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Actualités - REPORTAGE

Participation financière timide de l'état et des organismes internationaux à la lutte contre la maladie Le Sida au Liban : une information ciblée pour démolir les tabous et la loi du silence

De précédentes études se sont penchées sur un dossier qui reste aujourd’hui des plus brûlants, celui de la prostitution. Ces études ont également évoqué la délinquance et le travail social entrepris par les organisations non gouvernementales. Si la prostitution a été citée, c’est parce qu’elle fait partie des groupes à risques. Une prostituée n’est pas visée uniquement au niveau de sa santé physique mais aussi de son état dans la société et de la perception que l’on se fait d’elle — ou de lui, s’il s’agit d’un prostitué — et de la manière dont elle vit cette prostitution.
En ce qui concerne le sida, le risque épidémiologique ne semblait pas exister, il y a quelques années. On ne savait pas à quel moment pouvait se déclencher un danger épidémiologique. Pourtant l’expérience des «autres» pays a fait réfléchir sur l’ampleur de cette question et sur un système de prévention pour suivre de très près la progression de la transmission de ce virus. Plus encore, elle a permis du focaliser sur tous les rouages de fonctionnement d’une société avec sa socialisation et ses modèles de comportement. Car, hier et aujourd’hui, nous ne connaissons pas — les statistiques n’étant pas toujours fiables — le nombre exact des personnes atteintes de ce virus. Il semble qu’en 1997, la cote d’alerte ait été déjà atteinte et que ce problème, à l’instar d’autres, dépasse de loin un dépistage ou de simples recommandations. Ne s’agit-il pas d’un véritable phénomène de société?
Pour faire face à cette menace a été créé le Programme national de lutte contre le sida. Il devient opérationnel en 1991. Ses objectifs se résument ainsi:
— La prévention par voie sexuelle.
— La prévention par voie sanguine.
— L’amélioration des données statistiques et épidémiologiques.
— La réduction de l’impact du sida sur les communautés.
Une équipe de travail spécialisée dans les différents domaines de la médecine, de l’éducation sanitaire et familiale s’organise autour d’un directeur général dépendant de l’Organisation mondiale de la santé. Le Dr Alissar Radi, spécialiste en médecine familiale et responsable de ce programme, explique le fonctionnement des trois comités y afférents:
— National, présidé par le ministère de la Santé et regroupant les Affaires sociales, l’Education, l’Information, les secteurs académiques... dont le rôle est consultatif, établissant les grandes lignes, la stratégie à entreprendre.
— Technique, qui comprend les autorités médicales, les centres de recherche, les laboratoires. Sa fonction est également consultative.
— Informationnel, qui oriente son action sur l’éducation avec les ministères concernés et les ONG.
L’ensemble du travail est bénévole. Le plan d’action est défini chaque 2 ans. Dans le domaine éducationnel, un projet à été élaboré en collaboration avec le CNDR. Il prévoit une information dans le cadre des programmes scolaires.
Si, à travers ce programme, le gouvernement libanais s’engage dans cette action et alloue un budget spécial, il faut reconnaître que face aux multiples problèmes socio-économiques, celui du sida n’est pas prioritaire. Et pourtant, les risques sont aujourd’hui énormes.
Le premier cas a été identifié en 1984. En 1989, d’autres cas ont été signalés. Il s’agissait surtout de Libanais vivant à l’étranger. A l’époque, pour chaque 10 cas, 10 venaient de l’extérieur du pays. Aujourd’hui pour chaque 10 cas, le pourcentage est de moitié. On a souvent cité l’exemple du mari contaminé qui travaille à l’étranger, revient au pays et transmet le virus à son épouse.
Des statistiques démontrent que 70% sont des voyageurs migrants et 30% vivent au Liban. Les régions les plus touchées sont Beyrouth et le Sud-Liban. Ce sont aussi des cas hétérosexuels hors cadre marital. Les pays les plus cités d’où viendraient ces hommes contaminés se situeraient dans les régions d’Afrique de l’Ouest et centrale, de l’hémisphère Nord, Europe occidentale et de l’Est.
