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Actualités - REPORTAGE

Les témoignages des parents confirment l'acuité de la crise Difficultés de scolarisation : le rôle grandissant de la société civile

Les écoles privées font face actuellement à une grave crise due à la situation socio-économique dans le pays et aux retombées de la forte augmentation des salaires des enseignants. Les témoignages des directeurs d’établissements et de nombreux responsables pédagogiques sont, sur ce plan, particulièrement explicites (VOIR L’ORIENT-LE JOUR DU MERCREDI 26 NOVEMBRE). Mais ces témoignages ne peuvent être complets sans l’apport de ceux des parents d’élèves, qui représentent l’autre partie concernée par le problème de scolarisation. Nous avons interrogé sur ce plan certaines mères de famille, tout en essayant de définir le rôle que devrait assumer la société civile dans ce domaine.

S’il est clair qu’une bonne majorité de parents éprouve aujourd’hui de la difficulté à régler la scolarité de leurs enfants, la gravité des cas est variable. Nous nous sommes intéressés à une certaine catégorie de parents, la plus fragile et la plus touchée actuellement, celle qui va devoir (ou qui a déjà dû) retirer ses enfants des écoles privées pour les placer dans des établissements publics, sinon par choix, du moins par manque d’argent. Plusieurs questions se posent à leur propos: quels problèmes ont-ils avec les écoles privées? Celles-ci font-elles preuve de coopération? Sont-ils satisfaits à l’idée d’envoyer leurs enfants dans une école publique? Quel genre d’assistance reçoivent-ils et quelles sont leurs revendications?
Etant donné la discrétion qui entoure toujours ce genre de problèmes, les parents que nous avons interrogés ont désiré conserver l’anonymat. Nous avons pu les joindre grâce au Centre médico-social de Fanar, une institution privée gérée par une association humanitaire, la «Voix de la femme». Situé dans une région particulièrement défavorisée, ce centre accueille 1200 familles de son quartier, toutes confessions confondues. Ce sont les familles qui prennent contact avec les assistantes sociales, généralement pour profiter du dispensaire. Mais elles ne tardent pas à s’adresser au Centre pour d’autres problèmes sociaux, dont la scolarité n’est pas le moindre. «Le Centre fait son possible pour que tous les enfants des familles qui font appel à lui soient scolarisés», indique Mlle Mona Achi, assistante sociale, précisant toutefois que «beaucoup de foyers ont inscrit nouvellement leurs enfants dans des écoles gouvernementales».
Les trois mères de famille (précisons seulement qu’elles sont de confessions différentes) que nous avons rencontrées, dans un cadre de misère pesant, nous ont raconté, d’un air désabusé, le cercle infernal dans lequel elles se trouvent. Leurs témoignages concordent quant aux causes de leurs difficultés actuelles. «Mon mari a émigré pour cause de chômage, dit l’une d’entre elles, et je dois faire vivre mes trois enfants avec un salaire de 360 mille livres». La seconde renchérit: «J’ai cinq enfants, dont quatre à l’école. Mon mari, qui touche le salaire minimum, est malade de surcroît». Quant à la troisième, elle révèle que son mari encaisse 600 mille livres par mois «et je suis obligée de travailler à 200 mille livres — bien que mon conjoint ait été opposé à l’idée — pour pourvoir aux besoins de mes trois enfants».
Comment font-elles, avec des rentrées aussi limitées, pour s’acquitter de leurs scolarités? Les écoles se montrent-elles coopératives? «J’ai travaillé tout l’été pour pouvoir payer les scolarités de l’an dernier, nous raconte la première mère interrogée, et le Centre m’a considérablement aidée. Mais je suis maintenant en retard sur mon loyer et je suis incapable de payer les scolarités de cette année. Heureusement que l’école est coopérative et qu’elle patiente». Elle avoue avoir été tentée par l’école publique, mais «mon mari n’a pas accepté d’y envoyer nos enfants». La seconde mère de famille a placé ses quatre enfants dans une école semi-gratuite: «Le collège nous aide, puisqu’il nous permet de payer trois scolarités sur quatre. Nous recevons également une assistance du Centre. Mais malgré cela, j’aurais aimé voir mes enfants dans une autre école, qui leur offrirait une meilleure éducation et plus d’activités». Sur l’éventualité de placer ses enfants dans un collège public, elle a déclaré: «Je n’ai aucune confiance dans les écoles officielles. J’espère ne pas en arriver là».
La troisième personne interrogée a réussi à garder deux de ses enfants dans des établissements privés, mais elle a dû placer l’aîné dans un lycée gouvernemental technique. «Je ne suis pas éduquée moi-même, mais je tiens à ce que mes enfants le soient, déclare-t-elle. Or je suis très insatisfaite de l’éducation que mon aîné reçoit. L’école manque totalement de discipline, et l’enseignement se fait entièrement en arabe, ce qui constitue un handicap pour l’élève qui vient du privé». Contrairement aux deux autres, cette mère de famille a déclaré que «l’ancienne école (privée) de mes enfants a totalement refusé de les réinscrire cette année, bien qu’ils aient été ses élèves depuis de nombreuses années».
La situation a-t-elle été toujours aussi difficile à maîtriser, ou s’est-elle nouvellement dégradée? En réponse à cette question, les trois témoignages ont coïncidé de façon surprenante: la dégringolade s’est nettement aggravée depuis trois ans environ. Quelles sont leurs revendications pour l’avenir? Les réactions à cette question sont passées de la franche révolte à la résignation. «Si je m’adresse à l’Etat, je suis sûre que personne ne m’écouterait», affirme l’une d’elles. Mais une autre mère ne mâche pas ses mots: «L’Etat devrait voter une loi équitable sur les loyers. Il devrait également assurer un enseignement gratuit aux enfants et présenter des garanties pour la vieillesse. Nous ne pouvons pas rester ainsi livrés à nous-mêmes».

