la sélection serait encore plus nette, plus brutale. D’autant que les municipales, qui se déroulent en vase clos, entre familles locales, font la part beaucoup moins belle aux influences extérieures à l’enceinte de la cité et ne ressemblent pas du tout aux législatives.
Les élections, ce n’est déjà pas parfait mais que sous ce prétexte on choisisse — en démocratie! — de s’en passer, cela signifie que même pour la forme on ne tient plus aux valeurs républicaines. A partir de là tous les dérapages deviennent à craindre et les apprentis sorciers qui se jouent des règles pourraient un jour s’en mordre les doigts.

E.K.
Il est peu d’exemples aussi frappants de la versatilité des dirigeants de la présente république que leurs retournements successifs concernant les municipales. En 1992, ce sont de telles élections qu’ils voulaient organiser, en commençant par Beyrouth comme galop d’essai… et ils se sont retrouvés plutôt,injonctions syriennes obligent, avec les fameuses législatives des...