Il faut reconnaître qu’une des composantes de la structure de la société — la condition de la femme — est souvent la cause de cette inconscience. La femme est victime de cette condition dans un pays où les tabous sont coriaces et où les hommes, dans certains milieux, ont tous les droits. Ce sont des sujets sensibles qui vivent dans un cadre fermé, liés à des valeurs sociales propres aux pays méditerranéens et qui croient à la fatalité.
En 1992, nous avions pour 6 hommes infectés, une femme atteinte. En 1996, pour 3,5 hommes infectés, une femme est atteinte. 460 cas ont été déclarés par l’OMS à Beyrouth parmi lesquels 80 étrangers. La moyenne d’âge est de 30 ans, les femmes étant plus jeunes. On déclare 4% d’enfants de moins de 10 ans. Le plus âgé des malades aurait 73 ans. La situation se présente donc ainsi:
Dans 75% des cas:
• Hétérosexuels: 50%
• Bisexuels: 6%
• Homosexuels: 7%
• Stupéfiants par l’usage de seringues: 7,4%
• Voie sanguine: 9%
• Transmission utérine: 4%
Toutefois, il existerait 5 à 8 fois plus de cas que ceux déclarés. L’estimation serait entre 1500 et 2000 cas entre séropositifs et personnes atteintes du sida. Un programme spécial des Nations Unies dit l’«Epi model» semble confirmer ces chiffres.
Quant à la transmission par voie sanguine, la maladie est déclarée avant 1980. Mais les tests situent l’épidémie en 1984. Depuis 1993, aucun «diagnostiqué» n’a été signalé à partir des pays à risques. Comme nous l’avions déjà signalé, la contamination se fait à l’extérieur. Par contre certaines maladies tels la thalassémie, l’hémophilie, la malaria, le paludisme y contribuent.
La conscientisation devient indispensable. Si les différents ministères cités précédemment participent au suivi, le travail avec le secteur privé est plus fourni, d’où la collaboration avec 40 ONG. Treize projets ont été élaborés en vue d’établir les nouvelles directives. Débats, évaluation, propositions, solutions... Tous ceux concernés s’efforcent de remédier à ce fléau. Des campagnes nationales en vue de cette sensibilisation ont été lancées pour contribuer à identifier les besoins.
Cette prise de conscience inévitable est une heureuse initiative pour un pays à risques. Nous avons un comportement qui reste quand même assez libéral malgré une pression familiale protectrice. Et pourtant, le sida reste marginalisé dans notre pays. Il ne faut pas se leurrer. Il reste beaucoup à faire.
Comme pour tout projet, un budget est indispensable. Celui du programme est assuré par le ministère de la Santé. Il est de l’ordre de 250.000 dollars américains. Ce qui est insuffisant. Des organismes telles l’OMS, la «United Nation Agency» apportent leur contribution en assurant un peu d’argent et en envoyant des consultants.
«United Nations Aids Program» a contribué à un financement de l’ordre de 100.000 dollars américains pour un projet qui devrait être mis en service à partir de janvier 1998 à la Quarantaine. Il s’agira d’un centre, le «Medical Psycho Social Center for People Living with HIV». Il devrait pouvoir orienter, assurer des visites médicales et des médicaments. Ce centre sera géré par une dizaine d’ONG supervisées par le Programme national. Parmi ces ONG, figure la «Lebanese Aids Society». Il s’agit en fait d’une nouvelle expérience libanaise et régionale, devant impliquer les villes, les villages, les périphéries qui vont collaborer ensemble.