Implication de la
société civile

Tous ces malheurs, le Centre médico-social essaie de les prendre en charge dans une certaine mesure. Son travail devient tous les jours plus dur et plus nécessaire parce que, nous révèlent les assistantes sociales, «le nombre de demandes d’aides scolaires augmente chaque année». Mlle Achi explique: «Il y a deux sortes de parrainage que nous pouvons obtenir pour les enfants. Le premier vient de Belgique. La seconde sorte de parrainage vient d’une organisation internationale, la «World Vision», qui entame plusieurs projets au Liban».
Mlle Achi poursuit: «Pour les enfants non parrainés, nous essayons de leur fournir une petite somme pour les fournitures au moins. Nous aidons aussi les parents à régler leurs problèmes avec les écoles quand ils en ont (surtout en ce qui concerne la récupération du bulletin scolaire), parce que tous les établissements ne se montrent pas coopératifs». Elle insiste toutefois sur un aspect positif de la mentalité des personnes concernées: «Les familles pauvres se privent de nourriture et d’habits pour assurer la scolarité de leurs enfants. Mais leur situation devient parfois si désespérée que le Centre a besoin de les encourager, même par des sommes modiques, afin qu’ils puissent faire face à la perspective d’une nouvelle année».
Les assistantes sociales ont cependant relevé un point important: il y aurait bien plus de parrains belges, pour ne citer qu’eux, que de parrains libanais. Quel est donc le niveau de la solidarité sociale au Liban? Il faut évidemment tenir compte des initiatives privées d’entraide, des associations, des mutuelles dans les écoles... qui se multiplient afin de secourir ceux qui risquent de glisser dans la misère et l’analphabétisme. Un climat de discrétion entoure encore le plus grand nombre de ces initiatives privées, car le sujet demeure très délicat. Mais il apparaît clairement que la préoccupation existe bel et bien, et qu’elle est partagée par toutes les factions de la société.
Les mutuelles des écoles jouent un rôle non négligeable dans le financement des études d’enfants en difficulté. Cette formidable action de solidarité existe dans les grandes écoles. Mais elle n’est malheureusement pas possible partout. Quand nous avons demandé au secrétariat catholique pourquoi cette mesure n’était pas généralisée, on nous a répondu: «Comment voulez-vous qu’une petite école de village, qui n’a qu’un nombre très limité d’élèves, le plus souvent de condition sociale modeste, puisse créer un système de mutuelle? Cela n’est possible que dans les très grands collèges».
Cela veut dire que tous les élèves n’ont pas droit à une même assistance. Reste donc à savoir quoi faire pour que ces initiatives, qui sont aujourd’hui limitées aux individus et à certaines écoles, puissent englober tous les élèves. La solution passe-t-elle uniquement par l’Etat, ou la société civile peut-elle prendre des initiatives déterminantes sur ce plan?

Problèmes financiers et
niveau de l’enseignement

Cet aspect du problème revêt une importance particulière non pas uniquement en raison de son caractère financier, mais du fait de son impact indéniable sur le niveau de l’enseignement et de l’éducation à l’échelle scolaire.
Sans vouloir tomber dans les clichés, il faut bien admettre que l’une des spécificités du Liban réside dans la connaissance, par bon nombre de Libanais, de langues étrangères (notamment le français et l’anglais). Or, selon des sources au secrétariat des écoles catholiques, «les langues étrangères seront les premières touchées par l’éducation dans le public, même si le reste de l’enseignement y est valable». Les directeurs d’école interrogés confirment cette constatation.
Si l’école publique risque un jour de supplanter dans une certaine mesure l’école privée, comment préserver la liberté d’enseignement? Le RP Daccache, recteur du collège de Notre-Dame de Jamhour, a apporté un élément de réponse sur ce plan en soulignant que «l’émulation entre les deux secteurs est la seule garantie de liberté et de qualité».
Les responsables ne cessent de souligner dans leurs discours que le Liban doit être le «carrefour des cultures», le «pont entre l’Orient et l’Occident», le futur «marché mondial». Or comment honorer cette image sans stimuler un enseignement de qualité et de haut niveau, ce qui nécessite impérativement le règlement des problèmes financiers auxquels sont confrontés aujourd’hui les parents d’élèves?

Les écoles privées font face actuellement à une grave crise due à la situation socio-économique dans le pays et aux retombées de la forte augmentation des salaires des enseignants. Les témoignages des directeurs d’établissements et de nombreux responsables pédagogiques sont, sur ce plan, particulièrement explicites (VOIR L’ORIENT-LE JOUR DU MERCREDI 26 NOVEMBRE). Mais ces...