La Société libanaise du sida a été fondée en 1992 par un groupe de médecins parmi lesquels le Dr Jacques Mokhbat, ancien président et médecin spécialisé dans les maladies infectieuses. Plusieurs objectifs définissent le rôle de cette Société, selon le Dr Mokhbat. Ils consistent à:
— aborder le problème sous un angle mieux adapté à une époque en mutation prenant en compte un langage approprié plus commun, plus simple, à la portée des différents milieux pour éviter une marginalisation des personnes atteintes du sida (éviter l’appellation sidéen);
— assurer les soins en adoptant une approche beaucoup plus familière du malade et dépasser le cadre de la prévention assurée par l’OMS. Il s’agit de focaliser l’action sur le malade dans sa société par la défense de ses droits et d’une vision respectueuse de l’éthique du sujet. Il faut concevoir le malade qui vit «avec» et non seulement «du» virus;
— collaborer avec l’OMS et le ministère de la Santé dans le cadre du Programme national et s’assurer des fonds pour l’achat des médicaments qui coûtent très cher, entre 2000 à 5000 dollars américains par mois;
— collaborer avec des partenaires régionaux et internationaux;
— poursuivre des campagnes d’information et de sensibilisation auprès des jeunes et par des jeunes comme cela a été le cas en 1992 sous la forme d’une «Action sida». Le champ d’action est vaste: les appelés militaires, les écoles, les centres de loisirs, les clubs...
— faire de sorte que l’information soit systématique et continuelle, généralisée et régulière et ne devrait pas se limiter à des événements occasionnels tels, par exemple, un mariage ou un débat sur l’homosexualité.
Cette association non gouvernementale organise des activités pour collecter des fonds en vue d’acheter les médicaments. Toute l’action est entreprise par des bénévoles. Le budget de cet organisme a été évalué à 90.000 dollars américains pour l’année 1997. La somme est insuffisante, c’est pourquoi une contribution du patient, de l’ordre de 10 à 15% des frais pour l’achat des médicaments, est demandée à titre de participation.
Si ce vide est rempli par le groupe, il incombe à l’État d’assurer la prise en charge. Le travail, bien que rude devrait revêtir une dimension globale et approfondie parce que:
— le traitement assure non seulement une longue vie mais une meilleure vie;
— le patient doit apprendre à revivre sa situation familiale et professionnelle;
— le traitement, compte tenu de la trithérapie administrée, peut faire éviter des infections opportunistes et, par conséquent, peut faire éviter l’hospitalisation systématique. L’État économiserait ainsi des sommes considérables.
Rappelons les trois phases, sur le plan médical:
l Première phase: Le VIH (virus d’immuno-déficience humaine) qui cause le sida. Des infections aiguës apparaissent tels des ganglions, de la fièvre. La durée est de 2 à 3 semaines. Passé le délai de 6 semaines, l’individu est séropositif.
l Deuxième phase: Développement du virus, mais l’individu passe par une phase de silence clinique et non virale. Son immunité va permettre une durée qui peut être de 10 ans en contrecarrant les effets du virus.
l Troisième phase: C’est le sida ou syndrome d’immuno-déficience qui peut durer 4 ans ou 15 ans. Apparition des infections opportunistes qui caractérisent le sida (pneumonie, diarrhée, infection de la bouche et de la peau, méningite...).
Certains cas n’ont pas développé des symptômes quinze années plus tard grâce à leur système de défense immunitaire.
Nous retiendrons quelques données:
- 1985: 2 patients sont signalés
- 1986: 4 patients sont signalés
- 1989: plusieurs cas sont signalés
- 1992: le nombre s’amplifie. On parle de 450 à 600 cas déclarés.
Il faut absolument changer d’optique et voir les choses en face avec un regard moins accusateur et redéfinir les droits de l’individu infecté par le virus. Il ne faut pas marginaliser la «personne vivant avec le sida» mais aborder le patient en partant du principe qu’il ne s’agit pas de la «maladie de l’autre».
Les lois devraient être moins coercitives et ne pas se cloisonner derrière des tabous pouvant engendrer l’idée de discrimination aussi bien pour l’homosexualité que l’approche auprès des prostitué (es), des étrangers et des artistes.
Le point de vue du Dr Mokhbat est catégorique parce que la condamnation de l’homosexualité, par exemple, ne facilitera pas le contact avec les homosexuels qui vont se cacher.
Le fait de «laisser travailler» des «prostituées» ou «barmaids» sans contrôle médical pratiqué intelligemment, le fait de délivrer des attestations médicales certifiant la non-séropositivité sans consultation, le fait de faire travailler des étrangers sans permis de travail, le fait de ne pas tester les 250.000 Libanais de l’étranger qui viennent chaque année au Liban... autant d’éléments à prendre en considération pour établir un véritable programme de prévention et avoir une vision plus humaine des choses non seulement au niveau du législateur mais des éducateurs et des informateurs, conclut le Dr Mokhbat.
M. Elie Aaraj, directeur-fondateur de l’Association des soins infirmiers et du développement communautaire à Sin el-Fil, dresse un tableau des grandes lignes de cet organisme non gouvernemental fondé en 1987. L’idée de départ ne se limite pas à assurer des soins curatifs mais à aborder les aspects préventifs et éducationnels tout en réhabilitant le patient. C’est en fait la fonction de l’infirmier.
Le travail élaboré durant ces dernières années a permis à ce centre de mieux définir les besoins des quartiers concernés (Sin el-Fil, Nabaa, Bourj Hammoud) pour mieux y répondre. Afin d’enrichir les études sur le terrain, l’équipe de travail a collaboré avec les différents centres médicaux, les médecins, les pharmaciens, les sages-femmes... En 1997, un plan de travail est réparti sur plusieurs phases:
- Des soins infirmiers pour n’importe quelle clientèle, sur ordonnance médicale, au centre ou à domicile.
- Une éducation sous forme de sessions pour les diabétiques.
- Un club de jeunes qui vise à une sensibilisation et à une mobilisation au niveau de la santé.
- Une action qui touche les problèmes liés à la toxicomanie: assistance pré-cure, post-cure, travail de réhabilitation et de réinsertion sociale en collaboration avec les ONG.
Tout est mis en œuvre pour réfléchir la problématique, s’orienter vers une étude des lois au niveau local et enclencher un travail de formation et d’information au niveau régional, plus précisément avec la Syrie, la Jordanie et l’Egypte... Une équipe constituée d’assistantes sociales, d’animateurs sociaux et d’une dizaine de bénévoles travaille également selon une approche communautaire de plus en plus applicable au Liban.
- Le sida: l’action est menée dans les milieux à risques (rue, lieux publics...). Les jeunes sont accostés et, à la longue, sont pris en charge. Un travail d’information (brochures, affiches...) permet aux jeunes d’être sensibilisés.
Ils ont, pour la plupart, moins de 18 ans et travaillent dans des entreprises... Parmi ces groupes, on rencontre des hétérosexuels, des bisexuels, des homosexuels... Certains ont plus de 30 ans.
Des personnes atteintes du sida sont prises en charge par une équipe spécialisée et un téléphone «hot line» reçoit depuis 1993 des appels anonymes de jeunes désireux d’être informés, sécurisés, ou de se faire soigner.
Ce centre collabore avec l’OMS et la ministère de la Santé et fait partie des organismes qui ont adopté le Programme national. Il reçoit une aide de la France et de la Suède. Son budget, insuffisant, est de l’ordre de 100 à 150.000 dollars américains par an.
L’équipe de 11 personnes et d’une vingtaine de volontaires se rend compte de l’urgence d’un changement au niveau des mentalités pour déculpabiliser la notion de sida. A la suite d’un suivi professionnel, des individus atteints par le virus ont pu retrouver le «goût à la vie»...
De précédentes études se sont penchées sur un dossier qui reste aujourd’hui des plus brûlants, celui de la prostitution. Ces études ont également évoqué la délinquance et le travail social entrepris par les organisations non gouvernementales. Si la prostitution a été citée, c’est parce qu’elle fait partie des groupes à risques. Une prostituée n’est pas visée...